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20 juin 1996 ![]() |
Centre d'interprétation multimédia, lieu de rencontre et d'animation,
attraction touristique et culturelle, le Parc de l'aventure basque en Amérique
qui sera inauguré officiellement à Trois-Pistoles le 22 juin,
c'est aussi l'aboutissement de près de quinze années de recherches
menées par une équipe du CELAT (Centre d'études interdisciplinaires
sur la langue, les arts et les traditions des francophones en Amérique
du Nord), qui n'a pas ménagé ses efforts pour faire connaître
les résultats de ses travaux et s'impliquer dans leur mise en valeur
en étroite collaboration avec la population de la région.
L'aventure commence à Bordeaux...
L'aventure commence par celle d'un jeune chercheur qui découvre un
beau sujet de thèse. C'est au début des années 1980,
à l'Université de Bordeaux. Un étudiant canadien, inscrit
en histoire, Laurier Turgeon, s'intéresse, dans le cadre de sa thèse
de doctorat, à l'histoire de ces pêcheurs basques qui, dit-on,
auraient exploité les rives du Saint-Laurent avant Champlain. Le
sujet est relativement nouveau: au début des années 1970,
Mgr René Bélanger, à partir de sources imprimées,
publie un ouvrage qui montre l'importance de la présence basque dans
le Saint-Laurent dès le XVIè siècle. En 1980, les chercheurs
de Parc Canada mettent à jour à Red Bay, au Labrador, un ensemble
imposant de fours érigé par les Basques et trouvent un trésor
archéologique: un bateau basque coulé dans la baie, resté
en parfait état de conservation grâce à la basse température
des eaux.
À Bordeaux, Laurier Turgeon découvre un autre trésor,
historique celui-là: les archives de la ville contiennent, complètement
négligées, les minutes des quarante notaires qui, au XVIè
siècle, enregistraient pour les riches armateurs de l'endroit, contrats
d'armement et d'assurances, listes des équipages et des marchandises,
des milliers de pages de documents qui permettent de retracer l'histoire
de tous ces voyages de pêche aux Terres neuves, qui se révèlent
beaucoup plus nombreux et importants que l'on aurait pu croire. De 1983
à 1989, il obtient diverses subventions du CRSH (Conseil de recherches
en sciences humaines) qui lui permettront d'engager sur place une professionnelle
de recherche habituée à déchiffrer ces écrits,
illisibles pour les non-initiés, tandis que six étudiants
québécois se relaieront pour exploiter ce précieux
fonds.
En 1990, une autre subvention triennale du CRSH lui permettra de compléter
ces données bordelaises par l'étude des archives notariales
de La Rochelle, Rouen et Paris ce qui donnera lieu à plusieurs thèses
de maîtrise et de doctorat, portant par exemple sur la nourriture
et le mode de vie des marins ou sur le trafic des fourrures canadiennes
en Europe.
...et se poursuit à l'île aux Basques
Nommé professeur à l'Université Laval au milieu des
années 1980, Laurier Turgeon a hâte de retrouver les sites
basques situés dans l'estuaire du Saint-Laurent que ses recherches
à Bordeaux lui ont fait pressentir. Des subventions du FCAR et du
Ministère de la culture lui permettent d'embaucher des étudiants
en archéologie pour une première exploration qui se poursuit
notamment sur le site de Bon Désir. En 1989, le hasard lui fait rencontrer
le président de la société Provancher. Propriétaire
de l'île aux Basques, en face de Trois-Pistoles, la société
est soucieuse de mettre en valeur le patrimoine archéologique de
l'île et confie cette tâche au chercheur de Laval, amorçant
ainsi une étroite collaboration entre l'Université et la Société
Provancher.
Entreprises avec des subventions du FCAR et de Communications Canada, les
fouilles menées sous la direction de Dominique Lalande (1990) et
de Réginald Auger (1991-1993) emploient chaque été
une douzaine d'étudiants et se révèlent particulièrement
fructueuses. Restée pratiquement inhabitée pendant 300 ans,
jalousement protégée par la société Provancher
qui en a fait un sanctuaire d'oiseaux, l'île a conservé quatre
sites de fours basques intacts. L'étude de ces sites permet de confirmer
que les pêcheurs basques ont utilisé l'île comme base
saisonnière entre 1580 et 1630 pour traiter les baleines capturées
en face, à l'embouchure du Saguenay, et, avec l'aide de courants
marins favorables, remorquées jusque dans les petites baies de l'île.
Au cours de leurs fouilles, les archéologues mettent aussi à
jour un important site d'occupation amérindienne. Quelques 35 000
pièces témoignent du fait que l'île a été
très régulièrement fréquentée entre les
années 800 et 1600 par les Amérindiens qui venaient y chasser
le phoque et le béluga. Enfin, tous les indices ont été
réunis qui montrent que l'île a été un des premiers
lieux de contact et de traite entre Européens et Amérindiens
dès la fin du XVIè siècle. Complétés
par les recherches menées dans les fonds notariaux français,
ces travaux ont permis aussi de mieux connaître les débuts
de la traite de la fourrure en Amérique du Nord, une activité
qui était encore peu documentée et dont la pénétration
via le Saint-Laurent s'est étendue beaucoup plus loin que l'on pensait
vers les grands lacs et l'Est américain. Tout cela constituait un
imposant ensemble de découvertes historiques et archéologiques
qu'il aurait été bien dommage de garder sous le boisseau.
Un partenariat avec la population
«Il est assez rare qu'une recherche soit aussi rapidement mise en valeur
que celle de l'île aux Basques» constate aujourd'hui, avec satisfaction,
Laurier Turgeon. En fait, dès la première fouille, les responsables
avaient pris la peine, chaque année, de convoquer la presse et de
réunir la population locale pour faire le bilan des travaux de la
saison. Ce qui a valu au projet bon nombre d'articles et d'émissions
de télévision. Mais surtout, cela a permis de sensibiliser
la population aux richesses patrimoniales de l'île. Une population
d'autant mieux disposée à entendre ce message que cette île,
à la fois distante et toujours présente dans le paysage de
Trois-Pistoles, est devenue avec le temps un lieu mythique, si bien que,
par un phénomène d'identification original, les Basques, c'est
aussi le nom de la Municipalité régionale de comté,
de la Commission scolaire et d'un nombre croissant de raisons sociales dans
ce petit coin du Bas-Saint-Laurent.
Autour de ces mystérieux Basques, venus si tôt et repartis
si vite, s'est développé dans la population le sentiment d'une
identité régionale bien distincte, que les découvertes
archéologiques venaient en quelque sorte nourrir et justifier. C'est
dans ces conditions favorables que la mise en valeur du projet démarre,
dès 1992, alors que les fouilles ne sont pas encore terminées
mais ont déjà donné des résultats significatifs.
Un premier projet de développement patrimonial et touristique avait
été ébauché par un groupe de citoyens pistolois
épaulé par la municipalité. Soucieux de mettre en valeur
les recherches faites sur l'île sans nuire à son environnement
naturel exceptionnel, les responsables de la Société Provancher
convainquent ces promoteurs de développer «sur le continent»
la thématique basque, une thématique originale qui n'a guère
été développée jusque là au Québec.
À l'été 1992, un premier projet est élaboré:
un projet polyvalent qui prévoit à la fois un centre d'interprétation
sur la présence basque dans le Saint-Laurent, un centre de généalogie
qui permettra entre autres aux Québécois d'origine basque
de retrouver leurs origines, un centre de recherche, d'animation et de rencontre
qui fera le lien entre la région des Basques et ses habitants et
le Pays Basque d'hier et d'aujourd'hui. Un comité. d'implantation
est formé où l'Université Laval, représentée
par Laurier Turgeon, a une place d'office.
Pendant près de quatre ans, au prix d'innombrables aller et retour
de jour et de nuit entre Québec et Trois-Pistoles, notre chercheur
participe très activement à toutes les étapes du projet:
étude de faisabilité, recherche de subventions, choix des
chargés de projet et des architectes, conception de l'exposition...
pour aboutir à cette inauguration officielle du 22 juin prochain
qui réunira les représentants de cinq gouvernements car le
projet a maintenant pris une dimension internationale, intéressant
tant les Basques de la diaspora américaine que ceux du Pays Basque
Nord (côté français) et Sud (côté espagnol).
Le Parc de l'aventure basque en Amérique c'est aussi: un défi
intéressant mais difficile, relevé grâce à la
remarquable participation de la population locale qui a investi au départ
quelque 400 000 $ dans un projet qu'elle a réellement fait sien;
un projet que les gouvernements du Canada, du Québec et le CRDE ont
endossé à hauteur d'un million de dollars; un projet créateur
d'emplois (les deux chargés de projet, André Kirouac et Isabelle
D'Amours, et plusieurs des guides sont inscrits dans divers programmes à
Laval); une attraction touristique qui devrait être bénéfique
pour l'économie de la région; une construction architecturale
avant-gardiste qui figure une baleine sortant de l'eau, complétée
par le premier fronton de pelote basque à être construit au
Canada; une exposition qui suscite l'esprit de découverte par le
recours aux techniques multimédia; un fonds documentaire sur l'histoire
locale et des banques de données généalogiques et toujours,
au large, dans les embruns, l'île mystérieuse qui garde encore,
enfouis dans son sol, d'autres trésors archéologiques à
découvrir, d'autres aventures à rêver.