9 mai 1996 |
L'exposition que présentent cette année les 30 finissants
et finissantes en arts plastiques de l'École des arts visuels pourrait
fort bien se passer de commentaires. À l'instar de la musique ou
de la littérature, les oeuvres d'art parlent en effet par elles-mêmes;
les personnes qui considèrent que leur temps est précieux
devraient donc courir dès demain à l'édifice La Fabrique
(255 boul. Charest Est) sans s'attarder plus longtemps à cet article.
Les plus pressées peuvent se rendre au vernissage qui a lieu aujourd'hui
le 9 mai, à 19 h, et rencontrer du même coup les artistes.
Enfin, ceux et celles qui souhaitent en savoir plus long sur une exposition
qui sort quelque peu des sentiers battus peuvent continuer leur lecture.
«Il s'agit là d'une exposition d'envergure, explique Carole
Hamann, présidente de l'Association des finissants en arts plastiques
et coordonnatrice de l'événement. En tout, près de
120 pièces sont présentées dans cinq grandes salles
et trois espaces connexes. Cette année, les finissants offrent une
multitude d'oeuvres d'une grande diversité. Que ce soit en peinture,
sculpture, photo ou autre, elles résultent toutes d'une expérience
personnelle, originale et signifiante qui habite chaque être humain.
Finalement, ces derniers pas à l'école des arts sont les signes
d'une réflexion et d'une soif de nouveauté qui ouvrent les
portes sur le monde extérieur.»
Pierre, bois et métal
Présentant elle-même quatre sculptures, Carole Hamann travaille
avec une pierre tendre, la stéatite, qu'elle taille directement au
ciseau. Privilégiant ce matériau en raison de son caractère
d'éternité, l'artiste exploite la figure humaine qui constitue,
selon elle, la forme la plus parfaite au monde. Attirée par le classicisme
et la grâce des sculptures grecques, Carole Hamann sculpte essentiellement
des torses, bien qu'il lui arrive de réaliser des oeuvres plus abstraites:
«J'aime la pierre parce qu'elle me permet d'entrer tout de suite dans
le vif du sujet.»
De son côté, Céline Beaudoin sculpte le bois directement
à la scie, polissant parfois son travail avec du papier sablé.
Naviguant constamment entre l'abstrait et le figuratif («C'est mon
écriture artistique»), elle affirme être préoccupée
depuis toujours par la fragilité du corps humain. Si érotisme
et sensualité se dégagent des trois sculptures qu'elle propose,
Céline Beaudoin se défend bien de présenter des «objets
décoratifs», axant plutôt son travail sur la recherche.
Richard Michaud, lui, présente une dizaine de sculptures en bois,
métal et plâtre. Artiste manuel avant tout, le jeune homme
a déjà fabriqué des casques de canot-kayak et se verrait
très bien travailler dans un atelier de métal ou en menuiserie.
The sky is the limit
«Avec les contraintes que je m'impose, je n'ai pas droit à l'erreur»,
souligne Alison Hamier, qui a développé un procédé
tout à fait original: au lieu d'étaler la peinture pour couvrir
les fibres de la toile, elle fait apparaître une image en enlevant
la couleur. Essentiellement figurative, sa peinture met en scène
des personnages statiques dont le regard interroge le spectateur. Ainsi
en est-il de L'enfant de la guerre, du titre d'une de ses oeuvres: vieux
avant l'âge de la guerre en ex-Yougoslavie, le petit garçon
de quatre ans a le regard usé d'un homme de 70 ans.
Peignant des tableaux où se profilent des formes anthropomorphiques,
Carole Tanguay a développé une forte attirance pour les couleurs
contrastantes qui crèvent littéralement la toile, si on peut
dire. Fascinée par les forces contraires, jouant constamment sur
l'ordre et le désordre, l'artiste réalise également
des sculptures en bois, dont le dépouillement recèle bien
des mystères. Son collègue David Thiboutot, lui, peint d'immenses
tableaux où s'accumulent des couches de papier, signe inéluctable
du temps qui passe et qui ne revient jamais: «Je n'essaie pas de créer
l'illusion d'une image. C'est la peinture en tant que telle qui m'intéresse».
Mais encore? «La couleur ne me parle pas parce que le soleil est jaune
et que le ciel est bleu. La couleur a sa vie propre: elle vibre. À
la limite, si je pouvais faire un tableau de 20 pieds par 30 représentant
le ciel, je le ferais. La couleur serait le tableau. Malheureusement, d'autres
y ont pensé avant moi.»
Les paradis artificiels
À travers leurs questionnements, leurs préoccupations et leurs
différences, les finissants demeurent cependant conscients d'avoir
choisi une voie difficile. En effet, qu'est-ce qui peut pousser une personne
à prendre la «galère» de l'art dans une société
qui considère encore que l'art est du domaine du superflu? Interrogés
à ce sujet, les finissants affirment que la création demeure
non pas un choix mais bien une nécessité pour eux. En outre,
ils croient qu'à l'instar des poètes et des écrivains,
les artistes ont une mission sur terre: faire réfléchir une
société aveuglée par des paradis artificiels.
«L'art est un hommage à la vie sous toutes ses formes, affirme
David Thiboutot. Face au manque de respect pour la vie qui prévaut
dans notre monde, l'artiste veut combler un vide et sensibiliser les gens
à la beauté.» Conscients que l'art est pavé de
bonnes intentions - mais qu'il ne nourrit pas nécessairement son
homme ou sa femme - les finissants en arts plastiques de l'École
des arts visuels n'ont cependant qu'une idée en tête: continuer
de chercher la voie. Leur voie?
L'exposition est ouverte de 11 h à 20 h, tous les jours de la semaine.
L'entrée est libre