7 d�cembre 1995 |
SAINE GESTION ET JUSTICE FISCALE
par Louis O'Neill, professeur � la Facult� de th�ologie
�La ministre des finances et du revenu fait bien d'�couter les milieux d'affaires qui lui conseillent de g�rer avec soin. Elle pourra commencer son travail en examinant la fa�on dont ces bonnes gens s'acquittent de leurs responsabilit�s fiscales. De joyeuses surprises l'attendent.�
Des �ditorialistes et des hommes d'affaires r�p�tent tous azimuts qu'il faut oublier le r�f�rendum et s'occuper d�sormais de bien g�rer les affaires de l'�tat. Ils veulent que, contrite et repentante, la ministre des finances s'adonne, du matin jusqu'au soir, � �plucher les comptes publics et � tenir � jour le bilan des finances de l'�tat.
Bien g�rer, c'est, selon l'opinion commune, se donner des priorit�s, pratiquer un usage rationnel des fonds publics, �viter le gaspillage. Or, sauf quelques anomalies que pointe du doigt chaque ann�e le V�rificateur g�n�ral, c'est en gros ce que fait d�j�, semble-t-il, le gouvernement du Qu�bec. Peu d'entreprises, en la mati�re, auraient des exemples � proposer qui r�v�lent un progr�s tangible sur la gestion �tatique. Au palier f�d�ral, cependant, la situation est moins rose.
Mais il faut se donner les moyens de bien g�rer. Si le gouvernement manque de ressources, il ne pourra s'acquitter de ses obligations et sera tent� alors de doser avec parcimonie ses obligations envers les citoyens les plus d�munis et de l�siner dans l'accomplissement de sa mission sociale et �ducative. Mais avant d'accro�tre les charges fiscales ou de restreindre son r�le de distributeur d'avantages collectifs, il doit se demander si le manque de moyens ne r�sulte pas d'un d�tournement de ressources pratiqu� par certaines cat�gories de contribuables.
Dans cette optique, la ministre des finances et du revenu aurait avantage � s'�clairer de la mani�re de voir des professeurs Bernard et Lauzon (voir Le Soleil, 17 novembre) qui expliquent comment les pratiques d'�vitement fiscal des entreprises canadiennes et qu�b�coises privent le tr�sor public de plusieurs milliards de dollars annuellement. La r�cup�ration de cet argent qui �chappe � l'imp�t permettrait de r�duire le d�ficit de fa�on draconienne, �ventuellement de l'effacer tout en conservant les programmes sociaux et tout en bonifiant l'aide financi�re � l'�ducation et � la sant�.
L'article publi� dans Le Soleil s'appuie sur des donn�es contenues dans un document intitul� La d�sinvolture des gouvernements face � l'�vitement des imp�ts par les compagnies (UQAM, 1995). Les professeurs Bernard et Lauzon y d�noncent l'�vitement fiscal, � savoir une forme larv�e et l�gale d'�vasion fiscale, laquelle peut rev�tir de multiples facettes. L'une d'elles est le report d'imp�t. De nombreuses entreprises qu�b�coises utilisent ce stratag�me. Une vingtaine d'entre elles ont accumul� 7 milliards de dollars en report d'imp�t, �vitant ainsi de contribuer �quitablement au tr�sor public. Parmi les entreprises les plus performantes dans ce genre d'astuce, on remarque BCE Inc., Canadien Pacifique, Alcan, Qu�b�cor, Domtar, Lafarge Canada, Vid�otron, Power Corporation, Cascades, Teleglobe, Tembec, Molson, Provigo, etc.
SEPT MILLIARDS: quel bon usage madame la ministre ferait de la fraction imposable de cet argent, si elle pouvait en disposer. Il lui revient de r�clamer son bien.
Les professeurs Bernard et Lauzon d�noncent les paradis fiscaux. Une rumeur veut que le ministre canadien des finances ait lui- m�me utilis�, voire utilise encore ce stratag�me. Si la rumeur est fond�e, on devra conclure que le mauvais exemple vient de haut! Les deux experts portent un jugement s�v�re sur les universit�s qui forment des conseillers fiscaux dont une sp�cialit� consiste � inventer des moyens de contourner les lois. Ils posent ainsi le probl�me du rapport entre le savoir et le pouvoir. Le savoir au service des citoyens ordinaires, instrument de lib�ration; le savoir au service du pouvoir financier, souvent source d'oppression et d'injustice.
La question de l'�vitement pr�occupe aussi le fiscaliste Yves S�guin, ancien ministre dans le gouvernement Bourassa, qui avait remis sa d�mission pour exprimer son d�saccord avec l'imposition de la TPS. Dans une br�ve �tude parue dans la revue Affaires plus (juin 1994), il �num�re plusieurs abris fiscaux, totalisant 23 MILLIARDS de dollars et qui, selon lui, devraient faire l'objet d'un examen attentif. Par exemple: l'exon�ration des fiducies familiales, l'exon�ration des b�n�fices non d�clar�s par des filiales canadiennes � l'�tranger, la d�duction des frais financiers, les cr�dits d'imp�t pour dividendes intersoci�t�s, la capitalisation des revenus de placements, l'absence d'un imp�t minimal, l'exon�ration des gains de loterie, la constitution de soci�t�s en commandite, les taux d'imposition r�duits, les int�r�ts exempt�s pour d�p�ts en devises �trang�res, etc.
�Ainsi, �crit Yves S�guin, 23 milliards de dollars par ann�e en d�penses fiscales ne font pas partie du d�bat, du moins jusqu'� maintenant. Plusieurs de ces mesures sont justifi�es, d'autres non�. Et il ajoute: �Au moment o� l'�tat remet en question ses d�penses, ses interventions et m�me son r�le, il doit aussi r�fl�chir aux revenus qu'il ne per�oit pas�.
Une �quipe de chercheurs de la CSN s'est �galement int�ress�e au d�bat sur les d�penses fiscales. Dans un ouvrage intitul� La fiscalit� autrement (Montr�al, CSN, 1994), ils �mettent quelques r�flexions sur la relation entre la dette et la fiscalit�, le partage du fardeau fiscal, la r�partition du fardeau fiscal entre les individus, le poids des taxes indirectes, la fiscalit� des familles, la fiscalit� des entreprises, les abris fiscaux des entreprises, l'imp�t minimal pour les entreprises, l'�quit� fiscale, la fiscalit� efficace, les liens entre la fiscalit� et une saine gestion des finances publiques. Ils proposent un imp�t minimal sur les profits des entreprises, ce qui rejoint le point de vue d'Yves S�guin ainsi que celui des professeurs Bernard et Lauzon.
Selon les chercheurs de la CSN, une fiscalit� �quitable conditionne la coh�sion sociale. Ils font remarquer que si l'�quit� est battue en br�che, �la situation devient malsaine. La solidarit� se d�sagr�ge. Les gens se d�solidarisent face aux besoins collectifs et aux services n�cessaires pour y r�pondre. Un nombre grandissant de personnes cherchent � �chapper � la fiscalit�, � moins contribuer, par exemple en ayant recours au travail et � l'achat de biens et de services au noir et de produits de contrebande�.
La ministre des finances et du revenu fait bien d'�couter les milieux d'affaires qui lui conseillent de g�rer avec soin. Elle pourra commencer son travail en examinant la fa�on dont ces bonnes gens s'acquittent de leurs responsabilit�s fiscales. De joyeuses surprises l'attendent.
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