23 mai 1996 |
Comme le Bourgeois gentilhomme de Molière qui faisait de la prose
sans le savoir, les producteurs laitiers conventionnels semblent avoir adopté
à leur insu certaines pratiques biologiques. Depuis deux ans, une
équipe de chercheurs de la Faculté des sciences de l'agriculture
et de l'alimentation scrute à la loupe douze fermes du comté
de Lotbinière, dont la ferme de Tilly à Sainte-Croix qui appartient
à l'Université Laval. Système de culture, rendement
et qualité des récoltes, santé du troupeau, qualité
des eaux souterraines, qualité du lait: professeurs et étudiants
passent au crible chacune des étapes de production des exploitations
conventionnelles et des exploitations biologiques, réunies pour les
besoins de l'étude.
Dotés des renseignements fournis par les agriculteurs, les chercheurs,
financés par le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries
et de l'Alimentation, ont cherché à établir des points
de comparaison et des différences entre les deux types d'exploitation
afin d'examiner la viabilité économique et l'efficacité
environnementale de la production laitière biologique. Ils ont ainsi
constaté que si les agriculteurs biologiques parvenaient à
une certaine autosuffisance en achetant moins d'aliments pour leur troupeau
et en n'utilisant pas d'engrais chimique, il devaient par contre posséder
plus de champs pour récolter du fourrage. Une variable qui a son
importance dans un milieu où la valeur de la terre agricole est assez
élevée.
Les vaches bio en santé
Selon le coordonnateur de l'étude, Guy Allard, professeur à
la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation, les
adeptes d'une agriculture biologique semblent également moins faire
appel aux vétérinaires que les exploitants traditionnels en
pratiquant davantage la prévention. En contrepartie, leurs vaches,
moins poussées à produire, fourniraient des quantités
de lait inférieures de 10 à 12 % à celles produites
par leurs «consoeurs». Le lait obtenu avec des méthodes
biologiques présenterait également quelques caractéristiques
différentes du lait du troupeau conventionnel, comme une concentration
moindre en protéines vraies, ce qui pourrait entraîner un rendement
fromager moins important. «Ce phénomène pourrait s'expliquer
par une alimentation des vaches biologiques plus pauvre en concentrés
de céréales et en dérivés de soja», remarque
Guy Allard.
Par contre, qu'elles soient «conventionnelles» ou «biologiques»,
les fermes laitières étudiées semblent pratiquer la
même rotation de cultures, légumineuses, céréales
et prairies selon les années et obtenir des rendements agricoles
relativement semblables. Fait intéressant à noter, les eaux
de drainage sont très peu polluées, même sur les exploitations
qui emploient des engrais chimiques. Il faut dire que la production laitière
nécessite bien moins d'herbicides ou d'engrais de synthèse
que d'autres types d'agriculture, comme la production de maïs ou la
culture maraîchère.
Finalement, avec ces quelques résultats partiels obtenus après
deux ans d'étude, les chercheurs considèrent que les producteurs
laitiers paraissent être les agriculteurs les mieux placés
pour envisager le passage à l'agriculture durable. «Ils ont
l'avantage de contrôler quasiment tout le système de production
en produisant eux-même le fourrage et les céréales nécessaires
au troupeau,» explique Guy Allard. L'étude, qui se poursuit
jusqu'en 1997, pourrait permettre d'affiner certaines données, en
particulier sur la santé du troupeau.
Cet été, les chercheurs vont notamment tenter de comprendre
quelle démarche suivent les agriculteurs biologiques lorsque leurs
vaches souffrent d'infections. Généralement, ils traitent
les maladies comme l'inflammation du pis avec des médicaments homéopathiques
et non des antibiotiques, mais la question de la transmission de l'infection
au lait reste encore en suspens.