14 septembre 1995 |
HISTOIRE
Un mariage et deux faces d'enterrement
L'historien Rodrigue Lavoie a choisi le genre romanesque pour mettre � jour une curieuse histoire d'adult�re survenue au Moyen- Age.
En fouillant dans les archives o� sont conserv�s les comptes- rendus de proc�s de la ville de Manosque en Provence depuis le Moyen-Age, Rodrigue Lavoie, directeur actuel du D�partement d'histoire de l'Universit� Laval, a fait un jour une �trange d�couverte. L'affaire, vieille de presque 700 ans, n'avait en soi rien d'exceptionnel puisqu'elle mettait en sc�ne une jeune fille accus�e d'adult�re avec un homme mari�. L'argumentation tr�s �labor�e et retorse de l'avocat de la d�fense a par contre �veill� l'int�r�t du chercheur. D'autant plus que l'accus�e, qui parvient � sortir blanchie de cette aventure judiciaire, se retrouve � nouveau devant le m�me tribunal deux ans plus tard. Et pour une seconde fois cons�cutive, elle �chappe aux foudres de la justice.
Rodrigue Lavoie a utilis� les faits rapport�s � la cour du seigneur de Manosque, qui tiennent en quelques pages, pour brosser un tableau romanc� des moeurs en vogue au Moyen-Age. Son livre, Les sentiers de la volupt�, qui vient de para�tre aux �ditions du Septentrion, constitue en quelque sorte un condens� de ses recherches sur la machine judiciaire et l'attitude de cette petite ville de Provence devant la sexualit�.
�La Loi � Manosque s'int�resse aux comportements sexuels seulement lorsqu'ils causent des d�sordres dans les familles, fait remarquer l'historien. Le viol d'une jeune fille vierge, par exemple, est tr�s s�v�rement puni car il introduit du sang �tranger dans la lign�e. Par contre le violeur d'une femme qui vit en dehors du circuit matrimonial subira une condamnation moins s�v�re.� Rodrigue Lavoie raconte ainsi qu'il n'�tait pas rare que des femmes qui vivaient seules et sans mari fassent les frais des frasques de jeunes hommes en mal de festivit�s. Sans r�el statut, les filles ne pouvaient donc se d�finir que par rapport � leur �poux ou leur p�re.
Des mariages de raison
Le roman sign� par Rodrigue Lavoie met ainsi en lumi�re le r�le essentiel de la famille dans la soci�t� m�di�vale. Consid�r� avant tout comme une alliance entre diff�rentes lign�es, le mariage ne s'embarrasse g�n�ralement ni d'amour, ni de sentiments, mais se pr�occupe surtout de croissance �conomique. Dans ce contexte, les interdictions morales et la notion de p�ch� autour de la sexualit� que l'�glise tente d'imposer tombent souvent � plat. Comme le fait remarquer l'auteur des Sentiers de la volupt�, les prostitu�es de cette �poque subissent bien moins de pr�jug�s que celles d'aujourd'hui puisqu'elles peuvent �tre consid�r�es comme des auxiliaires de vertu. Fr�quemment, elles accumulent une dot en fin de carri�re et partent en campagne �pouser un cultivateur.
En mettant en sc�ne un fait divers m�di�val oubli�, Rodrigue Lavoie jette un �clairage inusit� sur une p�riode historique qui provoque un v�ritable engouement au Qu�bec depuis quelques ann�es. Son ouvrage, qui s'adresse avant tout au grand public, s'int�resse en effet aux gens ordinaires, bourgeois, marchands, manants, qui vivent bien loin des chevaliers et du ch�teau de la cit�. En d�peignant la vie des principaux personnages qui gravitent autour du proc�s, le professeur d'histoire invite ainsi le lecteur � mieux comprendre les r�gles en vigueur dans le commerce, les d�placements entre les diff�rentes villes organis�s en convois et, bien entendu, le fonctionnement de la machine judiciaire, d�j� encombr� � cette �poque par les chicanes de cl�tures.
�Je ne suis pas un litt�raire, mais j'avais envie de diffuser le r�sultat de mes recherches plus largement que dans le cercle universitaire, pr�cise l'auteur. En plus, les r�gles de la critique historique aboutissaient � une impasse pour le second proc�s car je ne comprenais pas comment la jeune fille avait r�ussi � �tre acquitt�e. Le roman me permet d'inventer une explication vraisemblable.�
PASCALE GU�RICOLAS