9 mai 1996 |
Pénétrer au 79 Crémazie Est, dans le quartier Montcalm,
c'est un peu comme sauter d'un coup dans la caverne d'Ali-Baba. D'immenses
rouleaux de tissus occupent le moindre recoin horizontal ou vertical de
la pièce, des rangées de vêtements serrés montent
la garde le long des murs et un mannequin habillé trône dans
l'entrée. C'est ici que Leila Ligougne et Alex Tessier, rêvent,
imaginent, conçoivent, commercialisent les Sans-Culottes, une ligne
de vêtements vendue dans plusieurs magasins de Québec, Montréal,
Toronto.
Chemises abondamment fleuries, blousons bleu électrique, robes moulantes
à motif peau de serpent, bustiers noirs serrés, la mode qu'ils
lancent s'affiche jeune, joyeuse et surtout féminine. Influencée
par le design européen, Leila, dessine volontiers des modèles
près du corps, qui mettent les courbes en valeur, comme cette jupe
qui descend en dessous du nombril pour un décolleté coquin.
«Nos créations à prix abordables s'adressent aux jeunes
de 15 à 30 ans, qui sortent beaucoup et consacrent une bonne partie
de leur budget à leur habillement», explique Alex Tessier, diplômé
en sciences de l'administration, spécialisation finances.
En suivant ses cours de marketing, le coordonnateur des Sans-Culottes a
bien compris l'importance de donner une image à une ligne de vêtements,
afin que les acheteurs s'y identifient, et de viser une clientèle
spécifique. Films, magazines, vidéos, musique rap, hip-hop,
techno-pop, sites internet, les deux associés nagent dans l'actualité
artistique susceptible d'influencer la consommation des jeunes afin de saisir
l'ambiance de l'air du temps. La styliste emprunte des éléments
de la mode grunge ou du style snowboardI, en les adaptant les grandes tendance
de cette culture mondiale à la sauce locale. «À Québec,
les jupes se portent assez longues et les imprimés avec un peu de
satin fonctionnent bien à Montréal et Toronto,» remarque
Leila Ligougne, qui a étudié le stylisme de mode à
Paris.
Tout est dans la longueur
La jeune entreprise a pris son envol en septembre 1994 avec, comme mise
de fonds, les économies de Leila et d'Alex qui ne se satisfaisait
pas des offres d'emplois de représentants offertes sur le marché
à sa sortie de l'Université Laval. Pendant plusieurs mois,
ils ont préparé leur première collection, puis, armés
de leurs premiers échantillons, ils ont rencontré des acheteurs,
des agents représentant plusieurs lignes de vêtements afin
d'ajuster leur collection aux réalités du marché. Après
leurs commentaires, les jupes ont rallongé, le nombre de tissus s'est
restreint et l'âge des futurs clients s'est précisé
à travers le style de vêtements.
De fil en aiguille, Leila Ligougne et Alex Tessier ont appris qu'il leur
fallait fréquenter les fournisseurs newyorkais pour trouver des tissus
de couleur variée, que les sous-traitants qui confectionnent leurs
modèles réclamaient des détails extrêmement précis
sur les patrons. Mais ils ont surtout découvert l'extrême fragilité
du marché. «Dans mes livres universitaires, pour offrir un produit
il suffisait de trouver un fournisseur, un conseiller en opérations,
un distributeur et le problème était réglé,
explique le bachelier en administration. Mais en fait, ce secteur fonctionne
vraiment de manière broche à foin. On est bien loin du service
à la clientèle et de la qualité totale». Ainsi,
ils ont déjà subi des mauvaises expériences en manquant
de tissu en arrivant en phase de production ou en découvrant des
coupes douteuses sur les modèles finis.
Leurs vêtements, confectionnés par des sous-traitants de la
région de Québec ou de la Beauce pour les chemises, devraient
bientôt prendre le chemin de l'Ouest canadien et du reste de la province
dans les valises des représentants. Prudent, Alex Tessier réinvestit
tous les profits dans l'entreprise car l'avance constante d'une collection
les oblige à détenir des liquidités pour l'achat de
tissu. Il conserve donc un emploi à temps partiel plus lucratif à
l'extérieur des Sans-Culottes. «Au début, je trouvais
mes cours universitaires très théoriques, explique-t-il. Mais
peu à peu, j'ai utilisé mes connaissances pour monter le plan
comptable, le plan d'affaires, pour présenter le produit aux médias.
Grâce à ces notions en marketing, finances et autres, il sait
mieux à qui confier la tâche à éxécuter.
De la graine de capitaine d'industrie?