Idées par Cyrille Barrette: Informer ou inspirer?
Idées
Informer ou inspirer?
PAR CYRILLE BARRETTE
PROFESSEUR TITULAIRE AU DÉPARTEMENT DE BIOLOGIE
«Un cours , c'est avant tout une conversation à deux.
Un professeur qui lit, c'est une imitation, une caricature d'enseignant
qui ne sait pas, ou ne peut pas, ou ne veut pas inspirer.»
Un livre et un cours ont en commun de vouloir communiquer. Pour ce faire
il faut d'abord avoir quelque chose à dire, c'est-à-dire de
l'information à transmettre et, ensuite, ou peut-être même
avant tout, éveiller l'attention du récepteur éventuel,
et lui donner envie d'écouter ou de lire. Il faut donner faim avant
de donner à manger.
En science un livre c'est avant tout une source d'information. Certains
ne sont pas inspirants du tout, on ne les lit pas, on les consulte, e.g.
une table de valeurs statistiques, ou de composition chimique de divers
produits. C'est «platte» comme un annuaire téléphonique,
ça ne contient que de l'information, utile mais incolore et insipide.
Bien sûr, les livres de science cherchent à intéresser
aussi, soit avec des images, avec un texte vivant ou humoristique par exemple.
Mais la plupart n'y arrivent pas. Les exceptions sont tellement rares
qu'elles se méritent des prix de littérature (comme Sociobiology
de E.O. Wilson ou The Serengeti Lion de G.B. Schaller, dans mon domaine).
La plupart des exceptions sont les livres de vulgarisation, leur objectif
c'est d'éduquer et ils y arrivent en s'assurant de plaire, d'intéresser,
de stimuler, d'inspirer.
En dehors de la science certains livres sont avant tout des sources d'information
(par exemple un livre de recettes culinaires ou un guide sur la taille des
bonsaï, ou une biographie). Par contre, la plupart des livres non
scientifiques visent avant tout à stimuler, à inspirer. C'est
le cas des romans ou peut-être, à l'autre extrême par
rapport à un annuaire téléphonique, la Bible: ce n'est
pas une source d'information mais d'inspiration.
Par comparaison, un cours (ou une conférence) c'est avant tout un
moyen pour inspirer, c'est un spectacle. Bien sûr qu'un cours «sérieux»,
en science ou non, doit avoir un certain contenu, doit transmettre de l'information.
Il ne faut pas que le spectacle prenne toute la place: il faut donner faim
mais ne pas affamer (ou laisser sur sa faim). Mais un cours qui ne serait
qu'une transmission d'information, comme ces cours où le professeur
se limite à lire ses notes (ou son livre) devant les étudiants
qui ont ces notes en main, ce n'est pas du tout un cours, c'est de la torture
mentale, pour les deux parties. Un professeur qui lit c'est une imitation,
une caricature de professeur qui ne sait pas, ou ne peut pas, ou ne veut
pas inspirer.
Un cours c'est avant tout une conversation, à deux, même s'il
y a 200 étudiants dans la classe. C'est une conversation même
si les étudiants ne disent pas un mot. Au moins en esprit ils peuvent
parler au professeur qui s'anime devant eux.
Si mon cours inspire, l'étudiant peut aller lire pour nourrir d'avantage
cette inspiration avec plus d'information et, à la limite, y consacrer
tout le reste de sa carrière et de sa vie. Si mon cours n'inspire
pas, je reçois quand même mon salaire et l'étudiant
ses crédits, mais nous avons tous les deux perdu notre temps et perdu
une belle occasion d'interaction stimulante, valorisante, enrichissante,
vivifiante, payante même, pour les deux parties.
L'information est accessible à quiconque sait lire. L'inspiration
c'est une denrée beaucoup plus rare. C'est le rôle premier
du professeur de la faire émerger. S'il y arrive, l'étudiant
se fera une passion de se charger de l'apprentissage. Sans inspiration,
j'ai bien peur que l'on donne raison à Jean Rostand qui disait que
«nous acquérons par l'éducation des connaissances éphémères
et des répugnances tenaces». Si l'enseignement ce n'était
que çà, ce ne serait pas suffisant pour me motiver à
faire ce métier.