La génétique au secours de la ouananiche
La génétique au secours de la ouananiche
Des chercheurs s'attaquent au défi de produire en pisciculture
des ouananiches génétiquement semblables aux populations sauvages.
La ouananiche se porte mal depuis quelques années. Ce saumon atlantique
d'eau douce, qui faisait la fierté et la renommée du lac Saint-Jean
et de ses tributaires, a vu ses effectifs chuter dangereusement au cours
des dernières décennies. Selon les biologistes, l'espèce
aurait souffert, coup sur coup, de surpêche, de braconnage, de destruction
d'habitat et de pollution des eaux. Depuis le début des années
1990, la pêche sportive à la ouananiche est d'ailleurs interdite,
au grand dam des pêcheurs du Lac-Saint-Jean qui appréciaient
taquiner ce poisson aussi combatif dans l'eau que Mario Tremblay sur la
patinoire.
Il y a cinq ans, un programme visant à rempoissonner les rivières
de cette région avec des ouananiches produites en pisciculture a
démarré au Centre écologique du lac Saint-Jean. «Les
responsables du programme sont placés devant un dilemme, explique
Nathalie Tessier, étudiante-chercheuse au Département de biologie
(GIROQ) et membre de l'équipe de Louis Bernatchez, spécialiste
de la génétique des populations de poissons. D'une part, ils
veulent limiter les coûts d'exploitation de la pisciculture en gardant
en captivité le moins de géniteurs possible et d'autre part,
ils souhaitent maintenir la diversité génétique afin
de produire des poissons représentatifs des populations sauvages».
Miroir génétique
Règle générale, les piscicultures conservent peu de
géniteurs en captivité; une femelle et quelques mâles
suffisent pour produire des milliers d'alevins. Les conséquences
de ce petit nombre de géniteurs sont anodines lorsqu'il s'agit de
produire des poissons destinés directement à la consommation.
Par contre, libérés en milieu naturel dans le cadre de programmes
de rempoissonnement, ces milliers d'alevins, tous proches parents (frères,
soeurs, demi-frères ou demi-soeurs), peuvent causer des problèmes
de consanguinité dans la population. «Il faut donc trouver le
nombre optimal de géniteurs requis pour maintenir la diversité
génétique tout en gardant les coûts d'exploitation bas,
résume Nathalie Tessier. Et pour y arriver, il faut d'abord des outils
nous permettant de connaître le profil génétique des
ouananiches.»
Dans le dernier numéro du Journal of Fish Biology (décembre
1995), Nathalie Tessier, Louis Bernatchez et Bernard Angers, en collaboration
avec leur collègue Pablo Presa de l'INRA en France, font état
de deux méthodes d'analyse génétique, l'ADN mitochondrial
et les microsatellites (des sections d'ADN composées de nombreuses
répétitions) grâce auxquelles ils sont parvenus à
distinguer efficacement les populations de ouananiches sauvages provenant
de différentes rivières. «Il semble que les ouananiches,
mâles et femelles, soient très fidèles à leur
rivière natale de sorte que les populations des quatre tributaires
du lac Saint-Jean sont très différentes sur le plan génétique»,
précise Nathalie Tessier.
Ces méthodes, espèrent les chercheurs, leur permettront de
suivre les changements dans le stock génétique des ouananiches
produites en captivité de façon à rétablir des
populations ayant toutes les caractéristiques des ouananiches sauvages.
«Je crois que c'est envisageable, dit Nathalie Tessier, puisqu'on ne
fait aucune sélection particulière pour avoir de plus gros
poissons ou des poissons à croissance plus rapide. Tout ce qu'il
nous faut maintenant, c'est du temps.»
JEAN HAMANN
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