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18 avril 1996 ![]() |
Il est beaucoup plus «rentable» pour certains travailleurs
de la construction de toucher les prestations de la CSST (Commission de
la santé et de la sécurité du travail) du Québec
que celles de l'assurance-chômage du Canada. Conséquence prévisible:
des ouvriers victimes d'un accident de travail ont pris l'habitude de prolonger
leur convalescence au lieu de retourner au travail et de risquer de se retrouver
au chômage.
C'est la conclusion à laquelle en arrivent Bernard Fortin, professeur
d'économique et directeur du Centre de recherche en économie
et finance appliquées (CRÉFA) de l'Université Laval,
Paul Lanoie, professeur à l'École des Hautes Études
Commerciales de Montréal, et Christine Laporte, professionnelle de
recherche au CRÉFA. Ces chercheurs se sont penchés sur les
dossiers de plus de 30 000 travailleurs du secteur de la construction pour
la période 1976-1986, prélevant un échantillon de quelque
6 000 ouvriers «accidentés». Les résultats de leur
enquête viennent d'être publiés dans le plus récent
Cahier de recherche du CRÉFA.
De la cause à l'effet
Les règles du jeu du secteur observé par les universitaires
créent ainsi des situations relevant de la loi de la causalité:
plus un prestataire de la CSST a droit à une indemnité élevée
(en fonction de son revenu net), plus sa convalescence aura tendance à
s'étirer; moins la prestation d'assurance-chômage qu'il pourrait
toucher semble généreuse, plus long sera son rétablissement,
surtout s'il souffre de blessures difficiles à diagnostiquer, comme
les maux de dos. Les chercheurs ont noté, par ailleurs, «un
effet saisonnier lié à la durée des réclamations»:
la durée des périodes d'indemnisation est plus élevée
de 21,2 % lorsqu'un accident survient en décembre ­p; moment où
certains travailleurs de la construction anticipent un cycle de chômage
­p; qu'en juillet.
Le doigt sur le bobo de pareil état de fait, il faut justement le
mettre sur le dos de la Commission de la santé et de la sécurité
du travail et de sa méthode de calcul, prétend Bernard Fortin.
Par exemple, un prestataire de la CSST touche une indemnité représentant
90 % de son revenu net; le chômeur, de son côté, ne reçoit
que 60 % de son dernier salaire brut. Des travailleurs saisonniers peuvent
de la sorte avoir droit, durant leur convalescence, à une indemnité
égale ou parfois supérieure à leur salaire net.
Appuyer sur le frein
«Le Québec est le seul pays au monde qui permet au médecin
traitant du travailleur accidenté d'établir un diagnostic»,
constate le directeur du CRÉFA. En plus d'inciter la CSST à
faire preuve de moins de générosité, Bernard Fortin
croit que le Québec devrait en outre établir une liste de
médecins spécialisés en accidents de travail.
Pour faire cesser abus et largesses, deux solutions parmi d'autres dont
l'urgence appelle l'action. Car la «prodigalité» de plus
en plus déclinante du régime fédéral d'assurance-chômage
risque fort d'accélérer l'allure de cet exode vers l'autre
«vase communicant» qu'est devenue l'assurance-accident de la CSST.