20 juin 1996 |
L'année dernière, Benoît Roy, professeur au Département
d'éducation physique, a participé à un périple
qui l'a fait passer, en quelques semaines, de l'exiguïté d'une
chambre métabolique aux espaces infinis de l'Arctique. L'expédition
sur le terrain consistait à traverser, en ski de fond, la calotte
glaciaire du Groenland en compagnie de ses coéquipiers Bernard Voyer
et Thierry Pétry. Pendant cette odyssée de 22 jours, Benoît
Roy a skié près de 10 heures par jour, tirant derrière
lui un traîneau chargé d'environ cent kilos de matériel
sur un trajet croisant des montagnes de glace, des torrents et des crevasses.
Même s'il jouit d'une forme physique remarquable, le professeur, aujourd'hui
âgé de 60 ans, a dû puiser au fond de lui-même,
aussi bien mentalement que physiquement, pour compléter ce voyage
au bout de l'enfer blanc.
«J'avais lu des récits d'aventures qui soulignaient l'importance
d'avoir un certain taux de graisses pour passer plus facilement à
travers ce genre d'expédition, dit-il. Quelques mois avant le départ,
j'ai donc demandé à mon collègue Angelo Tremblay de
me proposer un régime engraissant en prévision du voyage.»
En route pour la graisse
La situation particulière qu'allait vivre Benoît Roy a aussitôt
pris la forme d'un protocole expérimental inédit dans l'esprit
d'Angelo Tremblay. «J'ai réalisé qu'il s'agissait d'une
situation exceptionnelle où un sujet se plaçait volontairement
dans des conditions très difficiles auxquelles on n'oserait jamais
soumettre des gens», explique-t-il. Angelo Tremblay a donc accepté
de conseiller son collègue si, en retour, celui-ci se prêtait
à une étude sur les réactions de son organisme à
cette odyssée. La dernière édition de la revue International
Journal of Obesity montre que les deux hommes ont trouvé terrain
d'entente puisqu'ils publient, avec Sylvie St-Pierre, les résultats
tirés de cette expérience inédite réalisée
au Laboratoire des sciences de l'activité physique (LABSAP)
Pour les fins de l'étude, Benoît Roy a passé six journées
complètes de 24 heures, trois avant son départ et autant au
retour, dans une chambre métabolique du LABSAP. Dans cette petite
pièce de deux mètres par quatre mètres, où le
sujet est libre de se déplacer à sa guise, des appareils mesurent
le métabolisme au repos. Cette valeur correspond à la facture
énergétique que doit acquitter un individu pour assurer le
fonctionnement de base de son organisme.
L'effet yo-yo
Avant d'entreprendre son régime engraissant, Benoît Roy pesait
67,2 kilos. Le régime riche en graisses concocté à
son intention, qui dépassait de 2 000 kilojoules par jour (environ
500 calories) sa consommation normale, a rapidement produit ses effets puisqu'en
huit semaines, il prenait 4,7 kilos, dont 3,6 kilos de graisses. Ce coussin
de réserves graisseuses a cependant eu tôt fait de fondre sous
le soleil de l'Arctique puisqu'en trois semaines, le régime spartiate
d'explorateur ramenait son poids à 64 kilos.
Douze jours après son retour à Québec, le professeur-explorateur
avait recouvré son poids normal. À ce moment, Angelo Tremblay
a réalisé qu'il tenait une situation idéale pour étudier
l'effet yo-yo, le cycle de gain et de perte de poids que vivent, à
répétition, les personnes qui s'astreignent à des régimes
amaigrissants sévères.
Benoît Roy est donc retourné dans la chambre métabolique,
au même poids et au même taux de graisses que lors du premier
test, trois mois plus tôt. À la surprise des chercheurs, son
métabolisme au repos avait diminué de 15 %. D'autres tests,
effectués trois semaines et seize semaines après son retour,
confirmaient à nouveau ce résultat. «Il semble que le
métabolisme de Benoît était devenu plus efficace à
utiliser l'énergie, avance Angelo Tremblay, comme une auto qui parviendrait,
à quelques semaines d'intervalle et dans des conditions identiques,
à faire plus de kilomètres avec une même quantité
d'essence.»
Il y a quelques mois, les chercheurs du LABSAP ont repris le même
protocole expérimental avec Bernard Voyer, à l'occasion de
son expédition en Antarctique. Cette fois encore, ils ont observé
une baisse du métabolisme au retour de l'explorateur. Ces données,
analyse Angelo Tremblay, suggèrent l'existence d'un mécanisme
qui interviendrait, suite à une baisse drastique de poids, pour protéger
l'organisme contre un éventuel déficit énergétique,
en favorisant l'accumulation de graisses, même après que le
poids normal soit recouvré.
«Il est tentant d'établir un parallèle entre cette situation
et celle que vivent les personnes qui suivent des régimes amaigrissants,
poursuit-il. Il se pourrait que, lorsqu'elles terminent leur régime
et reprennent une diète normale, elles éprouvent beaucoup
de difficulté à ne pas reprendre du poids parce que leur
organisme brûle moins de calories qu'auparavant. Nous espérons
pouvoir tester prochainement cette hypothèse chez un groupe de personnes
obèses.»