18 avril 1996 |
Pour lutter contre l'économie souterraine, le gouvernement du
Québec devrait, notamment, assouplir les règles du jeu qui
ont cours dans des secteurs d'activités, comme celui de la construction,
et procéder à une réforme de la fiscalité pour
la rendre plus compétitive, croit Bernard Fortin, de l'Université
Laval.
C'est la conclusion à laquelle en arrive le professeur du Département
d'économique, dans une entrevue qu'il accordait au Fil, il y a quelques
jours, à la suite de la publication toute récente des résultats
d'une vaste enquête menée sur l'économie au noir dans
la province.
Bernard Fortin, qui est directeur de recherche au Centre interuniversitaire
de recherche en analyse des organisations et aussi directeur du Centre de
recherche en économie et finance appliquées (CRÉFA)
de l'Université Laval, a piloté cette investigation réalisée
avec l'aide de Gaétan Garneau, Guy Lacroix, Thomas Lemieux et Claude
Montmarquette, au sein du CIRANO. L'étude vient de paraître
aux Presses de l'Université Laval sous le titre: L'économie
souterraine au Québec : Mythes et réalités.
Sites de l'illicite
En mettant le nez dans les activités légales de ce type d'économie
qui échappe au fisc, les chercheurs du CIRANO ont pu en évaluer
l'ampleur, qui se situe, une fois effectués certains ajustements
«requis par la nature de l'étude», entre 0,97 % et 1,55
% du produit intérieur brut (PIB), soit entre 1, 6 milliard et 2,5
milliards de dollars en 1993. En extrapolant pour 1995, ces montants oscillent
entre 1, 7 milliard (656 $ par ménage) et 2,7 milliards (1 048 $
par ménage). Par contre, si l'on inclut les activités dites
criminelles (drogue, prostitution, jeux et autres), les estimations pour
1995 varient, cette fois, entre 3,4 et 4,4 milliards (1 332 $ et 1 725 $
par ménage).
L'enquête sur le terrain, conduite en 1994 par le Groupe Léger
et Léger, a rejoint plus de 5 000 Québécois habitant
les régions de Québec, de Montréal et du Bas-du-Fleuve.
«Bien que l'économie souterraine n'ait pas l'importance qu'on
lui accorde habituellement, il n'en demeure pas moins que ce phénomène
implique un grand nombre de personne comme acheteurs ou comme vendeurs,
soit une personne sur cinq. Toutefois, la ventilation des réponses
indique que les montants concernés par participant sont relativement
faibles», révèle Bernard Fortin.
Travail et achats
Environ 210 000 Québécois et Québécoises (4
% de la population), âgés de 18 ans et plus, travaillent actuellement
au noir, chacun tirant annuellement 3 443 $ de ses activités non
déclarées, divulge le chercheur. Ce sont les jeunes hommes,
les personnes habitant avec leurs parents et les célibataires, tous
d'un niveau de scolarité «relativement élevé»,
qui s'adonnent au travail au noir, apprend-on.
Par rapport au marché du travail, ce sont les étudiants et
les chômeurs qui sont les plus engagés dans ce genre d'activités.
Le taux de participation est presque deux fois supérieur à
la moyenne chez les bénéficiaires de l'aide sociale (7,5 %),
et il est aussi supérieur dans le cas des prestataires de l'assurance
chômage (6,2 %), peut-on lire, par ailleurs, dans le rapport du groupe
de recherche.
Pour ce qui est des dépenses non déclarées (ou achats
au noir), l'étude note que 17,5 % de la population, soit environ
920 000 personnes de 18 ans et plus, achète des biens et services
issus de l'économie souterraine. La plupart de ces dépenses
au noir proviennent d'individus âgés de 25 à 39 ans;
elles s'élèvent à un montant moyen de 1 618 $ par année
par personne.
«L'opinion que les taxes et les impôts sont trop élevés,
la perte éventuelle de prestations sociales, la réglementation
du marché du travail, en particulier dans certains secteurs d'activités,
les contraintes liées à l'emploi dans l'économie officielle,
le rationnement des heures de travail, notamment, ainsi que la probabilité
d'être contrôlé et le niveau des pénalités
semblent constituer des facteurs qui jouent un rôle important dans
la décision de participer à des activités liées
à l'économie souterraine», prétendent Bernard
Fortin et son équipe de chercheurs du CIRANO.