L'innovation à la japonaise
L'innovation à la japonaise
Le maillage des entreprises fait partie de la façon de faire des
affaires au Japon. Il semble que ce soit aussi l'une des voies nipponnes
conduisant à l'innovation.
Treize compagnies américaines comptent au nombre des vingt firmes
détenant le plus de brevets canadiens octroyés entre 1978
et 1989. Le Japon fait figure de parent pauvre dans ce classement puisqu'une
seule compagnie, Sony, y figure. Par contre, lorsque seulement les brevets
obtenus conjointement par deux partenaires ou plus sont considérés,
dix firmes japonaises se hissent dans les vingt premières places
alors que les Américains disparaissent complètement du tableau.
«Les coalitions de développement semblent jouer un rôle
important au Japon puisqu'elles sont à la source de 10 % de tous
les brevets obtenus au Canada», souligne Stéphane Gauvin, professeur
et directeur du Département de marketing, qui a analysé, de
fond en comble, les brevets octroyés par le Canada, entre 1978 et
1989, à des intérêts japonais, américains, allemands
et canadiens.
Les coalitions de développement représentent une forme de
coopération à court terme entre entreprises partageant un
intérêt commun, explique-t-il dans le dernier numéro
de Group Decision and Negociation. Le nombre de brevets conjoints, en hausse
constante depuis une quinzaine d'années, constitue un bon indice
de la prévalence de ces coalitions.
Coalitions made in Japan
Ainsi, en 1989, le Canada a émis 16 300 brevets à des demandeurs
provenant principalement des États-Unis (50 %), du Japon (13 %),
de l'Allemagne (7 %) et du Canada (8 %). Environ 600 de ces brevets ont
été décernés à des groupes formés
de deux signataires ou plus. Seulement 5 % des compagnies américaines
détentrices d'au moins un brevet possèdent des brevets conjoints
contre 40 % pour les firmes japonaises, 14 % pour celles d'Allemagne et
6 % pour celles du Canada. Lorsque seulement les firmes détenant
cinq brevets canadiens ou plus sont considérées, on constate
que les deux tiers des firmes japonaises font partie de coalitions de développement
alors que ce chiffre est respectivement de 35 %, 18 % et 15 % pour l'Allemagne,
le Canada et les États-Unis.
Non seulement les Japonais forment-ils plus de coalitions de développement
mais, en plus, ils le font à leur façon. Alors qu'il y a sept
fois plus d'individus que de corporations parmi les codétenteurs
de brevets conjoints obtenus par des intérêts canadiens ou
américains, les Japonais eux comptent six fois plus de corporations
que d'individus. Dans les quatre pays étudiés, les coalitions
de développement regroupent surtout des partenaires d'un même
pays puisque seulement 11 % des brevets conjoints sont de nature internationale.
Ce fait est encore plus marqué pour le Japon où seulement
3 % des brevets conjoints impliquent un partenaire d'un autre pays.
Autre particularité japonaise: les partenaires proviennent rarement
du même secteur d'activités. «Aux États-Unis et
au Canada, les coalitions de développement semblent être formées
d'entreprises d'un même secteur qui veulent faire des économies
d'échelle en R&D. Au Japon, les coalitions rassemblent plutôt
des partenaires complémentaires qui cherchent à capitaliser
sur l'économie de complexité».
«Il est bien possible, admet Stéphane Gauvin, que ce portrait
des coalitions japonaises de développement ne soit qu'une conséquence
de la structure industrielle basée sur les Keiretsu, des groupes
de firmes reliées entre elles par un organisation centrale forte
appelée Kaisha. Après tout, le maillage est une composante
essentielle de la manière japonaise de faire des affaires.»
Stéphane Gauvin ne se veut pas pour autant un apôtre du maillage
et il tient à prendre ses distances par rapport à ceux qui
y voient la solution miracle à tous les problèmes économiques.
«Le maillage comporte aussi bon nombre d'inconvénients, dit-il.
Trop réseauter peut amener une inertie considérable dans le
système et les problèmes que connaît aujourd'hui le
Japon ne sont peut-être pas étrangers à ce fait.»
JEAN HAMANN
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