Fenêtre sur le Pacifique
FENÊTRE SUR LE PACIFIQUE
C'est en présence de nombreux dignitaires, professeurs et chercheurs
qu'a eu lieu, le 8 février, le lancement des Cahiers du Carrefour
Japon. L'événement s'est déroulé dans l'espace
«Carrefour Japon», au centre du pavillon Jean-Charles-Bonenfant.
Prenant la parole, le Consul général du Japon à Montréal,
Yuji Kurokawa, s'est dit agréablement surpris et impressionné
de voir paraître un périodique en langue française sur
son pays:
«C'est la première fois qu'un cahier scientifique sur le Japon
rédigé en français est publié au Québec,
au Canada et en Amérique du Nord. En plus d'être révélatrice
du rôle tenu par le Carrefour Japon au Québec, cette publication
fait le lien, non seulement entre la francophonie et le Japon, mais aussi
entre les spécialistes des communautés anglophones et francophones.
C'est un véritable exemple d'échanges internationaux entre
les chercheurs sur le Japon.»
Dans ce premier numéro, le président du Carrefour Japon et
doyen de la Faculté d'architecture et d'aménagement de l'Université
Laval, Takashi Nakajima, explique que la création de cette revue
bisannuelle s'inscrit directement dans la mission du Carrefour, qui est
d'intégrer les échanges académiques, culturels, économiques,
politiques et scientifiques sur ce pays: «L'Université n'est
plus vue comme un sanctuaire intellectuel dont les membres peuvent évoluer
en vase clos. Ses chercheurs travaillent de plus en plus en collaboration
avec ceux de différents secteurs: instituts de recherche, organismes
gouvernementaux et compagnies privées. L'Université descend
de sa tour d'ivoire.»
«La recherche et l'enseignement sont étroitement associés
à l'image de l'université, poursuit Takashi Nakajima, mais
en tant que dispensatrice du savoir, elle ne peut éviter de collaborer
de façon plus étroite avec tout centre de recherche de pointe,
universitaire ou non. En 1996, qui pourrait sérieusement dire que
c'est l'Université qui en a à montrer aux centres de recherche
d'IBM ou de Toyota?»
Dans son éditorial, le rédacteur en chef des Cahiers, Éric
de la Noüe, souligne que l'élément essentiel du succès
des Japonais tient dans la façon dont ils ont adapté les méthodes
occidentales à leur milieu: «L'esprit japonais est difficile
à saisir. Mais peut-être pourrait-il se résumer ainsi:
l'adaptation au changement. L'Occident, la Francophonie plus particulièrement,
sont-ils prêts pour l'an 2000, date où le centre de gravité
économique de la planète ne sera plus quelque part en Occident?
En effet, dans cinq ans, 60 % de l'activité économique mondiale
sera concentrée dans la région du Pacifique.»
Un esprit de partenariat
L'inauguration du Carrefour Japon, en avril 1993, le seul centre du genre
dans la francophonie, témoigne de cette ouverture au monde, et notamment
d'une volonté de partenariat accru et soutenu avec le Japon, de la
part de l'Université Laval. Ayant pour but de consolider et de promouvoir,
à travers toutes les disciplines, les études et la recherche
sur le Japon, le Carrefour est l'aboutissement de relations qui se sont
développées au fil des ans entre l'Université Laval
et le pays du Soleil Levant, grâce aux contacts qu'entretiennent des
professeurs et des étudiants du Québec et du Japon depuis
le début des années 1970.
Les relations de coopération entre l'Université Laval et le
Japon se portent plutôt bien. En 1987, l'Université Laval a
signé un accord-cadre avec l'Université de Kyoto, dans le
domaine des sciences de génie, action qui a permis de nombreux échanges
de professeurs et d'étudiants. De son côté, la Conférence
des recteurs et des principaux des universités du Québec (CRÉPUQ)
a signé, au nom des universités québécoises,
une entente d'échanges d'étudiants avec l'Université
de Kyoto.
Outre cet accord, plusieurs professeurs entretiennent une coopération
soutenue depuis une douzaine d'années avec diverses universités
japonaises sous forme de missions, projets de recherche, enseignement, conférences
internationales, ateliers de travail et de publications, et ce, dans différentes
disciplines: science et génie, agriculture, foresterie et géomatique,
architecture, santé, sciences humaines, sciences de l'administration.
Depuis 1987, l'Université Laval a accueilli 107 étudiants
japonais, dont 95 au premier cycle, 7 au deuxième et 5 au troisième.
D'autre part, plusieurs programmes de bourse ont été créés
à l'intention des étudiants (voir la rubrique «Bourses
et aide financière» dans les pages «Info-études»
- 12 et 13 - du présent numéro).
Parlons japonais
L'Université Laval offre des cours de langue japonaise depuis 1987.
À titre d'exemple, quelque 85 étudiants ont suivi le cours
de Japonais I, II et III, en 1995. Professeur de langue japonaise à
l'École de langues vivantes, Akira Saïto a remarqué que
le nombre d'étudiants inscrits à ses cours diminuait par rapport
au degré de difficulté rencontré. En Japonais I, le
taux de diminution est ainsi de 100 %, tandis qu'il est de 20 % en Japonais
IV. «À cause des différences culturelles, la structure
de la langue japonaise ne correspond pas à celle des langues européennes,
explique Akira Saïto. Les étudiants prennent donc plus de temps
pour en maîtriser et en utiliser les règles. En conséquence,
plusieurs démissionnent après avoir pris conscience de cette
réalité.»
Conjugué au fait que l'Université Laval n'offre pas de programme
de langue et culture sur le Japon, l'orientation des étudiants ayant
terminé les cours de japonais est donc limitée, soutient Akira
Saïto. «L'avenir de l'enseignement du japonais est dépendant
des perspectives d'avenir pouvant être offertes aux étudiants.
Même avec des connaissances en japonais, il est difficile de trouver
des emplois connexes dans la région de Québec. Il devient
donc primordial que l'Université Laval tisse des liens étroits
avec les universités japonaises pour permettre les échanges
d'étudiants. Il est aussi crucial de négocier avec les industries
japonaises afin qu'elles engagent des étudiants québécois
possédant une certaine connaissance de la culture japonaise.»
Professeurs à la Faculté des sciences de l'administration,
Donald Béliveau et Nancy Haskell ont fait partie, en 1993, d'une
équipe de 12 professeurs chargés d'étudier le cas de
16 entreprises canadiennes faisant des affaires avec le Japon, dans le cadre
d'un projet pan-canadien. S'étant penchés sur le cas d'une
union coopérative ayant bien fonctionné, celle de la compagnie
Alcan Aluminium Ltée avec la Nippon Lights Metals, ils en ont tiré
certaines leçons utiles pour les gestionnaires occidentaux quant
à la bonne marche de leurs affaires.
Il faut ainsi savoir qu'au Japon, les affaires reposent sur des relations
personnelles et non sur des relations de compagnie à compagnie. À
cet égard, les Japonais s'attendent à conduire des affaires
en face à face avec leurs collaborateurs; à leurs yeux, la
personne déléguée représente la compagnie, dans
une mesure beaucoup plus profonde qu'en Occident.
Autre règle d'or: alors qu'en Amérique du Nord, la signature
d'un contrat représente généralement la conclusion
de négociations, au Japon, elle n'est qu'une indication du début
d'une relation et de la possibilité de nouvelles négociations
à l'intérieur du contrat. Finalement, les Japonais accordent
une grande importance au fait que les étrangers soient sensibles
à la culture japonaise en général et à la culture
des affaires japonaises en particulier. Qu'ils parlent japonais ou non ne
constitue donc pas un facteur de grande influence dans le succès
d'un partenariat Japon-Occident.
Yannick et Danielle au Japon
Bachelier en génie électrique de l'Université Laval,
Yannick Le Devehat a quitté un emploi très bien rémunéré
au Québec pour aller travailler à Tokyo, où il oeuvre
pour le compte d'une compagnie de certification allemande depuis près
d'un an. Son travail consiste à attester que les produits de la compagnie
rencontrent bien les standards de qualité allemande. « Les managers
japonais sont plutôt lents à prendre une décision, a
découvert le jeune ingénieur. Par contre, une fois leur décision
prise, ils reviennent rarement en arrière et sont très efficaces.»
Dans les entreprises japonaises où les jeunes doivent inconditionnellement
respect aux plus vieux, il ne viendrait jamais à l'esprit de quiconque
de contester la décision d'un aîné. Par ailleurs, si
un employé souhaite «discuter» avec un supérieur,
il doit le faire dans les règles de l'art, c'est-à-dire en
faisant mille et un détours pour ne pas heurter la susceptibilité
de son interlocuteur, le secret étant de ne jamais être trop
direct dans ses propos.
Abondant dans le sens de son compagnon de vie, Danielle Grondines a déniché
un emploi dans une entreprise de Tokyo un mois après son arrivée
au Japon, en août dernier. Titulaire d'un baccalauréat en génie
civil et d'un diplôme de deuxième cycle en génie industriel
de l'Université Laval, elle possède une maîtrise en
gestion de l'ingénierie de l'Université de Sherbrooke. «Au
Japon, les études en génie coûtent tellement cher que
les étrangers arrivant avec une maîtrise en poche sont engagés
presque sur le champ», signale-t-elle.
Avant de l'embaucher, son employeur a toutefois posé ses conditions:
que la jeune étrangère apprenne le japonais et le parle à
peu près couramment en trois mois. Défi de taille que Danielle
Grondines a relevé avec brio, après avoir suivi des cours
intensifs. Occupant un minuscule appartement situé en plein centre
de Tokyo, Yannick et Danielle vivent au rythme des Japonais, c'est-à-dire
qu'ils triment dur et fort une douzaine d'heures par jour. «De toute
façon, les loisirs sont à prix inabordables, lance Yannick.
Et travailler, c'est véritablement le beat des Japonais...»
RENÉE LAROCHELLE
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