Textes gagnants du Concours littéraire annuel du CEULa
Des images pour des mots qui sonnent
Nous présentons ici les textes gagnants du Concours littéraire
annuel du Cercle d'écriture de l'Université Laval (CEULa),
dans les catégories «nouvelle», «poésie»
et «paroles et musique», ainsi que les oeuvres gagnantes du concours
d'illustration «L'image des mots», lancé ensuite auprès
des étudiants de l'École des arts visuels. Une collaboration
du CEULa, du journal Au fil des événements et du Service des
activités socioculturelles.
ILLUSTRATION: ÉTIENNE GEOFFROY
ILLUSTRATION: LOUIS CLOUTIER
ILLUSTRATION: FÉLIX BÉDARD
Nouvelle
LA VEUVE
J'ai 23 ans. J'ai 23 ans, et je suis veuve. On l'a trouvé, lui, l'homme,
il y a bien deux semaines déjà. Un beau dimanche matin de
juin; l'herbe était encore humide des effluves de la nuit, il était
tôt. 7 heures, 7 heures 30 peut-être. Un oiseau chantait, perché
sur la branche d'un chêne. Sous le chêne, un fossé. La
route luisait, noire et dure, l'asphalte fraîche, la fraîcheur
de l'asphalte sous la blanche joue. Sa tête déposée
sur le bord du fossé comme sur un oreiller, les deux yeux ouverts
dans un dernier regard d'effroi. Je crois qu'une goutte de sang perlait
au coin de ses lèvres crispées. Le vent était doux
et jouait dans ses fins cheveux bouclés. Un chauffard l'avait heurté,
lui, dans la nuit, et s'était aussitôt enfui. Le petit matin
l'avait trouvé couché près du fossé, corps déjà
froid, femme déjà veuve dans la douceur d'un matin de juin.
C'est ainsi, je crois, qu'il est mort. Mais je ne me souviens pas exactement.
C'est peut-être plutôt par un froid soir de novembre. Tout était
gris, l'air était vif. Il marchait d'un bon pas, pressé de
rentrer à la maison. Il sentait la fumée, l'alcool, le parfum
de femme. Il sortait tout juste d'un bar, il était deux heures du
matin environ. Il se rappelait ce garçon qui l'avait heurté
vers la fin de la soirée, les deux yeux noirs et froids, les traits
aigus. Il marchait toujours, souriait maintenant, fossettes aux joues: pourquoi
penser à ce garçon encore? Il n'était plus qu'à
quelques rues de chez lui, de son lit où dormait déjà
sa femme chaude de sommeil. Ses pieds battaient la cadence sur les trottoirs
gelés de la ville de Québec. Il longeait les Plaines d'Abraham,
les épaules voûtées sous l'air froid qui lui mordait
le dos. Il faisait noir. Une mince couche de neige luisait, prête
à fondre dès le lever du jour, dès le premier rayon
de soleil. La lune brillait doucement, chaude lueur dans la nuit. Des pas
résonnèrent derrière lui. L'oreille tendue, il sentait
l'inconnu approcher. Il s'était retourné, avait reçu
le coup de couteau en plein coeur, le sang qui jaillit, le rouge dans la
nuit, il n'avait eu que le temps de revoir le garçon aux yeux noirs
lui sourire froidement en cette nuit de novembre, s'emparer de son argent
et filer sous le couvert des arbres des Plaines d'Abraham. Seul dans la
nuit, en plein coeur de la ville, il s'était éteint. Mais
est-ce bien cela? Je ne sais pas. Je ne sais plus.
Il était, je crois, au lit avec une femme. Une femme mariée.
Jolie lumière tamisée dans la chambre beige et vert forêt,
de lourds rideaux de velours sont suspendus aux fenêtres, une odeur
de lilas émane des fleurs posées sur les deux tables de nuit.
Le sommeil s'était joué d'eux. Il dormait dans les bras adultères,
la tête abandonnée, bouche entrouverte, souffle paisible. Il
était tôt, le mari travaillait habituellement tard. Dans la
chambre, des vêtements épars. Sous-vêtements de soie,
chemise froissée, courte jupe abandonnée. Sur un fauteil crème,
au coin de la pièce, un chat ronronnait, un chat noir aux yeux clos.
Les odeurs de draps humides encore des ébats amoureux se mêlaient
aux lourds effluves du lilas. Entre les persiennes fermées dansaient
deux ou trois rayons de soleil timides. Mais soudain, la lumière
éclata, crue, froide. Le mari était à la porte, livide,
fou de rage, hurlant des «Je le savais» et des insultes à
n'en plus finir. Le mari ouvrait la garde-robe, s'emparait de sa carabine
et visait les deux corps entrelacés, encore lourds de sommeil mais
pourtant bien éveillés, bien étonnés. La détonation
sèche, le sang qui éclabousse l'antre beige et vert forêt.
Le chat s'enfuit en vitesse, les deux amants sont morts. Les longs cheveux
blonds se mêlent à la courte chevelure noire. J'y suis peut-être
. Voilà sa mort.
À moins... À moins que ce ne soit celui qui tremblait, seul
dans la chambre de bain, lundi dernier. Ses cheveux étaient bruns
et longs. D'un geste nerveux, il les repoussait sans cesse, les renvoyant
à l'arrière, sur ses épaules tremblantes. Il transpirait.
Une moustache de sueur perlait sur ses lèvres pâles, des larmes
suintaient sur ses tempes. Sa main tremblait, mais il était décidé,
bien décidé. L'eau coulait dans le bain, chaude, parfumée.
La porte était verrouillée. Ses yeux noirs en détresse
regardaient intensément ses mains fines et douces, ses mains inutiles
désormais. Il avait de beaux traits, un corps long. Il était
assis, adossé au bain où l'eau coulait toujours. D'un mouvement
brusque, il s'est levé pour arrêter l'eau. Il s'est déshabillé,
entièrement nu, s'est immergé dans la baignoire brûlante,
la main crispée sur une lame de rasoir finement aiguisée.
Il a, doucement d'abord, résolument ensuite, entaillée la
peau fine et bleutée du poignet. Le sang perlait, il appuyait sur
la lame. Il est mort après quelque temps, au bout de son sang, dans
l'eau rouge et tiède du bain. De l'autre côté de la
porte verrouillée, une femme pleurait, hurlait d'ouvrir la porte,
craintive, pressentant déjà ce qu'elle découvrirait,
le corps blanc et glacé dans la pièce sombre. Voilà.
C'était ça, je crois.
J'ai 23 ans. J'ai 23 ans, et je suis veuve. Je suis veuve de tous ces corps
mutilés qui ne pourront plus aimer et qui remplissent les pages de
nos faits divers, corps d'hommes morts trop jeunes, corps de femmes mortes
trop belles.
MARTINE LATULIPPE
Poésie
SOUVENIRS D'ENFANCE
L'enfance trouée d'épingles
Surgit du premier poème
La mémoire gît dans la nef
L'autre côté de soi s'épuise
Où est donc le fil de ces matins renversés
Dans les grappes de petits fruits
Nos pieds mouillés sur les côteaux fertiles
ce temps de délice
Entre larmes et sourires
Ce bonheur agrippé
À nos fenêtres infranchissables.
Dis-moi où est allée
L'odeur des fraisiers sauvages
Que j'enfermais dans mon silence
Je vois ma mère baignée de soleil
Ses bras chantent la clarté
Elle était fleur
Elle était belle
On buvait sa rosée
Aux branches du soir rompu
Nous allions l'âme légère au cou
Ratisser le champ des étoiles
L'éclair nous faisait des yeux doux
Le bonheur nous appelait
Du haut de sa corniche
Parle-moi des champs de coton fleuris dans l'âme
L'air chaud au bord du toit
Les nuits de cratères et d'oiseaux
Où les veines des roses traçaient la lumière
L'émoi m'appelait sous le peuplier
J'ai revu l'enfant amoureux
Le lait de la mère réchauffer la bouche
J'ai senti un instant mon souffle de racine
Rôder en moi
Et me reprendre
Mais tout se change en pierres
Silencieuses et brisées
L'oiseau a tout emporté au cou du vent
Le spectre de la mère lutte
Dans la démence de l'eau
Nous ne savons plus ramer l'enfance
Le vent étouffe nos paroles floconneuses
Nous cherchons un fleuve maternel
Dans le désordre des souvenirs
Aujourd'hui dans la pâleur du soir
Nos os de craie balbutient le passé
Quelques îlots de soleil glissent en silence
Le rêve dérive au creux des pierres
À moins de refaire son lit de noirceur
Dans la magie
Brasser les dés de la misère
Dérober le rire des autres
Rire Rire
Dans l'obscurité du lac
La joie de l'enfance s'éloigne
Mon café tournoie dans le matin
L'automne pend aux feuilles tremblantes
L'enfance m'est redonnée trop tard
J'ai du sable dans les yeux
Un peu de lait sur la langue
L'arôme de la vanille
Ne réveille plus la lumière
La vie déroule ses anneaux
Déchire mes parois
Je tremble comme l'oiseau de givre
En sa saison momifiée
Les souvenirs
Brûlent aux branches du lilas
Je les épingle sur ma poitrine
Leur parfum hante toujours mes veines
Tout l'effroi dort dans la fleur froissée
MICHELINE BOUCHER
Paroles & musique
J'ACCUSE
Transes intenses,
plaisir immense,
mon corps se balance,
J'ai passé ma vie
sans trop me regarder.
J'ai laissé passer la vie
sans trop la regarder passer.
J'ai peur du silence,
l'instant qui s'avance,
mon coeur se balance.
Et plus le temps passe,
plus les images s'entassent.
Et plus le temps passe,
plus les rêves s'effacent.
Un mot m'accule au pied des murmures
qui m'accusent sans faire de bruit.
Un mot m'accule au pied des murmures.
Un mot: j'accuse.
C'est au fond des tiroirs,
là où le blanc devient noir,
que s'est perdue ma mémoire.
C'est au fond des miroirs,
là où le beau se fait gloire,
que s'est perdue la mémoire.
J'ai passé ma vie
sans trop me regarder.
J'ai laissé passer la vie
sans trop la regarder passer.
Un mot m'accule au pied des murmures
qui m'accusent sans faire de bruit.
Un mot m'accule au pied des murmures.
Un mot: j'accuse.
MARC PROULX