Des québécoises converties à l'Islam
ANNE MARTIN : CES FEMMES VOILÉES
Anne Martin, étudiante en ethnologie, a voulu percer le mystère
entourant, à ses yeux, le port du voile islamique et la conversion
des femmes québécoises d'origine canadienne-française
à la religion musulmane. Dans son mémoire de maîtrise,
intitulé Stratégies identitaires du couple mixte et changement
de l'ordre social - Les femmes québécoises canadiennes-françaises
converties à l'Islam, dirigé par Lucille Guilbert, du Département
d'histoire, elle a voulu comprendre ce qui poussait ces Québécoises
«pure laine» à porter le hidjab. «Ayant vécu
l'émancipation de la femme et la montée du féminisme,
je ne pouvais concevoir ce qui m'apparaissait être un sacrifice. En
fait, je ressentais une colère sourde en apercevant ces femmes»,
confie-t-elle.
Afin de mener à terme sa recherche, Anne Martin a interrogé
plusieurs personnes de ce milieu. «La plupart des femmes interviewées
ont vécu une relation de silence avec leur mère. Un manquement
dans la transmission des valeurs poussait ces jeunes femmes à la
recherche d'une identité et d'une relation amoureuse», observe
la jeune ethnologue. «Proposant une religion "encadrante",
l'homme musulman leur offre par le fait même un rôle à
jouer. Celui, notamment, de transmettre les valeurs aux enfants, comme cela
est exigé de la femme dans la tradition islamique.» À
ces femmes, donc, de «se convertir» afin d'enseigner aux bambins
la religion de leur père. Petit à petit, à la lecture
du Coran, elles décideront d'elles-mêmes de s'intégrer
et de suivre les coutumes du groupe.
Comme c'est le cas pour plusieurs religions, il existe différents
degrés de croyance et de pratique islamiques. Pour les musulmans,
le Coran peut être interprété de multiples façons.
Il y a cinq «piliers» obligatoires: la profession de foi, la prière,
le jeûne, l'aumône et le pèlerinage à la Mecque.
En dehors de ces obligations, le reste porte à interprétation.
«Il n'y a pas de consensus relié au port du voile, ce qui fait
que certaines le portent toujours, tandis que d'autres l'enlèvent
à l'occasion, a constaté Anne Martin. Le port du voile est
un geste réfléchi. Bien que celles qui décident de
le porter soient minoritaires au sein de la société québécoise,
elles y trouvent plusieurs avantages. Certaines m'ont avoué qu'elles
se sentaient en sécurité derrière leur hidjab. Elles
ne se voient plus considérées comme un simple objet sexuel,
mais comme une personne avec une identité.»
Une vie différente
Pour la jeune fille convertie, le plus difficile, ce sont les réactions
de leurs parents face à leur nouvelle orientation. Les fêtes
chrétiennes comme Noël, le Jour de l'an et Pâques, doivent
être laissées de côté pour faire place aux rites
musulmans. Dans certaines familles, par exemple, des négociations
visant le remplacement de la fête de Noël par celle de la fin
du Ramadan, sont menées pour éviter les conflits. Par contre,
dans la famille du mari, la jeune femme jouit d'un accueil agréable,
rempli de délicates attentions. Quant aux enfants, ils vivent différemment
de leurs amis, dans le respect des valeurs strictes inculquées par
leurs parents.
«La colère et l'agressivité qui me rongeaient lorsque
je regardais ces femmes sont maintenant éteintes, même si leur
choix ne me laissera jamais indifférente, rappelle Anne Martin. À
cause de la redéfinition des valeurs dans la société
québécoise, plusieurs jeunes femmes en quête d'identité
trouvent une certaine valorisation dans la religion musulmane. Ce choix
qu'elles font de porter le voile est une choix réfléchi et
personnel qu'on se doit de respecter. Elles ont le droit, tout comme nous,
d'afficher leur religion, sans pour autant brimer la liberté de pensée
des Québécois», conclut l'étudiante, maintenant
engagée dans ses études de doctorat.
GUYLAINE CHAREST
Stagiaire
-30-