11 mai 1995 |
RELATIONS INDUSTRIELLES
Repenser le travail... ensemble
Il est essentiel que tous les acteurs d'une organisation, qu'elle soit publique ou priv�e, participent aux changements rendus n�cessaires par les contraintes de la concurrence et de la d�croissance.
La r�organisation du travail pour r�duire les co�ts de production ou faire face � la concurrence mondiale fait d�sormais partie du quotidien de nombreuses entreprises, publiques ou priv�es. Mais beaucoup �chouent dans leur tentative et les initiateurs du projet jetent alors souvent le bl�me aux travailleurs, accus�s, injure supr�me, de r�sister au changement. Pourtant, comme Jean-Pierre Brun, professeur au D�partement de management � l'Universit� Laval l'expliquait lors du cinquanti�me congr�s organis� par le D�partement de relations industriellles, la prise en compte des interrogations du personnel peut constituer un facteur de r�ussite pour la r�organisation.
�La r�organisation ne se limite pas � la transformation du travail, elle a �galement un impact sur les relations familiales de l'individu, son statut social, son projet de vie, explique Jean-Pierre Brun. Il est donc tr�s important que tous les acteurs de l'entreprise participent aux changements, et pas seulement les gestionnaires.� Selon lui, il faut donc interpr�ter les r�ticences des travailleurs � modifier leur fa�on de travailler comme des actes d'autonomie, de comp�tence. Les discussions entre les administrateurs qui proposent une r�organisation et les employ�s r�ticents peuvent �galement clarifier certaines demandes irr�alistes. Et le conf�rencier de citer le cas d'une entreprise o� les dirigeants souhaitaient donner plus de pouvoir aux subordonn�s. Un contrema�tre avait alors expliqu� qu'il �tait difficile pour lui de d�l�guer une autorit� qu'il ne d�tenait pas, puisqu'il ne parvenait m�me pas � faire sortir ses homme dehors quand il tombait deux gouttes de pluie.
La r�sistance au changement
Bien souvent, les employ�s �prouvent des inqui�tudes face � une r�forme de leur mani�re de travailler, car leur entreprise a d�j� tent� plusieurs fois sans succ�s par le pass� de r�organiser le travail. Ils gardent ces �checs en m�moire, et finissent, selon Jean-Pierre Brun, par d�velopper une v�ritable r�sistance au changement, tout en parlant avec nostalgie de cette �poque b�nie o� les m�thodes restaient identiques jour apr�s jour. �Pour r�duire leur r�sistance, il faut absolument �couter les employ�s et critiquer ouvertement avec eux chaque argument, explique le professeur. On peut planifier le futur tout en discutant de la situation pr�sente afin que les gens n'aient pas l'impression que leur travail ant�rieur n'avait aucune valeur. �
Fernande Lamonde, professeure au D�partement des relations industrielles de l'Universit� Laval, a beaucoup insist�, durant sa conf�rence, sur l'organisation du travail au quotidien, sur la n�cessit� d'int�grer les travailleurs dans le processus des r�formes. En les associant aux discussions, l'employeur s'assure souvent une meilleure acceptation du projet de r�organisation et pr�vient imm�diatement les difficult�s qui risquent de surgir au lendemain de le mise en place de changements importants. �Je connais une banque o� les informaticiens ont pr�sent� leur version d'un logiciel destin� � des agents de cr�dit juste avant son implantation, raconte la conf�renci�re. Tout semblait bien fonctionner, jusqu'� ce qu'on s'aper�oive que la productivit� des employ�s diminuait car le nouvel outil informatique compliquait leur travail plut�t que de le faciliter.�
Entre les r�glements et les pratiques
Forte de cet exemple et de plusieurs cas dans le secteur ferroviaire, un de ses domaines privil�gi� d'�tudes, l'ergonome en conclut que les employeurs ont tout int�r�t � prendre en compte le savoir-faire des travailleurs, constitu� la plupart du temps de pratiques informelles. Encore faut-il que les employ�s se sentent suffisamment en confiance pour mettre leur m�tier en mots, et expliquer aux organisateurs du travail ce que bien souvent ils ignorent. Les conducteurs et les chefs de train, dont chaque geste doit en th�orie correspondre � une r�gle bien �tablie, ont ainsi coutume de dire que s'ils respectaient les r�glements � la lettre, les trains ne rouleraient pas. Le succ�s d'une r�organisation r�ussie repose en grande partie, selon Fernande Lamonde, dans le capacit� des gestionnaires � comprendre les pratiques de travail des employ�s en leur demandant de les expliquer, mais �galement en les observant dans l'accomplissement de leurs t�ches, pas toujours verbalisables. Les employeurs mettent donc toutes les chances de c�t� en consid�rant les travailleurs comme porteurs de solutions, m�me si par ailleurs les relations de travail ne brillent pas par leur harmonie. �Une participation fonctionnelle peut tr�s bien d'ailleurs na�tre d'un conflit de travail ou y survivre�, a lanc� la conf�renci�re en guise de conclusion.
PASCALE GU�RICOLAS