Réutiliser des instruments chirurgicaux jetables?
CHIRURGIE
Jeter ou ne pas jeter?
Réutiliser certains instruments chirurgicaux jetables permettrait
aux hôpitaux d'économiser des sommes considérables,
sans que la qualité des soins en souffre.
Les hôpitaux pourraient économiser des sommes considérables
en réutilisant certains instruments chirurgicaux jetables, sans pour
autant mettre en jeu la santé de leurs patients, démontre
une étude effectuée par un groupe de chercheurs de la Faculté
de médecine (Hôpital du Saint-Sacrement). Ainsi, entre 1990
et 1994, la réutilisation d'instruments jetables lors de 874 laparoscopies
(interventions chirurgicales réalisées à l'aide d'instruments
insérés par une petite ouverture abdominale), a permis des
économies de l'ordre de 400 000$ à l'Hôpital du Saint-Sacrement.
En passant en revue ces 874 cas, Jean-Gaston DesCôteaux, Éric
Poulin, Micheline Lortie, Gilles Murray et Suzanne Gingras ont déterminé
que l'incidence des infections après chirurgie atteignait seulement
1,8 % et que la grande majorité de ces infections étaient
superficielles. Ce taux se compare avantageusement à ceux rapportés
dans d'autres études pour des interventions chirurgicales du même
genre, signale Éric Poulin.
Autre conclusion tout aussi importante, les auteurs ne rapportent aucune
complication reliée à un mauvais fonctionnement des instruments
réutilisés. Il semble donc que l'équipe médicale
soit en mesure d'exercer un jugement éclairé quant au bon
état des instruments laparoscopiques avant d'y avoir recours. Mentionnons
que la durée de vie moyenne de certains de ces instruments est de
68 interventions alors que d'autres doivent être remplacés
à toutes les 1,7 interventions.
Jetables ou non?
La réutilisation d'instruments médicaux jetables est un phénomène
répandu au Canada, semble-t-il. Un étude menée il y
a dix ans auprès de 1238 hôpitaux a révélé
que 41% d'entre eux y ont régulièrement recours et ce chiffre
grimpe à 86% pour les hôpitaux de plus de 200 lits. Cependant,
aucune étude n'avait encore porté spécifiquement sur
les instruments laparoscopiques.
Depuis la parution de leur étude dans le numéro de décembre
du Journal canadien de chirurgie, Éric Poulin et ses collègues
reçoivent du courrier provenant de gens de partout dans le monde,
intéressés à réduire les dépenses dans
leur propre hôpital. Il faut d'ailleurs signaler que l'étude
menée à l'hôpital du Saint-Sacrement a été
réalisée grâce au soutien financier du Conseil d'évaluation
des technologies de la santé du Québec. Ce Conseil, chargé
de conseiller le ministre de la Santé et des Services sociaux, souhaitait
obtenir davantage de données sur le sujet avant d'émettre
un avis.
La désignation "jetable", rappelle Éric Poulin,
est apposée aux instruments laparoscopiques par leurs manufacturiers
- américains pour la plupart -, guidés par la crainte d'éventuelles
poursuites judiciaires, sans mentionner l'effet positif de cette appellation
sur le volume des ventes. Conséquemment, la responsabilité
de prouver que ces instruments peuvent être réutilisés
en toute sécurité repose sur les épaules des hôpitaux.
«La réutilisation du matériel jetable n'est pas une aventure
dans laquelle on se jette tête baissée, prévient-il.
Il faut développer un protocole de réutilisation très
strict, en évaluer la performance et former du personnel pour accomplir
cette tâche. Les décisions doivent tenir compte des aspects
économiques et du bien-être des patients. Il est essentiel
que toutes les décisions concernant la réutilisation des instruments
médicaux jetables soient approuvées par le Conseil d'administration
de l'hôpital.»
En respectant des conditions strictes, la réutilisation d'instruments
jetables peut constituer un élément de solution aux problèmes
financiers des hôpitaux, dit Éric Poulin. «Dans le cas
de plusieurs technologies médicales spécialisées qui
coûtent très cher, il faut cependant réaliser que nous
n'avons pas vraiment d'alternative, ajoute-t-il. Ou nous réutilisons
les mêmes instruments ou nous n'avons tout simplement plus les moyens
de nous offrir ce type de soins.»
JEAN HAMANN
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