23 novembre 1995 |
Id�es
Position ambigu� du
Vatican en Ha�ti
PAR JEAN-DENIS C�T�,
�TUDIANT AU D�PARTEMENT DE SOCIOLOGIE
� l'aube de nouvelles �lections pr�sidentielles, l'�glise de Rome ne doit plus �tre complice de la trag�die ha�tienne.
La derni�re visite du Pape Jean-Paul II aux �tats-Unis a �t� l'occasion pour le chef des catholiques de r�it�rer ses appels � la compassion, � la libert� et � la justice. Toutefois, depuis l'appui du Vatican au gouvernement C�dras (qui avait renvers� le pr�sident Jean-Bertrand Aristide, pourtant �lu d�mocratiquement), le discours du souverain pontife sonne faux. Comment le Vatican peut-il inviter les peuples (et, par cons�quent, les dirigeants d'�tats) � plus de justice alors qu'il a �appuy� un gouvernement qui a bris� les r�gles de la d�mocratie?
On s'en souviendra, l'action des putschistes ha�tiens avait �t� condamn�e par l'opinion publique internationale et provoqu� l'intervention de l'arm�e am�ricaine en Ha�ti afin de r�tablir le pr�sident en exil, Jean-Bertrand Aristide. Le fait qu'Aristide ait �t� lui-m�me un ancien pr�tre catholique peut susciter encore plus d'�tonnement de la part de la position vaticane, du moins vue de l'ext�rieur du pays.
Le Vatican a provoqu� une controverse lors de la nomination d'un Nonce apostolique � Ha�ti. Une telle nomination s'av�rait d'autant plus probl�matique que le pays traversait une crise profonde, provoqu�e par le coup militaire du 30 septembre 1991. Rappelons certains faits :
Le gouvernement de facto instaure un r�gime de terreur, pers�cutant tous les individus identifi�s comme sympathiques � l'ex-pr�sident. Des milliers de gens sont victimes d'assassinats, de bastonnades et d'emprisonnementDANROC, Gilles et Daniel ROUSSI�RE, La r�pression au quotidien en Ha�ti (1991- 1994), Paris, Karthala, 1995.. Cela provoque le d�part de dizaines de milliers d'Ha�tiens (les fameux boat people), notamment vers les �tats-Unis. La majorit� sont intercept�s et log�s � la base am�ricaine de Guantanamo, Cuba.
Apr�s le coup d'�tat, l'OEA (l'Organisation des �tats am�ricains) d�cr�te un embargo international contre Ha�ti (octobre 1992).
Les putschistes s'attaquent non seulement aux civils, mais �galement aux membres du clerg� s'�tant affich�s en faveur d'Aristide. Des militaires tentent m�me d'abattre Mgr Willy Rom�lus, �v�que de J�r�mie, le 22 septembre 1992DEJEAN, Paul, Ha�ti : alerte, on tue!, Montr�al, CIDIHCA, 1993, p. 189..
Devant ces faits, la d�cision vaticane appara�t plut�t troublante. Comment le Saint-Si�ge a-t-il pu parvenir � conclure qu'il �tait dans l'int�r�t de l'�glise catholique d'appuyer les putschistes? Pour parvenir � comprendre (et non pas justifier...) les motifs de cet �appui� du Vatican, nous avons interview� deux missionnaires, une religieuse ha�tienne de m�me que d'autres membres de la communaut� ha�tienne. Nos informateurs, pour la quasi-totalit�, �taient pr�sents en Ha�ti lors du coup d'�tatIls ont pr�f�r� garder l'anonymat.. Nous avons �galement consult� certains ouvrages. La raison officielle du Vatican est notamment pr�sent�e dans une lettre d'Alexandre Tach�, secr�taire g�n�ral de la C.E.C.C. (Conf�rence des �v�ques Catholiques du Canada): �[...] le Pape a jug� comme �tant urgente la nomination d'un nouveau repr�sentant afin de garantir un soutien ext�rieur efficace et indispensable aux �glises locales et de pouvoir compter sur la personne la plus hautement qualifi�e pour le tenir inform� de la situation. Les deux fonctions du l�gat �tant ins�parables, le Saint-Si�ge ne pouvait y pourvoir qu'en nommant un nonce apostoliqueTACH�, Alexandre, ��La nomination du Nonce apostolique � Ha�ti��, L'�glise canadienne, 1er avril, 1993, p. 132.�. Or, sans mettre en doute la v�racit� du noble motif �voqu�, d'autres sont �galement � consid�rer :
L'�glise catholique ha�tienne s'av�re profond�ment divis�eGUILLOU, Beno�t, ��Tragique division de l'�glise ha�tienne��, Le Monde diplomatique, 9 sept. 1995, p. 9.. D'une part, on retrouve un courant gauchiste, faisant la promotion de la th�ologie de la lib�ration et incarn� par Aristide (bien avant sa prise au pouvoir). D'autre part, un courant de droite, incarn� par la majorit� du corps �piscopal ha�tien, se r�v�le � la fois hostile � la th�ologie de la lib�ration et � tous ses sympathisants, surtout Aristide. Parmi ceux-ci, soulignons, Mgr Fran�ois Gayot, archev�que du Cap-Ha�tien, qui a exerc� une grande influence aupr�s des autres �v�ques et du Saint-Si�ge. Prenant ses informations de son corps �piscopal et �tant lui- m�me oppos� � la th�ologie de la lib�ration, le Vatican, de tendance conservatrice, aurait estim� que Jean-Bertrand Aristide n'�tait pas l'homme de la situation. De plus, certaines d�clarations controvers�es d'Aristide, interpr�t�es comme des appels � la vengeance, de m�me que la mise � sac de la nonciature apostolique (le 7 janvier 1991) par de pr�sum�s partisans du pr�sident d�chuLes auteurs de ce crime demeurent encore inconnus. auraient convaincu le Vatican que le retour au pouvoir d'Aristide n'�tait non seulement plus probable, mais m�me, plus souhaitable. Et ce, malgr� le fait qu'il ait �t� port� au pouvoir de fa�on d�mocratique.
Ces motifs apparaissent d'autant plus fond�s que, depuis le retour au pouvoir d'Aristide, le Vatican, jusqu'� tout r�cemment, n'avait nomm� qu'un �charg� d'affaires� (et non un nonce apostolique) en Ha�ti. Par cette d�cision, le Vatican accordait son appui � la junte militaire au d�triment d'Aristide. Cependant, � la d�fense du Vatican, le secr�taire g�n�ral de la C.E.C.C. souligne que �l'accr�ditation d'un repr�sentant diplomatique ne comporte pas en soi un jugement sur la l�gitimit� des pouvoirs publics en exercice�. Peut-�tre. En revanche, lorsque le nonce apostolique s'est affich� en compagnie des repr�sentants du gouvernement de facto le 5 octobre 1992, que faisait-il, sinon cautionner le gouvernement en place?
Une bonne partie du corps �piscopal ha�tien de m�me que le Vatican ont perdu beaucoup de cr�dibilit� au cours des derniers mois. Leur influence (tout de m�me affaiblie) aupr�s de la population les oblige � agir avec sagesse et discernement. Cela est non seulement dans leur propre int�r�t, mais �galement dans celui du peuple ha�tien. Toutefois, � force de s'�loigner du discours �vang�lique et du peuple, le Vatican risque de voir cro�tre la perte de ses fid�les au profit des sectes et des �glises protestantes, tout en semant le doute � la face du monde sur ses v�ritables intentions.
Ha�ti est une trag�die car depuis l'ind�pendance, survenue en 1804, on a �t� incapable d'y �constituer un �tat de droit� rappelle l'�crivain Ren� Depestre dans le dernier film de Jean- Daniel LafondLAFOND, Jean-Daniel, Ha�ti dans tous nos r�ves, coproduction Canada-France, 1995.. � l'aube de nouvelles �lections pr�sidentielles, le Saint-Si�ge ne doit pas (plus?...) �tre complice de cette trag�die mais plut�t contribuer � l'att�nuer, peu � peu.