Le Traité maltraité
Histoire
Le Traité maltraité
Le lourd contentieux entre les Québécois francophones
et leurs concitoyens autochtones éclate à nouveau lors d'un
débat sur le dernier ouvrage de Denis Vaugeois.
D'un côté, l'historien Denis Vaugeois, directeur des Presses
de l'Université Laval, coauteur, en 1992, du livre L'Indien généreux:
ce que le monde doit aux Amériques. De l'autre côté,
Bernard Cleary, montagnais d'origine, journaliste et conseiller de la nation
huronne. Entre les deux hommes, un livre intitulé La Fin des alliances
franco-indiennes, Enquête sur un sauf-conduit de 1760 devenu un traité
en 1990, paru aux Éditions du Boréal. Sans doute conscient
de la portée de cet ouvrage dont le résume parfaitement la
pensée de son auteur, le public assiste en masse à ce débat-rencontre
qui se déroule au coeur de la pyramide du Centre Innovation, en ce
mercredi 31 janvier.
D'entrée de jeu, l'auteur de La Fin des alliances franco-indiennes,
Denis Vaugeois, souligne qu'il n'est «ni pour ni contre» les Amérindiens.
Seulement, il a voulu faire la lumière sur une période méconnue
de notre histoire, l'année 1760, année qui marque la capitulation
de Montréal aux mains des troupes anglaises. «Mes recherches
m'ont amené à m'étonner sur la validité du 'traité
de Murray", lance-t-il. En fait, je me suis demandé ce qui avait
pu conduire la Cour suprême du Canada à reconnaître,
en 1990, la simple photocopie d'un document de 1760 comme un traité
procurant certains droits à une nation amérindienne. De toute
façon, James Murray n'avait ni l'autorité ni la la capacité
de signer un traité avec des Indiens.»
Avec l'adoption de la Charte des droits et des libertés stipulant
que les droits issus de traités seront respectés, estime Denis
Vaugeois, les Indiens se sont forgé une redoutable arme juridique
qui laisse parfois l'impression qu'il existe deux catégories de citoyens:
les uns soumis aux lois provinciales et à l'obligation de payer des
taxes, les autres non.
De l'huile sur le feu
Il n'en faut pas plus pour que Bernard Cleary sorte littéralement
de ses gonds et explose à la face de cet historien qui, à
son avis, prend des libertés avec l'histoire. Selon lui, La Fin des
alliances franco-indiennes constitue «un travail d'incompétent»,
où l'auteur tombe à bras raccourcis sur les autochtones, «dans
le seul but de jeter de l'huile sur un feu déjà passablement
alimenté». L'impression pro-autochtone qu'avait laissée
Denis Vaugeois avec l'écriture du livre L'indien généreux
est complètement effacée, croit t-il: «En montrant "l'égarement"
des juges qui se sont prononcés sur la validité du Traité
de Murray, Denis Vaugeois vise ni plus ni moins à discréditer
la Cour suprême du Canada. Finalement, il donne des arguments à
des juristes bornés pour abattre les autochtones. Après, on
se demandera pourquoi les négociations autochtones n'aboutissent
pas.»
Pendant que la salle retient son souffle face aux propos passionnés
de Bernard Cleary, Denis Vaugeois, lui, ne perd pas son calme, et réitère
son idée: dans sa forme et dans son fond, le «Document Murray»
n'a aucune apparence de traité - la signature des Hurons n'y apparaît
d'ailleurs même pas - et ne constitue qu'un sauf-conduit permettant
aux Hurons d'aller et venir sans être inquiétés par
les troupes anglaises.
«La Loi ayant tranché, le débat devient stérile»,
conclut Bernard Cleary, avant de s'adresser directement au public dans un
véritable plaidoyer pour la nation amérindienne. «Les
autochtones ne paient peut-être pas de taxes mais sachons que 90 %
d'entre eux vivent de l'aide sociale. Quant aux 10 % qui restent, ils ne
gagnent pas assez d'argent pour en payer. Vous savez, les autochtones ne
demandent pas mieux que de s'asseoir à une table de négociations
et de pouvoir s'entendre avec vous à l'intérieur d'un nouveau
contrat social.»
La Fin des alliances franco-indiennes, Enquête sur un sauf-conduit
de 1760 devenu un traité en 1990. Denis Vaugeois. Les Éditions
du Boréal. 1995, 288 p.
RENÉE LAROCHELLE
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