25 avril 1996 |
En bons voisins, Mario Tremblay et Pierre Gagné discutent d'une
cour à l'autre. «Une fois de plus, ma voiture se trouve au garage.
Ils m'ont dit que mon ball-joint était brisé et qu'il faut
changer le gasket de tête. Cela va encore me coûter une fortune,
alors que je viens juste de recevoir le renouvellement de mon assurance,
de mes plaques et la facture du déneigement», raconte le premier,
la rage au coeur. «J'utilise un véhicule dès que je le
souhaite, sans me soucier du déneigement, des réparations
ou des assurances», réplique le second, un petit sourire triomphant
au coin des lèvres.
L'explication tient en un nom composé: «Auto-Com», un service
original de partage de véhicules. Fondée par Benoît
Robert, qui termine sa maîtrise en aménagement du territoire
et développement régional à la Faculté d'architecture
et d'aménagement (avec spécialité sur la voiture communautaire),
la coopérative file allègrement sur ses deux ans d'existence
à Québec. De son côté, «CommunAuto»,
la petite soeur montréalaise,m a pris son envol en septembre dernier.
En investissant 500 $ dans Auto-Com, le membre-usager obtient le droit de
rouler dans une des 20 voitures de la flotte pour 30 minutes, une heure,
la journée, ou plus. Il se rend sur un stationnement à quelques
coins de rue de chez lui, sans passer par un bureau de location. Là,
il ouvre un petit coffret avec son passe-partout, et prend la clef de la
voiture qu'il a préalablement réservée par téléphone.
Son trajet effectué, il suffit qu'il remette clef et voiture au même
endroit, en remplissant un coupon de bord mentionnant le kilométrage
parcouru. Le principe de la voiture communautaire existe déjà
à Berlin, Hambourg, Zürich et San-Francisco, mais le grand mérite
de Benoît Robert, c'est d'avoir tiré parti des expériences
existantes pour améliorer le service.
Des véhicules toujours disponibles
«Nous avons adopté une grille tarifaire plus souple au Québec,
avec des prix moins élevés en semaine, afin d'ajuster l'offre
à la demande, explique le directeur d'Auto-Com. Comme nous ne pouvons
nous permettre d'orienter les usagers vers d'autres types de transport interurbains
lorsque les véhicules font défaut, nous négocions plutôt
des tarifs préférentiels avec des loueurs d'auto.» La
coopérative a démarré ses activités avec notamment,
comme mises de fonds, les prêts et bourses de Benoît Aubert,
ainsi qu'un contrat de recherche obtenu avec Environnement-Canada. Nathalie
Leblanc, qui finit un baccalauréat en foresterie, l'a rejoint dès
le début, mais elle a dû attendre plusieurs mois avant de pouvoir
toucher un salaire. Aujourd'hui, elle s'occupe de gestion et d'administration,
ce qui comprend aussi bien la facturation que les relations avec les garagistes,
les présentations du service...
Travailler chez Auto-Com ressemble en fait plus à un sacerdoce qu'à
un emploi à horaire fixe. De 7 h à 22 h, Benoît et Nathalie
se promènent cellulaire à la main dans leur salle de bain,
au garage ou au cinéma, toujours prêts à prendre une
réservation. Pour l'instant, ils semblent bien supporter ces contraintes
pour la simple et bonne raison que leur idée, qui semblait un peu
farfelue au pays de l'automobile reine, fonctionne bien: la jeune coopérative
compte environ 200 membres, répartis dans les quartiers centraux:
Saint-Jean-Baptiste, Limoilou, Montcalm et Vieux-Québec. Et s'ils
se fient à la courbe de croissance d'un service similaire à
Brême, en Allemagne, Auto-Com pourrait rassembler plusieurs milliers
d'usagers dans quelques années.
Réhabiliter le centre ville
«J'ai toujours trouvé absurde que d'immenses centres d'achat
s'installent au milieu des champs et que chacun participe à la congestion
automobile, remarque Benoît Aubert. En partageant un véhicule,
les membres apprennent à utiliser les autres moyens de transport
comme le vélo ou l'autobus, et à limiter leurs déplacements
en voiture»
Finalement Auto-Com reprend le discours environnementaliste, voulant qu'il
faut diminuer l'usage de véhicules à moteur pour réduire
la pollution, sans le côté moralisateur rébarbatif.
Une calculette à la main, les usagers comparent simplement la pile
des factures à payer que reçoit tout bon automobiliste, et
les tarifs proposés par Auto-Com. Une comparaison à l'avantage
de la formule de la voiture partagée, soutient Benoît Robert.
À condition toutefois que les usagers appartiennent à cette
classe privilégiée de résidents qui peuvent magasiner,
envoyer leurs enfants à l'école, prendre un verre dans un
bar dans un périmètre facilement accessible à pied,
les habitants du centre-ville.