2 mars 1995 |
EMPLOI
VERS L'ELDORADO?
Apr�s avoir s�duit et fid�lis� des milliers de jeunes Qu�b�cois, les id�ateurs et excellents gestionnaires du magazine d'humour Safarir veulent maintenant p�n�trer un autre march� plein de fric, celui des �ados� fran�ais.
�Contrairement � 90 % des gens, nous devons constamment faire fonctionner le c�t� droit de notre cerveau, puis le gauche, dans la m�me journ�e. �tre � la fois tr�s cr�atif et tr�s organis�, lance Michel Morin, r�dacteur en chef de Safarir.� Pourtant, le visiteur dispose de peu d'indices sur la folie douce qui r�gne dans cette maison victorienne au charme bourgeois les jours de bouclage. La r�daction survolt�e et peupl�e de cr�ateurs hagards des albums deGaston Lagaffe n'a pas surv�cu au mode de gestion moderne. L'�quipe de Safarir se compose de six salari�s seulement, et la plupart des r�dacteurs et des dessinateurs travaillent chez eux devant leur ordinateur ou leur table � dessin. La mise en page s'effectue elle aussi � l'�cran, comme dans tout journal moderne qui se respecte.
L'aventure du magazine satirique a d�marr� en 1987 lorsque Sylvain Bolduc, fra�chemement dipl�m� de la Facult� des sciences de l'administration de l'Universit� Laval, a d�cid� de se tailler une place sur le march� de l'humour en faisant�les yeux doux � un lectorat moins courtis�, les adolescents. �On voulait cr�er une revue tr�s visuelle, un peu sur le mod�le am�ricain de MAD qui va droit au but, explique l'�diteur. En fait, Safarir conjugue le meilleur de deux mondes en s'inspirant autant des b�d�istes des �tats-Unis, comme Jack Davis ou Gary Larson, ou des courants europ�ens v�hicul�s par Pilote, Fluide glacial, L'�cho des savanes.�
La coop�rative de l'humour
Comme dans tout bon �success story� qui se respecte, les d�buts de la revue, imprim�e dans un premier temps en noir et blanc, furent presque h�ro�ques. Sylvain Bolduc, qui a toujours pratiqu� le dessin publicitaire parall�lement � ses �tudes de marketing, a recrut� plusieurs dessinateurs au ch�mage en leur promettant un emploi et une r�mun�ration lorsque l'entreprise parviendrait � d�coller. Au bout de quelques mois, ils ont abandonn� le syst�me coop�ratif pour le mod�le plus classique de l'incorporation. La recette du magazine a tellement bien fonctionn� aupr�s des 12-25 ans, que les jeunes loups de Safarir ont r�ussi � �galer les r�sultats du grand concurrent Croc, et m�me certaines ann�es � le d�passer. Actuellement, le mensuel se vend � environ 40 000 exemplaires.
Sylvain Bolduc reconnait volontiers que les voyages de groupes qu'il organisait durant ses �tudes universitaires l'ont autant aid�, sinon mieux, � affronter le milieu des affaires, que ses cours. �En administration, j'ai surtout appris � me casser la t�te et � suer, explique-t-il le sourire aux l�vres. Finalement, je suis devenu un arbitre dans ce climat de folie environnante.� Michel Morin se voyait d�j�, pour sa part, procureur de la couronne � la fin de ses �tudes � la Facult� de droit. Mais une offre providentielle d'une radio FM pour animer une �mission matinale a boulevers� ses plans de carri�re. �J'aime la fantaisie, dit-il. Cela me tentait de faire le fou � la radio, de voir la vie comme une partie de plaisir.� Un an apr�s la fondation de Safarir, il a pris les r�nes de la r�daction, tout en poursuivant son travail � la Jungle chez CHIK FM. Huit ans apr�s le premier num�ro, la composition de la recette du succ�s demeure encore myst�rieuse. �Les grandes vedettes ne sont pas forc�ment un gage de succ�s, remarque Michel Morin. En d�cembre, notre num�ro sur les Rollings Stones a moins bien fonctionn� que celui sur les roller blades, la meilleure vente de 1994.� Pour rester � l'�coute des adolescents, le r�dacteur en chef reconnait qu'il d�ploie constamment ses antennes. � l'aff�t constant de nouvelles expressions ou de nouvelles attitudes, il ingurgite les �missions t�l�vis�es � grande dose, qu'il s'agisse des talks-show am�ricains, de la P'tite vie ou m�me de Claire Lamarche, se gave de cin�ma, de spectacles d'humouristes et bien s�r de musique. �En ce moment, je �tripe� sur Pearl Jam etGreen day , dit-il. Cela me permet de rester branch� sur les ados, de garder un �tat d'esprit frais.�
Attention, gag-maison!
Contrairement � des magazines de bandes-dessin�es europ�ens, Safarir ne cherche pas � privili�ger le style ou la forme d'un auteur en particulier. La revue mise avant tout sur le travail d'�quipe.�Le r�dacteur amorce le gag en texte, puis le dessinateur affine ensuite le trait en le mettant en image. Dans la plus pure tradition de MAD ou des albums de Gotlib, les humoristes du magazine pastichent � tour de bras les films, les �missions de t�l�vision, les chansons populaires et m�me les lieux communs. Depuis quelques ann�es, une meilleure ma�trise des techniques informatiques leur permet de pratiquer des trucages photos de grande qualit� pour se moquer des grands magazines �s�rieux� ou des poils au nez de Claudia Schiffer.
Safarir semble avoir atteint sa vitesse de croisi�re au Qu�bec, et ses dirigeants lorgnent de plus en plus vers un un march� tr�s juteux, celui des adolescents fran�ais. Une �tude de march� r�alis�e r�cemment en terre gauloise les encourage � exporter leur humour, en gommant toutefois les r�f�rences trop qu�b�coises. Un tiers du contenu du magazine vendu en France porterait d'ailleurs sur les vedettes locales, tandis que le reste proviendrait des 84 num�ros d�j� existant. De l� � penser que les Fran�ais sont justes bons � recycler nos vieux gags usag�s...
PASCALE GU�RICOLAS