23 mai 1996 |
Les petits maquereaux en mènent large sous les flots bleus de
l'Atlantique. Végétariens pendant leurs premiers jours d'existence,
ils prennent rapidement goût au zooplancton et, dès qu'ils
font plus de 6 mm de longueur, ils s'attaquent férocement aux autres
larves de poissons, dont certaines appartenant à leur propre espèce.
Les habitudes alimentaires de ces voraces petites bêtes viennent d'être
mises à profit par deux chercheurs du Département de biologie,
membres du GIROQ (Groupe interuniversitaire de recherches océanographiques
du Québec), pour tester l'hypothèse voulant que la présence
de proies alternatives comme les copépodes (de minuscules animaux
marins vivant en suspension dans l'eau) réduise la mortalité
par prédation chez les poissons. «Cette hypothèse vient
d'expériences réalisées en laboratoire qui reproduisent
toujours imparfaitement les conditions du milieu naturel, dit l'un des chercheurs,
Louis Fortier. La question méritait d'être tirée au
clair puisqu'elle a des incidences importantes sur notre compréhension
des fluctuations de la taille des stocks de poissons.»
Maquereau-économie
Louis Fortier et sa collègue Ann Villeneuve ont donc entrepris de
tester cette hypothèse en milieu naturel en étudiant le régime
alimentaire de larves de maquereau capturées au large des côtes
de l'Île de Sable en Nouvelle-Écosse. Au printemps, le maquereau
quitte les côtes de la Nouvelle-Angleterre en direction du Golfe Saint-Laurent
et de la Nouvelle-Écosse où il se reproduit entre juin et
août. À l'aide de filets à plancton, les chercheurs
ont capturé des larves dont la longueur variait entre 3 et 14 mm,
ce qui équivaut à des âges allant de 4 à 16 jours,
et ils ont analysé le contenu de leur estomac.
Les données recueillies, qu'ils rapportent dans le numéro
d'avril de Fishery Bulletin montrent que dès qu'elles atteignent
une taille qui le leur permet, les larves de maquereaux se rabattent sur
les larves de poissons comme source de nourriture. «Une larve de poisson
contient autant d'énergie que 15 à 25 copépodes, explique
Louis Fortier. De toute évidence, les jeunes larves de poissons sont
des proies recherchées par les petits maquereaux qui semblent les
pourchasser activement puisqu'ils les attrapent et les avalent toujours
par la queue.»
Les deux tiers des larves de poissons consommées par les petits maquereaux
sont elles-mêmes des maquereaux. Cette proportion correspond en gros
à la fréquence relative de cette espèce dans la zone
étudiée, observent les chercheurs, ce qui porte à croire
que, tant qu'il s'agit de poisson, les maquereaux ne font pas la fine gueule.
«Les larves qui viennent d'éclore ne sont pas très agiles,
poursuit Louis Fortier. Pendant les quatre premiers jours de leur existence,
ce sont des proies faciles pour les maquereaux.»
La loi de la jungle
Les chercheurs ont cependant noté que la quantité de poissons
capturés par les maquereaux diminuait de façon exponentielle
avec l'abondance des copépodes, confirmant ainsi l'hypothèse
des proies alternatives élaborée en laboratoire. «Il
semble que les jeunes maquereaux soient continuellement en quête d'autres
larves de poissons mais que lorsqu'ils rencontrent un copépode, ils
soient incapables de s'empêcher de le capturer, voracité oblige,
dit Louis Fortier. Par la force des choses, plus les jeunes maquereaux passent
de temps à ingérer des copépodes, moins ils mangent
d'autres larves de leur espèce ou d'autres espèces de poisson.»
Malgré les quantités astronomiques d'oeufs pondus par les
femelles, les poissons ne semblent pas connaître d'explosion démographique
comme, par exemple, les insectes. «On a longtemps cru que les larves
de poissons mourraient de faim mais de plus en plus d'études tendent
à confirmer que la prédation joue un rôle crucial dans
la structure et le contrôle des populations de poissons, dit Louis
Fortier. Le sort de 95 % des poissons est d'être dévoré
par un autre poisson ou d'être capturé par des pêcheurs.
Et le phénomène intervient très tôt dans la vie
d'un poisson. Nos données montrent que, dans la zone d'étude,
entre 7 et 57 % des larves de poissons «naissant» chaque jour
sont dévorées par les larves de maquereau. La prédation
est la loi de la jungle planctonique.»