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30 novembre 1995 ![]() |
Un challenge passe...
PAR ROBIN ARGUIN, �TUDIANT � LA
MA�TRISE EN SCIENCE POLITIQUE
On s'est excit� beaucoup ces derni�res ann�es - encore plus r�cemment - et, � mon avis, de fa�on disproportionn�e, avec la sauvegarde, la pr�servation de la culture et de la langue fran�aises. Comme les r�cents d�veloppements r�f�rendaires l'ont d�montr�, plusieurs sont m�mes pr�ts � prendre des risques peu calcul�s et consid�rables en s'imaginant ainsi prot�ger davantage le fait fran�ais en Am�rique.
Je veux bien. Mais que penser de l'incoh�rence manifest�e entre cette exaltante d�fense du fran�ais d'une part, et le d�plorable usage qu'on en fait publiquement, priv�ment et r�guli�rement? Il ne s'agit pas de revenir sur la pauvre qualit�, g�n�ralis�e chez les 30 ans et moins, du fran�ais parl� et surtout �crit, ou de la place abusive (faut bien �tre distinct...) que le joual tient toujours dans notre culture. Ces faits ont �t� d�nonc�s nombre de fois et de multiples mani�res depuis la c�l�bre sortie du fr�re Untel et de ses Insolences, en 1960.
�Cachez ce sein�
Je ne me contenterai ici que de quelques exemples types et publics de cette distorsion entre les discours pieux et une r�alit� toute autre. Il y a bien s�r cette campagne publicitaire qu'on voit un peu partout depuis des semaines et qui s'intitule �A Touch of Lido�. Bravo pour l'imagination... Du bien beau fran�ais, d'autant plus que ce spectacle fait r�f�rence � une sp�cialit� toute parisienne... Faut le faire! Comme il s'agit de publicit� et que l'image utilis�e s'av�re beaucoup plus attirante et r�v�latrice que le slogan, je n'ai pas trop �accroch� l�-dessus.
L'exemple suivant m'a toutefois beaucoup plus d�rang�. Encore l�, il ne s'agit que d'un cas parmi plusieurs du m�me genre. On sait que les francophones �de souche� ont vot� pour le OUI � pr�s de 60 % au r�cent r�f�rendum. On sait aussi que l'un des principaux arguments invoqu�s � cet effet est relatif � cette pr�servation de la culture et de la langue fran�aises surtout. Alors que penser lorsqu'une personnalit� publique francophone, porte-parole d'une groupe, r�ussit dans une seule petite phrase de quelques mots � dire: �jouer la game� et �faudra dealer avec�... et ce, au T�l�journal par surcro�t... bravo pour la recherche de vocabulaire. Il s'agit d'une toute r�cente d�claration de la pr�sidente du syndicat des employ�s(es) de T�l�vision Quatre Saisons. L� encore, il y a une forte marge entre le parler informel, priv�, sous l'impulsion du moment, et s'exprimer publiquement sur les ondes de la t�l�vision nationale.
Fais ce que doigt
L'exemple qui m'a le plus frapp� et d��u cependant vient encore de plus �haut�. Le journal Le Devoir est bien connu pour son parti pris nationaliste. C'est d'ailleurs le seul quotidien au pays � avoir publiquement appuy� le OUI en �ditorial. Il n'y a bien entendu aucun lien causal entre le fait d'�tre nationaliste et celui de bien utiliser la langue fran�aise. Cet organe d'information s'est toutefois toujours affirm� comme un valeureux promoteur et d�fenseur du fait fran�ais. Pourtant, tout r�cemment, son �dition de la fin de semaine (pourquoi utiliser week-end?) titrait en gros titre � la une: �Le challenge de Louise Harel�.
Je n'en reviens pas qu'un journal comme Le Devoir titre en premi�re page le mot �challenge�, alors que �d�fi� est tout aussi appropri� et... fran�ais. On ne peut surtout justifier cet emprunt du fait qu'il n'y a pas vraiment d'�quivalent pour ce mot anglais. Les anglophones utilisent r�guli�rement des mots fran�ais dans leurs �crits, parce qu'il n'y a pas de traduction ad�quate pour ceux-ci en anglais. L'inverse peut se pr�senter aussi et cela est tout-�-fait acceptable. Il y a �galement des mots comme �obsol�te� qui - parce que venant du latin (obsoletus) - sont identiques en anglais comme en fran�ais. M�me l�, je pr�f�re utiliser �d�suet�, voulant dire la m�me chose, mais propre au fran�ais.
Mais qu'on remplace tout naturellement �d�fi� par �challenge�, sans aucune n�cessit� intrins�que, et qu'on se targue ensuite de �devoir� prot�ger un fran�ais menac� de toute part, c'est vraiment d�plorable. D'autant plus qu'il s'agit d'exemples publics, � large diffusion, influen�ant ainsi consciemment et inconsciemment nombre de personnes.
La plus grande menace pour la langue fran�aise au Qu�bec ne vient pas des Am�ricains, des Canadiens-anglais ou du F�d�ral, comme je l'ai tellement entendu derni�rement. Elle vient de l'usage qu'on en fait nous-m�mes, ici, et de l'exemple douteux venant de ceux et celles ayant une responsabilit� publique et qui devraient �tre cons�quents avec leur discours et irr�prochables � ce chapitre. C'est l� le v�ritable �d�fi� qu'il nous faut relever.
Qu'on se retrousse les manches plut�t que toujours chercher des causes ext�rieures. Je ne peux que repenser aux paroles de Pierre Trudeau qui �crivait il y a 30 ans, dans Le f�d�ralisme et la soci�t� canadienne-fran�aise, que �nos ing�nieurs n'arrivent m�me pas � construire des routes qui r�sistent � plus de deux de nos hivers canadiens, mais voil� qu'on se pla�t � �riger autour du Qu�bec des fronti�res imaginaires�... Est-ce bien diff�rent?