25 avril 1996 |
L'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences
(ACFAS) a choisi Edwin Bourget, professeur au Département de biologie,
écologiste marin et secrétaire général du GIROQ,
comme récipiendaire 1996 du prix Michel-Jurdant dédié
aux Sciences de l'environnement. Ce prix, qui récompense la qualité
de ses recherches et l'ensemble de sa carrière, lui sera officiellement
remis lors du Congrès annuel de l'ACFAS qui aura lieu du 13 au 17
mai à Montréal.
D'aussi loin qu'il se souvienne, Edwin Bourget n'a jamais envisagé
devenir autre chose que chercheur en écologie marine. Pas étonnant
puisque son enfance passée à Lévis, puis aux Îles-de-la-Madeleine
et en Gaspésie, lui a donné toute les chances au monde d'entendre
l'appel de la mer. «J'ai toujours aimé les animaux marins et
vers l'âge de 14 ou 15 ans, je me souviens avoir été
très impressionné par des moules fixées à des
rochers. J'ai eu la piqûre de la mer et j'ai su ce que je voulais
faire dans la vie.»
Première escale: Québec
Sa destination choisie, Edwin Bourget entreprend le périple qui le
conduira à bon port. Première escale: le Département
de biologie de l'Université Laval où il débarque, en
1965, comme étudiant au baccalauréat. «Tout bougeait
au Département à ce moment-là, se souvient-il. Il y
avait des gens avec des philosophies de recherche variées et ce mariage
créait une atmosphère très dynamique. Nous n'étions
que 25 nouveaux étudiants et il y avait une douzaine de professeurs
avec qui on entretenait des rapports très intéressants.»
Le Département compte déjà plusieurs spécialistes
de la mer, ce qui favorise la création, en 1970, du Groupe interuniversitaire
de recherches océanographiques du Québec (GIROQ) - encore
aujourd'hui un des meilleurs milieux de formation au monde, estime Edwin
Bourget - dont il deviendra le premier diplômé en 1971, au
terme d'une maîtrise sur les larves d'invertébrés benthiques.
«Edwin est la personne la plus équilibrée que je connaisse,
dit Guy Lacroix, qui a supervisé sa maîtrise et l'a côtoyé
pendant près de 20 ans comme professeur au Département. C'était
un élève excessivement brillant, déjà doté
d'un excellent jugement et capable de mettre les choses en perspectives.
En fait, j'ai appris beaucoup de choses en le supervisant. Ce qui m'impressionne
particulièrement chez lui, c'est sa très grande ouverture
intellectuelle et sa capacité de voir tous les aspects d'un problème,
de les analyser et de les synthétiser, des qualités essentielles
pour réussir dans une science d'intégration comme l'écologie.
Je le situe dans la lignée des grands chercheurs.»
Deuxième escale: le Pays de Galles
Après sa maîtrise, Edwin Bourget met le cap sur la University
of North Wales, située dans un petit village du Pays de Galles, réputé
mondialement pour son climat pluvieux et ses recherches sur les balanes.
De son patron, Dennis Crisp, chimiste de formation converti sur le tard
à la biologie, il apprend une grande leçon: les barrières
entre les sciences sont artificielles. «Dennis Crisp pouvait aussi
bien intégrer des principes de biologie moléculaire que d'aérodynamique
dans ses recherches. En Amérique du Nord, nous sommes souvent obnubilés
par nos spécialités et handicapés par les barrières
disciplinaires», déplore-t-il.
L'élève a bien retenu cet enseignement si on en juge par la
variété des disciplines mises à contribution dans son
propre laboratoire: télédétection, imagerie satellite,
océanographie physique, microscopie électronique et, évidemment,
écologie marine. «Nous avons la chance d'avoir une Faculté
regroupant les sciences et le génie et chaque fois que j'ai demandé
l'aide de professeurs d'autres départements pour résoudre
un problème, j'ai toujours reçu un accueil très ouvert.
C'est un plus énorme pour un chercheur.»
Son doctorat terminé, Edwin Bourget revient au Québec et entre
à l'emploi de l'INRS-Océanographie à Rimouski. Deux
ans plus tard, il décroche un poste de professeur de biologie à
l'Université Laval et s'y amène juste à temps pour
aller rejoindre ses nouveaux collègues, en grève, sur les
lignes de piquetage. Nous sommes à l'automne 1976 et Edwin Bourget
est rentré au bercail.
Du bi- au multi-dimensionnel
Edwin Bourget s'intéresse à la structure des populations d'animaux
benthiques (vivant sur le fond des mers, comme les moules) ainsi qu'aux
facteurs influençant leur abondance et leur distribution. «Au
départ, j'avais de la difficulté à visualiser les trois
dimensions en milieu marin. Avec les animaux benthiques, je pouvais contourner
le problème en appliquant des techniques d'écologie terrestre
au milieu marin.»
Aujourd'hui, il a non seulement assimilé cette troisième dimension,
mais il a apprivoisé la modélisation des écosystèmes
par analyse multifractale. «Grâce à cette puissante méthode,
poursuit-il, on peut caractériser les populations à partir
de quelques paramètres physiques décrivant l'hétérogénéité
d'un milieu. En plus de donner des indications sur les mécanismes
régissant les écosystèmes marins, cette approche pourra
servir à produire des études d'impact plus concluantes et
moins coûteuses.»
Le maître
«En 1979, il s'intéressait déjà à l'effet
de l'hétérogénéité du milieu sur les
organismes marins, se souvient Marcel Fréchette, ancien étudiant
au doctorat d'Edwin Bourget, aujourd'hui chercheur à l'Institut Maurice-Lamontagne.
Quand il cerne un problème, il ne le lâche pas avant d'avoir
trouvé une solution. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'est
pas du genre butineur. C'est plutôt un modèle de constance
et de persévérance.»
Conscient d'avoir beaucoup reçu de ses propres maîtres, Edwin
Bourget tente à son tour de bien jouer son rôle de professeur.
«Je considère mes étudiants comme des collaborateurs
et de futurs collègues. Avec le temps, j'ai appris à leur
laisser plus de liberté. Les étudiants gradués, entre
autres, vivent peut-être la plus belle aventure intellectuelle de
toute leur vie et je ne veux pas les priver de la chance de s'éclater
scientifiquement.» Marcel Fréchette, lui, a apprécié
cette liberté: «Il a mis les garde-fous à la bonne place
pour éviter que je me plante et il m'a laissé joué
à l'intérieur de ça».
Parmi toutes les tâches qu'il doit remplir, le rôle d'enseignant
est celui qui procure le plus de plaisir à Edwin Bourget. «C'est
un privilège extraordinaire que de pouvoir toujours travailler avec
des gens dynamiques et intelligents, qui ne vieillissent jamais, des gens
qui demain vont changer la société.»