14 mars 1996 |
«Le gouvernement du Québec veut-il garantir l'accessibilité
aux études universitaires et la qualité de l'enseignement?
Veut-il se donner des objectifs quant à la diplomation et développer
l'encadrement des étudiantes et des étudiants requis pour
y parvenir? Veut-il que le Québec soit compétitif au plan
de la recherche et de la compétence de sa main-d'oeuvre et de ses
citoyens?»
Dans son Exposé de la situation rendu public le 30 janvier dernier,
la Commission des États généraux sur l'éducation
consacre un chapitre à la question du financement des universités.
Elle met en doute leur sous-financement et se demande s'il ne s'agit pas
plutôt d'une incapacité des établissements à
contrôler leurs dépenses. Il est opportun de revenir sur cette
question d'importance majeure.
Les quatre pages consacrées par le rapport au financement des universités
s'appuient uniquement sur une comparaison entre le Québec et l'Ontario.
Or, tous les experts en financement des universités répètent
depuis longtemps que de telles comparaisons doivent être menées
avec la plus grande prudence, pour toutes sortes de raisons qui tiennent
aux différences structurelles des systèmes, au mode de dénombrement
des clientèles et des diplômés, etc.
Trois exemples permettront de démontrer la faiblesse de l'analyse
de la Commission quant à cette question de la comparaison Québec-Ontario
sur laquelle elle fonde l'essentiel de son argumentation.
Un premier tableau faisant état que le Québec consacre à
l'enseignement postsecondaire un pourcentage de 1,5 % de plus de son
PIB que l'Ontario contribue à amener les commissaires à s'interroger
sur le sous-financement réel du système universitaire québécois.
Or, la Commission prévient elle-même, quand elle parle du
financement général du système d'éducation,
qu'il ne faut pas oublier que le PIB québécois étant
moins élevé que l'ontarien, il faut que le Québec en
prélève une part plus importante pour investir les mêmes
sommes. La Commission mentionne également que le système
postsecondaire québécois comporte une année de plus
qu'en Ontario, mais elle conclut, sans analyse, que l'écart de 1,5 %
ne peut provenir de cette différence. Or, le tableau présenté
indique qu'en 1989, le Québec allouait déjà 1 %
de plus de son PIB à l'enseignement postsecondaire que l'Ontario
et pourtant, au même moment, le Conseil des universités, par
une méthode rigoureuse tenant compte des différences de systèmes,
concluait que le système universitaire québécois était
alors sous-financé d'environ 120 millions par rapport à celui
de la province voisine. On ne peut donc pas conclure que le réseau
universitaire n'est pas sous-financé parce que le Québec y
consacre une part plus importante de son PIB.
Le second argument du rapport visant à démontrer la situation
privilégiée des universités québécoises
consiste à dire que le Québec, qui dépensait en 1986-1987,
47 $ de plus que l'Ontario par étudiant universitaire, en dépensait
en 1994-1995 1 801 $ de plus. Cependant, comme les statistiques
ontariennes comprennent une année correspondant à notre niveau
collégial où les dépenses par étudiant sont,
de l'avis même de la Commission (p.120), presque deux fois moindres
qu'au niveau universitaire, il est normal que le coût par étudiant
soit, en moyenne, plus élevé dans les universités québécoises.
Le problème de ces statistiques n'est pas l'écart qui serait
trop important en 1994-1995, mais l'écart insuffisant en 1986-1987
qui démontre jusqu'à quel point les universités québécoises
étaient alors sousfinancées par rapport à l'Ontario
et le rattrapage qui s'imposait. De plus, même si la population québécoise
est encore en retard sur celle de l'Ontario quant à la proportion
de diplômés, il y a proportionnellement plus d'étudiantes
et d'étudiants inscrits aux études avancées au Québec
qu'en Ontario depuis l'année 1986-1987, ce qui entraîne des
coûts supérieurs pour le système québécois.
En troisième lieu, la Commission écrit que «si, de 1982
à 1992, les fonds privés ont augmenté considérablement
au Québec, les fonds publics ont aussi connu une certaine croissance,
et dans des proportions équivalentes à ce qu'on a observé
dans le reste du Canada et en Ontario». Elle poursuit en disant: «on
ne peut donc pas dire que les fonds privés n'ont servi, au Québec,
qu'à compenser la diminution des fonds publics, à moins que,
durant cette période; l'augmentation du nombre d'étudiants
inscrits à l'université n'ait pas suivi le même taux
de croissance au Québec qu'en Ontario et au Canada» (nos soulignés).
Or, les chiffres sont publics et la Commission pouvait y avoir accès.
Pour ne prendre que la progression aux études avancées, la
croissance des étudiantes et étudiants québécois
a été, pendant la période correspondante, trois fois
plus élevée que celle de l'Ontario (L'essor des cycles supérieurs
au Québec, 1993, p.3).
On voit donc la fragilité de fonder toute une argumentation sur la
comparaison Québec-Ontario. Les dernières études sérieuses
sur la question remontent à 1988-1989. On sait que le Québec
a effectué un certain rattrapage entre 1988 et 1991, mais depuis,
avec les compressions budgétaires québécoises récurrentes
et les choix politiques faits en matière de droits de scolarité,
on peut faire l'hypothèse que le Québec est toujours sous-financé
par rapport à l'Ontario. Personne, à notre connaissance,
n'a publié d'étude récente et rigoureuse sur la question
et la prudence aurait dû inciter la Commission à ne pas s'avancer
sur ce terrain. Les universités ontariennes elles-mêmes, et
l'Ontario Council on University Affairs, considèrent d'ailleurs qu'elles
sont largement sous-financées, ce qui fait que la comparaison n'apporte
pas beaucoup d'eau au moulin de ceux qui voudraient démontrer que
les universités ont tort de se plaindre.
Même si le Québec accordait, à même les fonds
publics, un niveau d'appui supérieur à son système
d'enseignement universitaire que ne le font l'Ontario et le reste du Canada,
ne pourrait-on pas soutenir qu'il s'agit d'un choix de société
distincte qu'il est parfaitement acceptable de faire en toute légitimité?
Ne sommes-nous pas en situation particulière en Amérique
du Nord? Ne sommes-nous pas, au niveau universitaire, dans un monde où
le fait d'évoluer en français comporte des coûts? L'extrême
jeunesse de notre système ne justifierait-il pas que nous ayons besoin
de le consolider? Le retard encore présent dans la scolarisation
de notre population aux études supérieures n'appelletil pas
un effort collectif plus grand que celui que d'autres doivent fournir?
La question du financement des universités québécoises
peut être abordée sur d'autres bases qui ouvrent des perspectives
plus fructueuses. On peut, par exemple, s'interroger sur les conséquences
des compressions budgétaires récentes, sur les ratios professeur-étudiants,
sur la qualité de l'enseignement, etc. Une enquête réalisée
à l'hiver 1995 par la Fédération québécoise
des professeures et professeurs d'université (FQPPU) auprès
de toutes les directions de départements des universités québécoises
démontre qu'environ les deux tiers des 263 répondantes et
répondants établissent un lien entre la dégradation
des conditions de la formation étudiante et l'accentuation des compressions
budgétaires.
On peut également se demander quelles seraient les conséquences
d'une poursuite du dé-financement public du système d'enseignement
supérieur, engagé depuis au moins 15 ans. Une étude,
réalisée en 1995 pour la FQPPU par M. André Fortier
(dernier secrétaire du défunt Conseil des universités
et président de sa Commission du développement et du financement
universitaires), estime que les compressions budgétaires directes
que les universités ont subies de 1978-1979 à 1994-1995 s'élèvent
à près de 500 millions de dollars. Et encore, ce montant
est-il un minimum, car il ne comprend pas certaines compressions pour lesquelles
les chiffres ne sont pas disponibles, ce qui amène à sous-estimer
la récurrence des compressions annuelles. A ces prélèvements
directs, il faut ajouter, poursuit M. Fortier, le financement partiel
des clientèles additionnelles qui a privé les universités
d'une somme cumulative de 119 millions pour la période allant de
1984-1985 à 1994-1995. Sans compter les 150 millions que les établissements
ont dû retourner au gouvernement sur l'augmentation des frais de scolarité
de 1990-1991 à 1994-1995 au titre de transfert au régime d'aide
financière.
Au total donc, entre 1978 et 1995, au moins 770 millions ont été
soustraits au financement du réseau universitaire.
La Commission des États généraux souligne elle-même
que les fonds publics consacrés à la recherche universitaire
représentaient, en 1987-1988, 77 % de la totalité des
subventions, mais plus que 59 % en 1992-1993. Elle dit craindre «les
risques de dérive» qu'entraîne une trop grande proportion
de commandites privées pour l'exercice de la fonction critique de
l'université. Elle incite par ailleurs le gouvernement à
la plus grande prudence quant à l'augmentation des droits de scolarité.
Elle ne semble donc pas souhaiter augmenter le financement privé
et devrait amener ses lecteurs à se prononcer sur la question cruciale
du financement public de notre système et de son maintien. Ne faut-il
pas se demander quel choix de société le Québec veut
se donner à cet égard? Le gouvernement du Québec veut-il
garantir l'accessibilité aux études universitaires et la qualité
de l'enseignement? Veut-il, comme l'y incitent de nombreux intervenants,
se donner des objectifs quant à la diplomation et développer
l'encadrement des étudiantes et étudiants requis pour y parvenir?
Veut-il que le Québec soit compétitif au plan de la recherche
et de la compétence de sa main-d'oeuvre et de ses citoyens?
Alors, comme le dit le Conseil des universités de façon réaliste,
dans son dernier avis de 1993, «on ne peut nier qu'une augmentation
sensible de la qualité de la formation, qu'un développement
plus marqué des activités de recherche et qu'une amélioration
de la réussite à tous les cycles entraîneront des besoins
financiers accrus pour l'ensemble du système universitaire à
moyen et à long termes».
Force est de constater que le Québec ne s'est jamais doté
d'une véritable politique de financement qui identifie des objectifs
et des moyens pour les atteindre. Ne serait-ce pas le moment de nous demander
collectivement si c'est ce que nous souhaitons ou si nous préférons
continuer d'adapter à la pièce des modes de financement à
un budget préétabli, sans se poser le problème des
conséquences d'un tel fonctionnement?
L'exigence d'une gestion plus transparente, plus concertée et plus
rigoureuse de la part du réseau universitaire est incontournable.
Elle ne doit cependant pas servir de caution au maintien de la politique
des compressions budgétaires et il serait illusoire de penser que
sa réalisation compenserait le manque à gagner actuel. Réduire
le débat à ce volet ne fait donc pas avancer la discussion
sur la problématique du financement des universités qui, comme
on le voit, comporte des ramifications et des liens avec l'ensemble du fonctionnement
et de la vie universitaires.