Les dépenses en soins de santé remis en question
Moins de soins, plus de santé?
Le Québec ne doit pas tomber dans le même piège
que l'Ontario et l'Alberta, prévient Paul-Auguste Lamarche.
En 1970, le Canada investissait 7 % de son produit national brut (PNB) dans
les soins de santé et l'espérance de vie du Canadien moyen
était d'environ 75 ans. En 1990, cet investissement avait grimpé
à 10 % du PNB mais l'espérance de vie était toujours
de 75 ans. Dans les sept pays les plus industrialisés, il ne semble
plus y avoir de corrélation nette entre les montants investis dans
les soins de santé et les principaux indicateurs de santé,
note Paul-Auguste Lamarche, professeur au Département de médecine
sociale et préventive, dans un récente parution du périodique
Public Health Report.
Ainsi, le taux de mortalité infantile, l'espérance de vie
à la naissance et le taux de mortalité semblent tous plafonner
en dépit de l'accroissement des investissements en soins de santé
observé au cours des dernières décennies. «Depuis
un demi-siècle, explique Paul-Auguste Lamarche, nos systèmes
de santé se sont développés en fonction d'un modèle
simplifié de la réalité voulant que l'augmentation
des ressources se traduise, en bout de ligne, par une meilleure santé
de la population. Maintenant que nous sommes confrontés aux limites
de ce paradigme, nous percevons les conséquences de cette sur-simplication.»
Prévenir ou guérir?
Les coûts des services de santé croissent de quatre à
cinq fois plus rapidement que la richesse collective, observe le professeur
Lamarche. Aux États-Unis, si le rythme actuel se maintient, le pourcentage
du PNB consenti aux soins de santé (présentement à
14 %) atteindra 19 % en l'an 2 000. Peu importe les montants investis,
tous les pays s'interrogent présentement sur ces investissements,
poursuit-il. «Ce qui est remis en question, ce ne sont pas tant les
sommes consenties que le retour en terme de santé de ces investissements.
Consacrer 10 ou 14 % du produit national brut à la santé
n'est peut-être pas exagéré. Par contre, c'est trop
si ces sommes ne contribuent pas à la santé de la population.
Les soins de santé, tels qu'on les connaît présentement,
ne sont peut-être pas la meilleure façon d'améliorer
la santé, ni d'investir les fonds publics.»
Peu à peu, les gouvernements, aidés par la crise des finances
publiques, modifient leur approche de la santé, note Paul-Auguste
Lamarche. «Un nouveau paradigme est en émergence. Il ne faut
plus se demander quels types de soins doit-on fournir pour répondre
à certains problèmes de santé mais plutôt quelles
actions doit-on poser pour régler ces problèmes? Et la réponse
ne sera pas toujours d'offrir plus de soins.» Des facteurs comme les
conditions de logement, la nutrition, un revenu minimal décent, l'environnement
physique et social jouent aussi un rôle déterminant en santé.
Dans bien des pays cependant, les soins de santé monopolisent tellement
de ressources qu'il en reste peu à consacrer à l'amélioration
des conditions de vie.
Si on ne réussit pas à renverser la vapeur, craint le professeur,
nous serons condamnés à payer de plus en plus pour un système
de santé offrant de plus en plus de soins dont l'utilité sera
de moins en moins évidente.
La réforme québécoise
Après avoir été responsable de la planification à
l'Organisation mondiale de la santé, Paul-Auguste Lamarche a occupé,
de 1986 à 1992, le poste de sous-ministre associé à
la réforme au ministère de la Santé et des Services
sociaux. Il a donc touché de près le dossier de la réforme
des soins de santé du Québec, «assez pour me brûler
les doigts», admet-il. Et selon lui, l'esprit de la réforme
québécoise, qui s'inscrit dans les grandes tendances observées
dans le monde, intègre le nouveau paradigme de la santé.
«En théorie, la réforme mise sur les soins et aussi sur
les autres
prérequis à la santé. En pratique cependant, je crains
que ce discours ne soit récupéré pour justifier des
coupures dans les services de santé sans que les sommes économisées
ne soient réinvesties ailleurs dans la promotion de la santé.
Il faudra être très alerte pour que le Québec ne tombe
pas dans le même piège que l'Ontario et l'Alberta.»
JEAN HAMANN
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