21 mars 1996 |
«Dire que l'anglais constitue la langue de la communication scientifique
par excellence, c'est faire preuve d'impérialisme. J'estime que la
langue utilisée dans un article scientifique devrait être celle
de son lecteur. Ce sera souvent l'anglais, certes, mais pas toujours et
pas nécessairement.»
Tel est l'essence du vibrant plaidoyer en faveur de l'utilisation du français
dans la communication scientifique qu'a livré Michel Bergeron, diplômé
de la Faculté de médecine de l'Université Laval (1959)
et co-rédacteur en chef de la revue Médecine Sciences, lors
d'une table ronde qui a eu lieu le 19 mars, au Musée de la Civilisation.
Placée sous le thème «La langue française et la
Science», cette rencontre se tenait dans le cadre de la Semaine internationale
de la Francophonie.
«Je plains ceux qui n'écrivent qu'en "anglais scientifique",
a poursuivi Michel Bergeron. Ils se croient bilingues mais à mon
avis, ils sont plutôt "demilingues". Pour le chercheur,
il ne s'agit pas seulement de livrer des données mais d'interpréter
des résultats, d'où l'avantage de recourir à la langue
maternelle afin de pouvoir livrer sa pensée dans toute sa subtilité.
N'acceptons pas l'équation selon laquelle ce qui est écrit
en langue étrangère est bon et ce qui l'est dans la langue
nationale l'est moins. Le multilinguisme représente la voie royale
permettant aux individus d'accéder à la science.»
La langue du pays
Abondant dans ce sens, Roger Balian, physicien et président de la
Société française de physique, a rappelé que
la défense de la francophonie passait nécessairement par la
défense du multilinguisme, d'où la nécessité
de défendre et d'apprendre plusieurs langues. Dans cet ordre d'idées,
le meilleur moyen de promouvoir la langue française comme langue
de travail dans les laboratoires en France consistait à inviter des
chercheurs étrangers et de leur donner des cours de français.
Lorsque des spécialistes se réunissent pour livrer les résultats
d'une recherche, dans le cadre d'un colloque par exemple, la communication
doit se faire dans une langue unique, a toutefois souligné Roger
Balian. Et cette langue est plus souvent qu'autrement l'anglais, un anglais
parfois fortement «dégradé», les chercheurs devant
«communiquer» à tout prix, et ce, au détriment de
la qualité de la langue. Quant à la traduction simultanée,
c'est «une nuisance entre spécialistes», la majorité
des traducteurs maîtrisant mal le langage scientifique. Selon lui,
un texte publié en français accompagné d'un résumé
exhaustif en anglais, ou vice-versa, s'avère un moyen simple et utile
de faire connaître les données d'une étude.
Le Nord et le Sud
Bien que la production scientifique africaine représente moins de
0,3% de la production mondiale, Aloyse Ndiaye, directeur du FICU à
l'AUPELF-UREF (Association des universités partiellement ou entièrement
de langue française), a affirmé que l'Afrique avait cependant
sa place dans forum sur la langue française et la science. «Actuellement,
on dit que l'avenir de la langue française est lié à
la science. Au Sud, des activités positives sont menées pour
développer la recherche mais nos chercheurs n'ont pas encore atteint
le niveau des collègues du Nord. Il y a donc absence de confrontation
et de débat sur la question.»
Jadis imposé comme langue paternelle ou de colonisation, la langue
française devient la voie d'accès à la science, pour
l'Afrique, considère Aloyse Ndiaye: «Le français a été
la langue du dominateur comme le latin l'était à l'époque
de Descartes. L'Africain s'appropriant le français, la langue paternelle
est devenue universelle et a libéré les langues maternelles
ou nationales. Dans un continent où se parlent plusieurs langues,
le français devient un instrument de compréhension mutuelle
entre les différents peuples.»
Le mot de la fin revient au Baron André Jaumotte, membre de l'Académie
royale des sciences et du Conseil supérieur de la langue française
de la Communauté française de Belgique. «En l'an 2020,
le français sera la langue maternelle de 1% dela population mondiale.
Mais cette place modeste ne correspond pas à l'exclusion, bien au
contraire. Dans la foulée de l'an 2000, deux priorités figurent
à l'ordre du jour: combattre pour le multilinguisme et pour la place
du français sur Internet.»