23 mars 1995 |
Des chercheurs du Département de biologie, membres du Centre d'études nordiques, semblent avoir trouvé un moyen pour le moins original d'estimer l'abondance passée des caribous qui ont foulé le sol de la toundra. Cette méthode promet de lever le voile, ou du moins une partie du voile, sur les variations de population de ce cervidé au cours des 150 dernières années. En effet, si les inventaires aériens réalisés depuis le milieu des années 1950 fournissent des indications fiables sur le cheptel, il faut se rabattre sur des renseignements historiques provenant des missions et des postes de traite de la compagnie de la Baie d'Hudson pour tout ce qui touche la période pré-inventaire.
Claude Morneau et Serge Payette estiment pouvoir évaluer l'activité des populations de caribous, un indice indirect de leur abondance, en calculant l'incidence relative des cicatrices de sabots laissées sur les racines et les branches rampantes d'arbres que les caribous piétinent dans leur migration annuelle. On ne peut pas déterminer les populations passées en nombre absolu, explique Claude Morneau, mais en étudiant les fluctuations dans le temps et dans l'espace des cicatrices, on obtient un portrait assez fiable de l'activité des caribous et conséquemment, du nombre de caribous qui devaient exister alors.
Les deux chercheurs, qui présentaient les résultats de leur recherche lors du 25e Arctic Workshop tenu la semaine dernière à l'Université, ont réussi à reconstituer des événements survenus il y a plus de cent ans grâce à ces cicatrices. Les blessures infligées aux arbres causent des anomalies qui restent à jamais enregistrées dans les anneaux de croissance. Les chercheurs parviennent ainsi à dater l'année exacte où est survenue une blessure.
Claude Morneau et Serge Payette ont compilé les indices d'activité obtenu à partir d'une quarantaine de sites fréquentés par les caribous de la rivière George, à raison de 200 à 500 cicatrices par site. Ils ont ensuite comparé le patron d'activité obtenu aux données d'inventaires aériens disponibles. Leurs conclusions: les variations de l'indice d'activité suivent assez fidèlement les données d'inventaires des 40 dernières années. Dans deux des quarante sites, les cicatrices ont permis de reconstituer un patron d'activité couvrant une centaine d'années. Ce patron confirme la plupart des données historiques disponibles et révèle même des fluctuations plus fines jamais rapportées auparavant. Si on trouvait d'autres sites avec des arbres aussi âgés, on pourrait sans soute remonter jusque vers les années 1850, dit Claude Morneau. On aurait là des informations inédites sur l'évolution et la dynamique du troupeau au cours des 150 dernières années.