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25 avril 1996 ![]() |
«La seule personne qui m'intéresse au monde, c'est moi. D'ailleurs, je relis continuellement mes livres.» C'est par cette déclaration pour le moins provocatrice que le romancier haïtien Dany Laferrière a commencé son exposé intitulé, à bon escient, «Parlons de moi», dans le cadre du colloque international de la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d'expression française en Amérique du Nord (CEFAN) qui avait lieu au Musée de la Civilisation, les 19 et 20 avril. Ce colloque posait le problème, en termes littéraires, du «dialogue des cultures»
Avec cette entrée surprenante, l'auteur de Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer a immédiatement conquis son auditoire, y allant de ses souvenirs d'enfance, faisant remonter à la surface de sa mémoire les impressions sensibles et indélébiles de cette période qui a marqué sa vie et son écriture: «À l'âge de huit ans, j'ai vu un riche pour la première fois. J'ai alors compris qu'il me fallait devenir un hors-la-loi.»
Quittant son village natal, au début des années 1960, pour aller faire ses études secondaires à Port-au Prince, capitale de «la perle des Antilles» (qui est aussi le pays le plus pauvre au monde) Dany Laferrière se heurte à la terrible réalité du régime dictatorial et policier institué par le président de la république de Haïti, François Duvalier. «Pendant que l'Occident vivait son adolescence, nous vivions les pires années du duvaliérisme. C'est là que j'ai développé une terrible méfiance envers les mots, notamment pour le mot ¨révolution¨, qu'il ne fallait surtout pas prononcer. Je le répète: ma seule porte de sortie a été de parler de moi et de n'en faire qu'à ma tête, c'est-à-dire écrire.»
Vivant actuellement aux États-Unis avec sa famille, «où tout le monde parle anglais sauf moi», Dany Laferrière avoue que la question de la défense de la langue française aux côtés des «nègres blancs d'Amérique» ne figure pas parmi ses priorités. «Ma première langue, c'est le créole», se plaît-il à dire. Et quand on lui demande s'il compte retourner vivre à Haïti un jour, l'écrivain répond que «la seule patrie qui (m}'intéresse est celle de l'enfance: il y a des intellectuels qui veulent retourner à Haïti pour participer à l'action et agir. Bien. Moi, c'est en écrivant que j'agis.»
La religion de l'enfance
Sur un ton plus sobre mais extrêmement émouvant, le romancier David Plante a témoigné de son enfance de petit franco-américain, pour qui la langue française était essentiellement celle de la religion. Né à Providence, Rhode Island, dans la paroisse Notre-Dame-de-Lourdes, David Plante a souligné l'effet puissant qu'avaient exercé sur lui ces sermons du dimanche prononcés exclusivement en français par un curé qui entendait bien garder ses ouailles dans le droit chemin, celui de la foi: «Nous étions en quelque sorte les élus de Dieu», a rappelé l'écrivain.
Ayant définitivement troqué la religion des dogmes pour celle des images, élevé par un père parlant exclusivement en anglais, David Plante puise son inspiration aux sources de l'enfance, enfance inextricablement liée à l'histoire d'une race qui n'existe plus. «On me reproche parfois mon style trop simple. Pour moi, il ne fait aucun doute que c'est là le résultat de mes limitations culturelles et linguistiques. Bien que mon passé soit perdu, je peux toujours le ressuciter par l'écriture.»
Auteur de nombreux romans publiés en Amérique du Nord et en Europe, David Plante écrit depuis ses débuts dans la langue de Shakespeare, bien qu'il lui arrive, à l'occasion, de jeter quelques notes en français sur un feuille de papier, question de faire résonner en lui la petite musique de cette enfance jamais oubliée.