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14 d�cembre 1995 ![]() |
POLYTECHNIQUE, SIX ANS APRÈS
Au-delà de la peur et de la culpabilité engendrés par ce drame, l'égalité réelle entre les sexes fait maintenant partie des valeurs de la majorité des étudiantes et des étudiants.
<<Commémorer le drame de Polytechnique n'est pas chose facile, ni agréable. Pour les femmes, le souvenir de ce drame horrible évoque la peur, la colère, mais aussi une très grande tristesse et lassitude face aux multiples injustices dont elles sont trop souvent victimes au sein de la société. Pour les hommes, ce triste anniversaire est encore plus inconfortable. Tour à tour, des sentiments de culpabilité, de tristesse et d'incompréhension peuvent les envahir.>>
C'est en ces termes que la coordonnatrice du Centre de prévention et de traitement des plaintes de harcèlement sexuel de l'Université Laval, Marie-Andrée Doran, s'est adressée à la quarantaine de femmes présentes, lors d'une conférence qui avait lieu sur le campus dans le cadre de la Journée nationale de commémoration de la violence faite aux femmes, le 6 décembre. Organisé conjointement par la Chaire d'études sur la condition des femmes, le Groupe de recherche multidisciplinaire féministe et le Centre de prévention et de traitement des plaintes de harcèlement sexuel, l'événement avait lieu sous le thème: <<Six ans après: se souvenir, comprendre et changer>>.
À partir du moment où des femmes et des hommes ont pris conscience qu'il existait un lien entre le geste de Marc Lépine et l'intolérance dans la société face au partage du pouvoir, le débat a pu avancer, a souligné Marie-Andrée Doran. Si cette prise de conscience a fait mal aux hommes, elle a fait également très mal aux femmes, parce qu'elles ont pu alors constater que si l'égalité leur est reconnue sur papier, la pleine égalité, la vraie, était loin d'être réalisée. Si c'était le cas, estime Marie-Andrée Doran, les femmes cesseraient de gagner 70 % du salaire des hommes et d'être sous-représentées au sein des emplois rémunérateurs. <<Le visage du campus de l'Université Laval serait lui-même différent.>>
Selon la conférencière, le sexisme constitue en effet la forme de violence la plus pernicieuse s'exerçant à l'égard des femmes de la communauté universitaire, qu'elles soient étudiantes ou employées. Ainsi, Marie-Andrée Doran s'étonne du fait que <<dans bien des secteurs, on continue à enseigner comme si la clientèle étudiante était exclusivement masculine alors qu'elle est à forte majorité féminine>>. Elle remarque ainsi que trop souvent, le contenu des cours ne porte que sur l'expérience masculine, <<comme si cette expérience était la seule à valoriser et faisait la norme>>.
Un <<deuxième>> salaire
<<Je m'inquiète de l'objectivité dans la sélection du corps professoral lorsque j'entends le directeur d'un département, où on retrouve pourtant autant d'étudiantes que d'étudiants au doctorat, me confier que ses collègues ont constaté que les femmes plafonnent beaucoup plus rapidement intellectuellement que les hommes. Je me questionne aussi lorsqu'on me rapporte qu'une jeune et brillante professeure s'est fait dire récemment que pour un deuxième salaire, son salaire était un excellent salaire.>>
Rajouté au fait que les femmes soient encore, en 1995, largement sous-représentés au sein des instances décisionnelles de l'Université, avec 5 % d'entre elles à la direction des départements, 11 % à la direction de l'Université et 15 % au sein du Conseil universitaire, on comprend qu'il y a encore place à l'amélioration. Qui plus est, on ne retrouve, à ce jour, que 18 % de femmes au sein du corps professoral.
Malgré cette réalité, la situation des femmes n'est pas désespérée pour autant, a conclu Marie-Andrée Doran: <<De plus en plus, l'égalité semble faire partie des valeurs de la majorité des étudiantes et des étudiants. On parle ouvertement d'agressions sexuelles, de violence faite aux femmes et de façons de contrer ce phénomène. La population étudiante est de plus en plus sensible à la question; il faudra tabler sur cette nouvelle force, c'est notre acquis le plus précieux. Et qui sait, c'est peut-être la population étudiante qui nous aidera peu à peu à vaincre la discrimination.>>
RENÉE LAROCHELLE