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12 octobre 1995 ![]() |
Id�es
LES VRAIS
S�PARATISTES
PAR GABRIELLE GOURDEAU, CHARG�E DE COURS
AU D�PARTEMENT DES LITT�RATURES
�What does Qu�bec want?�, demandent les s�paratistes de l'ancien Dominion. ��tre propri�taire dans le condominium�, r�pondent les locataires souverainistes.
Ren� L�vesque, Gilles Vigneault et sans doute bien d'autres Qu�b�cois ont d�j� eu recours � l'analogie de la �maison � soi� pour expliquer le sens profond du �Ma�tres chez nous� initialement �voqu� par Maurice Duplessis, puis repris par Jean Lesage, et enfin reformul� par le PQ qui, d�s sa formation comme parti, l'int�grait � une id�ologie appel�e �souverainet�, un concept galvaud� jusqu'� plus soif par ceux qui ne lisent pas (ni ne veulent lire), par ceux qui ne s'informent pas (ni ne d�sirent s'informer). La souverainet�, c'est aussi, surtout, une notion depuis trop longtemps associ�e, � tort, � celle de s�paration, particuli�rement par ceux qui ne veulent pas comprendre la v�ritable port�e du mot, pourtant si limpide. Depuis pr�s de trois d�cennies, de Trudeau � Chr�tien en passant par la majorit� des anglo-Canadiens et par au moins la moiti� des Qu�b�cois, on nous rebat les oreilles avec ce mot-l�: s�paration (dans son discours pr�-r�f�rendaire inaugural, Daniel Johnson junior y a eu recours pas moins de vingt fois). Depuis que le grand Maurice afficha les moindres vell�it�s d'autonomie provinciale, on brandit le spectre du s�paratisme. Depuis l'apparition du PQ, on livre une bataille aussi opini�tre que st�rile � un �ennemi� id�ologique nomm� injustement s�paratiste. Or, les trois mots (crus) susmentionn�s viennent du verbe (se) s�parer. Et qu'est-ce que (se) s�parer? Le Robert donne plusieurs synonymes: �couper, d�tacher, disjoindre, �carter, isoler [...] brouiller, d�sunir, �loigner [...] diff�rencier, discerner, distinguer [...] se quitter [...] rompre�. Le(s)quel(s) de ce(s) terme(s) peut-on honn�tement associer � ce que veut vraiment dire souverainet� dans le contexte politique canab�cois actuel?
Allons-y pour �diff�rencier, discerner, distinguer�, autant de sens du mot s�paration qui correspondent � des r�alit�s irr�ductibles puisqu'il y a bel et bien (au moins) deux soci�t�s diff�rentes, discernables et distinctes au Canada, quelle que f�t l'attitude des Clyde Wells et cie, qui ne daign�rent m�me pas conc�der au Qu�bec ces miettes s�mantiques sur les documents de Meech-Charlottetown. Pour ce qui est des autres synonymes, voyons un peu.
Le Canada est un immeuble � condos. Condo est l'abr�viation de condominium, qui signifie: �Souverainet� exerc�e en commun par deux ou plusieurs �tats sur un m�me pays.� Dans la vraie vie de tous les jours, un condo est une portion d'espace achet�e par quelqu'un qui doit assumer ses frais individuels (l'hypoth�que principalement) en m�me temps qu'il doit partager avec les autres propri�taires de l'immeuble les charges communes (entretien des espaces communs, taxes diverses, le chauffage, l'eau, etc.). Chaque propri�taire de condo peut �tablir ses r�glements (enlever ses chaussures � la porte? cesser toute musique apr�s minuit? ne pas manger dans le salon?), d�corer son logement � sa guise, y parler sa langue, g�rer son revenu et inviter qui il veut � demeurer sous son toit (ses invit�s ou pensionnaires, pour peu qu'ils soient polis, s'adresseront � lui dans sa langue), et ce, tout en respectant les droits et libert�s de ses voisins. What does Quebec want? C'est tout simplement cela, depuis qu'il parle souverainet�: �tre propri�taire dans un condominium. Le Qu�bec veut pouvoir faire ses lois, g�rer son revenu national et son immigration. Il demande � ses invit�s (ses immigrants) la politesse internationale �l�mentaire exigible de tout nouvel arriv� dans un pays d'accueil, � savoir de communiquer (ou d'apprendre �) avec ses h�tes dans la langue de ces derniers. Par ailleurs, comme nul pays au monde ne vit isol� (ind�pendant ne veut pas dire s�par�), le Qu�bec veut s'associer aux autres provinces canadiennes pour partager avec elles les charges et les services communs : la dette canadienne, le co�t et les b�n�fices des services de douane, des postes, de l'arm�e, etc. Comme dans un condominium. Est-ce donc si difficile � comprendre? O� est la notion de s�paration l�-dedans?
Peut-on imaginer neuf propri�taires d'un condo de dix unit�s pouvant exiger de leur voisin la moiti� de son revenu familial?
Pouvant lui dicter ses r�glements domestiques? Lui imposer des pensionnaires et permettre � ces derniers de s'exprimer dans une langue inconnue de leur h�te? Et si ce dixi�me occupant refusait cette gestion centralis�e et l'ing�rence de ses voisins dans un espace intime honn�tement acquis, peut-on concevoir qu'il se voie coup� des services communs par les autres? �Dor�navant, Monsieur, nous ne partageons plus rien avec vous (�d�tacher�). Puisque vous voulez �tre ma�tre chez vous, allez vous creuser une fosse septique et un puits art�sien dans votre portion de la cour (��loigner�); payez vos taxes directement � qui de droit (�disjoindre�); nous vous paierons des droits pour l'usage de l'escalier qui passe devant chez vous et vous nous paierez des droits si vous empruntez ceux qui touchent � nos condos (�d�sunir�); faites-vous installer vos propre syst�mes �lectrique et de plomberie, nous vous privons des installations communes (�couper�); faites-vous installer un syst�me de chauffage priv�, vous n'avez plus acc�s au chauffage central (�isoler�); assurez tout seul votre portion de l'immeuble (��carter�), et si vous voulez aller � la cave ou dans la cage de l'escalier arri�re, armez-vous d'une torche �lectrique, nous refusons de vous �clairer avec la lumi�re communale(�re-couper�). Voil�, Monsieur, nous nous dissocions de vous (�quitter, rompre�), et bonne chance dans votre souverain condo�. Pu�ril, comme r�action, non? Punitif surtout. Voil� bien, pourtant, l'alternative offerte au Qu�bec par le Canada depuis trois d�cennies. Ce dernier dit NON � l'association si les Qu�b�cois disent OUI � la souverainet� (menace, chantage, intimidation). Avant m�me que les Qu�b�cois se soient prononc�s pour ou contre la souverainet�, avant m�me de s'asseoir � une quelconque table de n�gociation, les leaders du Canada anglais, les Jean Chr�tien, la vaste majorit� des anglo-Canadiens disent NON, NON aux propositions honn�tes de voisinage civilis� que les Qu�b�cois veulent mettre de l'avant pour, justement, faire du Canada un condominium viable, et donc, au fond, une entit� digne de ce nom, si bic�phale f�t-elle. Est-ce l� l'expression d'un d�sir authentique de vivre dans un Canada �uni�?
Enfin, puisque la question �conomique semble tellement inqui�ter tout le monde dans ce d�bat r�f�rendaire, que gagneraient donc les Canadiens en refusant une association avec les Qu�b�cois?
Que l'on soit f�d�raliste ou souverainiste, il appara�t �vident que les changements politiques propos�s par le triumvirat Parizeau-Bouchard-Dumont rel�vent du gros bon sens. La question est simple, elle se d�code au premier degr�, pour peu qu'on la lise de bonne foi. Ce qui devient lassant, dans la campagne r�f�rendaire actuelle, ce ne sont pas les bombardements m�diatiques auxquels les Canab�cois sont expos�s quotidiennement (il y a eu pire, il y a eu le proc�s O.J. Simpson), mais plut�t les longueurs du dialogue de sourds, r�sultat de l'obstination de certains � fausser les enjeux du d�bat en abusant d'un mot comme s�paration.
Surtout que l'ent�tement, dans ce cas-ci, vient du camp des vrais s�paratistes.
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