19 octobre 1995 |
Questions de sexe et d'�nergie
Les animaux ne se disputent pas pour savoir � qui le tour de sortir les poubelles ou encore qui retire le plus d'argent du compte conjoint. Mais, quand vient le temps d'investir dans leur prog�niture, m�les et femelles surveillent assez �troitement leurs d�penses �nerg�tiques.
Contrairement aux humains, les animaux ne comptabilisent pas consciemment l'�nergie qu'eux-m�mes et que leur conjoint investissent dans leur couple. Mais leurs strat�gies reproductrices en disent cependant long sur le syst�me bancaire de l'�conomie naturelle, un syst�me dont la devise est le g�ne et le but ultime, l'accumulation de capital g�n�tique. Des chercheurs du D�partement de biologie ont publi�, au cours des derni�res semaines, deux �tudes sur le sujet qui viennent ajouter leur grain de sel � la th�orie sociobiologique de l'investissement parental.
Les oies de la reproduction
On a longtemps cru que chez la Grande Oie Blanche, les femelles d�pendaient exclusivement des r�serves nutritives accumul�es pendant la migration printani�re pour se rendre dans l'Arctique canadien, produire leurs oeufs et survivre jusqu'� l'�closion des oisons. Les biologistes pensaient, en effet, qu'il y avait peu � manger dans la toundra avant le milieu de l'�t� et que, pour prot�ger sa nich�e, les femelles demeuraient continuellement sur leur nid. Pendant ce temps, on soup�onnait les m�les de se la couler douce pendant que leur femelle se tuait � la t�che.
Cette belle histoire d'abn�gation maternelle, quoique touchante, pose cependant un probl�me de taille. Une �tude men�e il y a quelques ann�es par Gilles Gauthier du D�partement de biologie a montr� qu'� leur d�part vers le nord, les femelles n'ont pas suffisamment de r�serves pour accomplir toutes les corv�es de la reproduction et r�pondre � leurs propres besoins en �nergie. Gilles Gauthier et Line Choini�re ont donc suivi les oies jusqu'� l'�le Bylot pour tirer cette affaire de d�ficit �nerg�tique au clair. Et tant qu'� s'�tre d�plac�s, ils ont �tudi� ce que les m�les faisaient vraiment l�-bas. Les r�sultats de leur p�riple, publi�s dans le num�ro d'ao�t d'Oecologia, montrent qu'apr�s leur arriv�e sur les aires de reproduction, les femelles, loin de s'�macier, trouvent le moyen de produire leurs oeufs tout en accumulant des r�serves de graisses corporelles. Comment y parviennent-elles? En mangeant tout simplement, sous l'oeil vigilant de leur m�le qui �puise pratiquement toutes ses r�serves de graisses entre l'arriv�e � l'�le Bylot et le d�but de la couvaison. Les m�les, a montr� une autre �tude men�e par Jos�e Tardif, passent presque deux fois moins de temps � manger et six fois plus de temps en alerte que les femelles pendant la p�riode pr�c�dant la ponte.
�La nourriture consomm�e par les femelles apr�s leur arriv�e dans le nord est essentielle � la production des oeufs, explique le duo Choini�re-Gauthier. Les femelles profitent donc de l'investissement en activit�s d'alerte de leur m�le pour maximiser l'�nergie qu'elles consacrent � leurs oeufs.� Ce partage des t�ches permet aux deux parents de profiter d'un succ�s reproducteur accru.
Le m�le aim�
La guerre des investissements parentaux touche non seulement les conjoints mais aussi les rejetons. Ainsi, chez le phoque gris, les m�res investissent davantage dans leurs rejetons m�les que dans leurs filles pendant la p�riode de lactation, r�v�le une �tude publi�e dans le num�ro d'ao�t du Journal of Zoology par Steeve Baker et Cyrille Barrette, du D�partement de biologie, et Mike Hammill de P�ches et Oc�ans Canada. � l'aide de filets lanc�s � partir d'h�licopt�res, les chercheurs ont captur� des femelles et leurs petits juste apr�s la mise bas, sur des banquises, au large de la Nouvelle-�cosse. Les phoques ont �t� pes�s puis marqu�s individuellement pour identification subs�quente. Quelques jours plus tard, la p�riode de lactation ne durant que 15 jours environ, les chercheurs ont recaptur� puis pes� � nouveau les b�tes.
Les m�les b�n�ficient tr�s t�t dans leur vie d'un plus grand investissement parental puisqu'� la naissance, ils p�sent 17,1 kg contre 14,6 kg pour les femelles. Pendant la p�riode de lactation, la m�re s'alimente tr�s peu de sorte qu'elle d�pend presque exclusivement de ses r�serves nutritives pour survivre et pour fabriquer le lait destin� � son rejeton. Le poids des m�res au moment de la naissance oscille autour de 226 kg, peu importe le sexe de son petit. Pendant la p�riode de lactation, elles perdent en moyenne 5,6 kg par jour de sorte qu'au moment du sevrage, elles ne font plus que 142 kg. Cet investissement majeur se r�percute sur la croissance des petits puisque les m�les prennent 2,7 kg par jour et les femelles 2,4 kg. En bout de course, au sevrage, les m�les p�sent 56, 2 kg et les femelles 51,6 kg.
Pourquoi les m�res investissent-elles davantage dans leurs petits m�les?
�Parce que le phoque gris est une esp�ce polygyne, c'est-�-dire que les m�les forment des harems et qu'ils ont plusieurs conjointes. Toutes les femelles se reproduisent mais seulement une partie des m�les le font, ce qui conduit � une comp�tition f�roce entre m�les pour l'acc�s aux femelles. Pour laisser beaucoup de descendants dans la population, les m�res ont donc int�r�t � produire des m�les qui sont des Tarzan plut�t que des deux-de-pique �, caricature Cyrille Barrette. JEAN HAMANN
-30-