25 mai 1995 |
DUMONT
L'homme est incontournable. Un v�ritable monument. Ses coll�gues et anciens �tudiants l'honoraient r�cemment en publiant aux PUL un volumineux hommage, L'horizon de la culture. Quelques mots- cl�s pour mieux comprendre le parcours de ce penseur exceptionnel qui a �t� un ma�tre de la clart� et de la rigueur.
FORMATION: Le jeune homme issu d'une famille ouvri�re de Montmorency se destinait � la philosophie. Mais le cadre rigide de l'enseignement pratiqu� � cette �poque � l'Universit� Laval l'a plut�t incit� � joindre les rangs de la bouillonnante Facult� des sciences sociales fond�e par le p�re Georges-Henri L�vesque. Le sociologue de r�putation internationale a donc choisi la sociologie par d�faut, un parcours qui l'a sans doute vaccin� � vie contre cette tendance universitaire � s'enfermer dans des disciplines. Historien, po�te, �crivain, p�dagogue, il se rit des �tiquettes. � cinquante ans bien sonn�, cet amoureux de l'apprentissage n'a pas h�sit� � redevenir �tudiant pour obtenir un doctorat en th�ologie.
ENSEIGNEMENT: Le premier m�tier de ce professeur qui a toujours conserv� la charge d'un cours alors m�me qu'il dirigeait l'Institut de recherche sur la culture. Les �l�ves de Fernand Dumont le qualifient volontiers de grand acteur tant il aimait utiliser les effets de voix, les gestes de la main pour illustrer son propos. Ses expos�s structur�s et complets, appuy�s par une qualit� d'expression tr�s soign�e, d�clenchaient l'enthousiasme de ses disciples, qui se souviennent, plusieurs d�cennies plus tard, de sa capacit� � lancer des ponts entre des auteurs tr�s diff�rents. Et surtout � formuler une pens�e personnelle originale.
VALEURS: Solidarit�, partage, communaut�, sentiment d'appartenance, pr�occupation pour les plus d�munis, voil� les mots-cl�s qui ont guid� l'auteur de Gen�se de la soci�t� qu�b�coise tout au long de sa carri�re de chercheur et d'intellectuel engag� dans son temps. Jean-Paul Montminy, professeur au D�partement de sociologie, se souvient ainsi de Fernand Dumont manifestant aupr�s du cur� de la paroisse de Saint-Roch pour l'enl�vement des voies de chemin de fer qui d�figuraient ce quartier ouvrier. Un de ses premiers textes sur la soci�t� qu�b�coise s'intitulait d'ailleurs Histoire du syndicalisme dans l'industrie de l'amiante.
ENGAGEMENT: Sa pr�ccupation pour le sort de la langue fran�aise l'a amen� � produire, avec son ami Guy Rocher, un rapport sur l'opportunit� d'une loi pour prot�ger la langue, qui a conduit Camille Laurin � proposer au premier gouvernement L�vesque la loi 101. �La langue est un symptome, affirme Fernand Dumont dans Raisons communes, une soci�t� qui balbutie r�v�le son an�mie dans tous les secteurs de l'existence.� Mais ce souverainiste de la premi�re heure a pr�f�r� redevenir�un universitaire � l'�coute de son temps plut�t que de fr�quenter les tribunes publiques jusqu'� plus soif. Pour Jean-Paul Montminy, �il prend la soci�t� trop au s�rieux pour utiliser les routes de la d�magogie.�
ORIGINES: Les siennes, les n�tres. Les filatures de Montmorency o� le jeune Fernand Dumont passait ses �t�s, les relations avec les ouvriers, le voisinage ont exerc� une influence consid�rable sur sa carri�re de chercheur et d'enseignant. Il n'�tait pas rare qu'il puise dans ses souvenirs d'enfance pour illustrer un concept complexe, une id�e difficile. Au fil de ses livres, il a tent� de r�concilier les Qu�b�cois avec leur histoire, car pour lui l'h�ritage et la tradition constituent les assises m�me de la soci�t�. Au fond, la conscience aigu� de ses racines lui a permis de passer � travers les modes pour incarner une certaine modernit�.
CULTURE: Fernand Dumont a souvent parl� de la culture premi�re et de la culture seconde, l'une nourissant l'autre. Pour lui, la culture premi�re se d�finit comme la culture authentique, l'h�ritage familial et du terroir, tandis qu'il consid�re la seconde comme une interpr�tation. Selon Fernand Dumont, le monde moderne souffre d'un d�doublement entre ces deux cultures qui s'accroit. Autrefois, un cultivateur fournissait � son fils les outils pour d�marrer dans la vie en lui l�guant son savoir- faire, alors qu'aujourd'hui l'�ducation des jeunes souffre de graves lacunes et ces derniers ne disposent pas de formation suffisante pour exercer un m�tier.
RELIGION: Ici encore Fernand Dumont retrouve ses origines �catholique fran�aise� tant la religion s'apparente pour lui � l'h�ritage. Mais le penseur, qui s'inscrit volontiers dans la mouvance des chr�tiens de gauche, ne craint pas de bouleverser les institutions. � la fin des ann�es soixante, alors que nombre d'intellectuels renvoient les cur�s dans leur presbyt�re, il pr�side une commission sur la situation de l'�glise qui tient des audiences dans toutes les r�gions du Qu�bec.
CHANTIERS: Fernand Dumont a l'habitude de baptiser ainsi ses multiples travaux. Grand d�voreur de journaux devant l'�ternel, il a lui m�me beaucoup contribu� � la production de revues au Qu�bec ou � l'�tranger, qu'il s'agisse des Recherches sociographiques ou de la revue dominicaine Maintenant. Lorsqu'il collaborait � des publications grand public, le sociologue se faisait un devoir social de vulgariser sa pens�e. Peut-�tre parce que ce fils d'ouvrier s'est senti devenir au fil de sa formation l'interpr�te des plus d�munis qui n'avaient pas eu la chance d'acc�der � la parole. Son instinct de b�tisseur l'a pouss� �galement � forger l'Institut sup�rieur des sciences humaines et l'Institut qu�b�cois de recherche sur la culture, des structures de recherche volontairement ouvertes sur les autres disciplines, car la vie supporte difficilement les compartiments �troits.
Pascale Gu�ricolas