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25 avril 1996 ![]() |
Même si, avec le recyclage, une même feuille de papier vit
plusieurs vies, dans un journal, un emballage, un coffret à lettres,
il arrive un temps où la chaîne de la réincarnation
s'arrête. Les résidus trop usés doivent alors prendre
le chemin de la poubelle. Depuis quelques années, la papetière
Daishowa travaille, en collaboration avec les équipes de recherche
de l'Université Laval, à la valorisation de ces résidus
de désencrage. Chantal Beauchamp, professeure au Département
de phytologie à la Faculté des sciences de l'agriculture,
a donc décidé de les utiliser à la revitalisation de
sites très dégradés, comme une ancienne sablière
ou une friche industrielle. Il s'agissait en fait de créér
un couvert végétal capable d'enrayer l'érosion hydrique
et éolienne à moindre coût.
«Quand nous sommes arrivés sur la sablière de Saint-Lambert,
rachetée par un agriculteur, l'écosystème ressemblait
à celui d'un désert, explique la chercheuse. La première
couche du sol qui contient la plupart des micro-organismes, l'azote, le
phospore, le potassium qui font croître les plantes, n'existait plus.»
Avec son équipe, elle a donc commencé par disposer plusieurs
dizaines de tonnes de résidus provenant des usines Daishowa sur le
terrain, avant de fertiliser le sol en azote et en phosphore. Puis il a
fallu effectuer des essais en serre pour trouver le graminé le plus
agressif, capable de s'implanter rapidement dans un milieu dégradé.
Un parent du chiendent a finalement donné de bons résultats
et permis au cycle de la vie de repartir.
Le retour du mulot
Financé par Compost du Québec, le projet consiste en effet
à remettre sur pied l'écosystème d'un site très
dégradé et pas seulement à donner un coup de vert ponctuel.
Selon Chantal Beauchamp, l'utilisation de résidus de désencrage,
composés en grande majorité de fibres de bois, permet surtout
de retenir dans le sol le phosphore et l'azote ajoutés pour la croissance
des plantes. Au bout de quelques années, le système se stabilise
et la naissance d'un couvert végétal et de l'humus amène
le retour des petits animaux comme les souris, les mulots, les oiseaux qui
transportent avec eux des semences d'autres espèces végétales.
L'équipe a tenté également de reverdir un terrain industriel
appartenant à Daishowa en semant un mélange commercial d'herbes.
Là encore, les chercheurs ont utilisé les résidus de
désencrage comme base en testant différentes espèces
de graminés et plusieurs dosages d'engrais. Contre toute attente,
le principal adversaire à la réussite de leur entreprise résidait
non dans le sol, mais dans les airs. Les goélands, très nombreux
sur le site, raffolent en effet des petites pousses d'herbe tendre, et seules
les parcelles protégées par un filet ont pu survivre.
L'utilisation de résidus provenant du recyclage du papier pourrait
donc constituer une bonne alternative pour les sites dégradés
où les utilisateurs ne veulent pas investir de grosses sommes d'argent.
Contrairement aux composts auquels la manipulation donne une certaine valeur
ajoutée, ce type de matériau brut revient en effet très
peu cher et ne présente pas de risques majeurs de contamination.
«La composition de l'encre a beaucoup évolué depuis une
cinquantaine d'années, remarque Chantal Beauchamp. Aujourd'hui, les
métaux lourds ne se retrouvent qu'à l'état de traces
dans les résidus de désencrage.» Rien n'empêche
les chercheurs désormais d'effectuer des essais avec des résidus
provenant d'autres industries papetières.