À l'heure où le Québec s'interroge sur son régime
de sécurité du revenu pour lequel, de 1980 à 1993,
les montants réels déboursés (en $ de 1991) sont passés
de 1 860 milliards $ à 3 146 milliards $, et alors que la hausse
des prestataires demeurent constante, le ministère de la Sécurité
du revenu rend publique aujourd'hui une étude intitulée: «La
dynamique de la participation à l'aide sociale au Québec:
1979 à 1993». Cette recherche dresse un portrait des personnes
qui risquent d'encourir des séjours prolongés ou répétés
à l'aide de dernier recours et analyse les facteurs qui conduisent
à une telle dépendance.
Cette vaste étude a été réalisée à
la demande du Ministère par les professeurs Jean-Yves Duclos, Bernard
Fortin et Guy Lacroix et par Madame Hélène Roberge, membres
du Centre de recherche en économie et finance appliquées (CRÉFA)
de l'Université Laval, à partir d'un échantillon de
100 000 personnes aptes au travail, qui ont vécu au moins un épisode
à l'aide entre 1979 et 1993.
Le vecteur «temps» : crucial
L'étude montre qu'au-delà d'une année, les taux de
sortie de l'aide ont tendance à diminuer de façon importante
avec la durée de séjour. Ainsi, plus de 34 % des ménages
réussissent à quitter l'aide au cours des six premiers mois
suivant leur entrée et parmi ceux qui demeurent à l'aide,
le même pourcentage sortiront de l'aide au cours du second trimestre.
Cependant, parmi ceux qui auront complété une année
de séjour, seulement 24 % quitteront dans les six mois et ce taux
diminuera jusqu'à environ 10 % après cinq ou six ans de séjour
à l'aide.
Les auteurs font également ressortir que même si la majorité
(56 %) des nouveaux épisodes à l'aide durent moins d'un an,
les épisodes de longue durée prennent une part considérable
dans l'ensemble des épisodes en cours à un moment donnée.
En conséquence, l'État consacre une part importante de ses
ressources aux prestataires de longue durée.
Les familles monoparentales
Selon l'étude, les hommes seuls quittent l'aide plus rapidement que
les femmes seules, les jeunes quittent plus rapidement que leurs aînés,
et les personnes plus scolarisées quittent plus rapidement que les
personnes peu scolarisées. De plus, parmi toutes les catégories
de ménages, ce sont les familles monoparentales qui connaissent les
taux de sortie les plus faibles (36 % au cours des six premiers mois pour
les personnes seules, 33 % pour les femmes seules, 40 % pour les couples
sans enfant, 25 % pour les familles monoparentales). En conséquence,
ce sont aussi les familles monoparentales qui connaissent la durée
à l'aide la plus longue. Ainsi, alors que l'ensemble des séjours
à l'aide ont une durée moyenne d'environ deux ans, les familles
monoparentales connaissent des épisodes dont la durée moyenne
atteint près de trois ans et demi.
Risques élevés de retour
Plus de 22 % des ménages qui quittent l'aide y retournent à
l'intérieur de six mois et parmi ceux qui ont quitté l'aide
depuis six mois, 11 % y reviendront au cours des six mois suivants. Les
retours à l'aide sont très rares au-delà de cinq ans
après la sortie.
Par ailleurs, les retours sont plus rapides chez les jeunes que chez leurs
aînés et plus rapides dans le cas des hommes seuls que des
femmes seules. Parmi les catégories de ménages, ce sont les
familles monoparentales qui connaissent les taux de retour les plus élevés.
Ainsi, le quart de ces familles qui ont quitté l'aide y retourneront
au cours des six premiers mois.
Effet de la réforme de 1989
L'augmentation importante des barèmes de l'aide pour les jeunes de
moins de trente ans survenue au moment de la réforme de 1989 aurait
eu pour effet d'accroître la durée moyenne des séjours
à l'aide de 21 % (soit 2,3 mois) dans les cas des jeunes hommes de
18-24 ans, de 28 % (soit 4,7 mois) dans le cas des 25-29 ans et de 18 %
(soit 2,3 mois) dans le cas des jeunes femmes de 18-24 ans.
La scolarité, toujours un atout
La scolarité demeure un atout incontestable, en particulier chez
les jeunes. Ainsi, selon l'étude une année supplémentaire
de scolarité accroît les taux de sortie de 18 % dans le cas
des femmes seules de 18-24 ans, de 11 % chez les 25-29 ans et de 1,5 % chez
les 30-45 ans. Dans le cas des hommes seuls, on observe une augmentation
des taux de sortie de 10 % chez les 18-24 ans, de 4 % chez les 25-29 ans
et de 0,4 % chez les 30-45 ans. Dans le cas des familles monoparentales,
les pourcentages sont de 6 % chez les 18-29 ans et de 2,5 % chez les 30
ans et plus.
Par ailleurs, la présence d'un enfant additionnel d'âge pré-scolaire
diminue les taux de sortie de l'aide de 51 % chez les familles monoparentales
entre 18-29 ans et de 11,8 % chez les 30 ans et plus.
Le salaire minimum
Une hausse de salaire minimum produit deux effets opposés sur la
durée des séjours à l'aide. D'une part, en accroissant
les coûts de la main-d'oeuvre peu qualifiée, elle décourage
les employeurs à embaucher des prestataires possédant un faible
niveau de formation, ce qui a pour effet d'accroître leur durée
à l'aide. D'autre part, la hausse du salaire minimum encourage certains
prestataires à quitter l'aide, puisque leur rémunération
s'en trouve augmentée.
Selon les résultats de l'étude, le premier effet domine chez
les jeunes de moins de 25 ans et chez les familles monoparentales alors
que le second effet domine chez les jeunes de 25-29 ans. Ainsi, une hausse
de 10 % du salaire minimum prolonge la durée de séjour à
l'aide de 7,8 % dans le cas des femmes seules de 18-24 ans et de 5,5 % dans
le cas des hommes seuls de la même catégorie d'âge. Par
contre, une telle hausse du salaire minimum réduit de 33 % la durée
de séjour des femmes seules de 25-29 ans et de 16 % celle des hommes
seuls de 25-29 ans.
En permettant aux familles à l'aide de conserver une proportion plus
élevée de leurs prestations lorsqu'elles réintègrent
le marché de l'emploi, le programme APPORT favorise le retour au
travail et réduit la durée des séjours à l'aide.
Ainsi, une baisse de 10 % du taux de récupération des prestations
a pour effet de diminuer de 4 % la durée des séjours à
l'aide chez les familles monoparentales.
Clientèles à risque
Les auteurs concluent que les clientèles à risque de dépendance
à long terme à l'aide sont: les ménages qui sont déjà
à l'aide depuis au moins deux ans; les personnes âgées
de plus de 30 ans, et particulièrement celles de plus de 45 ans;
les personnes faiblement scolarisées; les familles monoparentales
en général, mais plus particulièrement celles vivant
dans la région de Montréal, dirigées par une femme
de plus de 30 ans et comprenant deux enfants ou plus; les jeunes hommes
seuls habitants les régions suivantes: Saguenay-Lac Saint-Jean, Côte-Nord,
Gaspésie-Iles-de-la-Madeleine; les jeunes femmes seules habitant
les mêmes régions, l'Estrie ou l'Abitibi.