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14 mars 1996 ![]() |
Le «meilleur pays au monde» du premier ministre Jean Chrétien
est loin d'être paradisiaque dans tous ses recoins, est venu rappeler
Mgr Maurice Couture, archevêque de Québec, aux membres de la
communauté universitaire, à l'occasion de sa visite pastorale
sur le campus, le mercredi 28 février. «La solidarité
va plus loin que le partage de l'argent; elle est aussi partage du pouvoir
et du savoir, a-t-il souligné. Les pauvres sont capables de s'organiser,
mais ils ont besoin souvent des mieux instruits et des mieux nantis comme
alliés. Quand ces derniers mettent leur savoir au service d'une population,
des miracles quotidiens peuvent survenir.»
Ne pas en rester à l'écart
Lors de la conférence publique qu'il a prononcée, en soirée,
au grand amphithéâtre du pavillon Adrien-Pouliot, il leur a
d'ailleurs fait comprendre qu'ils avaient aussi leur mot à dire dans
le redressement des situations d'indigence que les médias nous renvoient
quotidiennement en plein visage: personnes qui font la queue aux banques
alimentaires, jeunes itinérants, chômeurs qui se pressent par
centaines lorsqu'une compagnie annonce quelques emplois disponibles.»
L'archevêque a du reste brossé un tableau fort sombre de ce
«Québec cassé en deux» où se creuse l'écart
«entre ceux et celles qui possèdent tous les biens d'une société
riche, et surtout le pouvoir de décider ses orientations», et
«ceux et celles qui sont progressivement exclus de cette société,
de son fonctionement normal et qui doivent se contenter d'une existence
à la limite de la survie». Une seule statistique parmi tant
d'autres: le huitième de la population québécoise (815
000 personnes) dépend de l'aide sociale.
Mais il n'est pas nécessaire d'aller si loin pour rencontrer des
pauvres, a fait remarquer Mgr Couture, en parlant de la communauté
universitaire. «De nombreux étudiants et étudiantes ont
peine à boucler leur budget, contraints qu'ils sont d'accepter des
emplois aux heures de travail excessives afin de pouvoir subsister, de s'endetter
lourdement avant de décrocher un premier emploi souvent précaire»,
a-t-il relaté.
Affaire de coeur et de tête
En cette Année internationale pour l'élimination de la pauvreté,
comme à chaque jour, la lutte contre la pauvreté est d'abord,
selon lui, une question de coeur, de volonté. «La première
condition pour s'y engager, c'est d'être sensible à la souffrance
des personnes, de nous faires proches d'elles, de nous convaincre qu'elles
ont les mêmes besoins, les mêmes aspirations, les mêmes
sentiments que nous», de signaler le prélat.
Mais il y a plus que le coeur qui s'engage; il faut aussi monter au combat
avec ses compétences, celles des professeurs et chercheurs de diverses
disciplines et des étudiants et étudiantes qui se préparent
à occuper des postes de responsabilités dans la société.
«Il s'agit de développer une vision de la société
et du monde où la réalité centrale n'est pas la production
de biens matériels, mais bien le plein développement des personnes.
Il s'agit là d'une tâche intellectuelle essentielle et bien
cohérente avec la mission première d'une université»,
a soutenu Mgr Couture.
À sa juste place
En fait, ce que l'archevêque de Québec a souhaité, c'est
que les universitaires prennent le contre-pied du discours néo-libéral
dominant qui invite au «chacun pour soi» et à la loi du
plus fort. «Nous avons besoin d'une critique de ses postulats, critique
qui se fonde sur une vision riche et globale de l'être humain et de
la vie en société, et qui propose des alternatives menant
à un développement intégral et non pas simplement technique
ou financier. En somme, une vision où la science économique
est mise à sa juste place, qui n'est pas celle de décider
des buts, des finalités de notre vie en société, mais
d'être au service de ces buts, en les traduisant dans des moyens de
produire et de distribuer la richesse collective.»