11 mai 1995 |
PETITS GAR�ONS ET PETITES FILLES MOD�LES
La lettre de la professeure Annette Paquot parue dans Au fil des �v�nements (2 mars 1995) a suscit� plusieurs d�bats. Nos propos ne visent pas � y r�pondre directement. Les discussions entourant la parution de cette lettre nous incitent � rappeler � la communaut� universitaire (en particulier aux jeunes �tudiantes et �tudiants) certaines donn�es historiques et contemporaines concernant l'accessibilit� des femmes � l'enseignement sup�rieur et l'insertion professionnelle de celles-ci.
Le droit d'acc�s des femmes � l'enseignement sup�rieur est tr�s r�cent sur le plan historique. Le rappel des �v�nements suivants Tir� de Guylaine Girouard (1993); Conseil du Statut de la femme (1994). nous fait voir que les femmes auraient pu profiter bien avant de la formation postsecondaire n'e�t �t� de pratiques institutionnelles s'appuyant sur des id�ologies justifiant la division sociale sexuelle.
L'Universit� Laval, fond�e en 1852, est la seule universit� de langue fran�aise au Qu�bec jusqu'en 1919. Celle-ci contr�le les enseignements postsecondaires, dont l'enseignement sup�rieur dispens� aux filles.
- L'affiliation du premier coll�ge classique f�minin � l'Universit� Laval a �t� autoris� en 1908 (coll�ge Marguerite Bourgeois � Montr�al).
- Il faut attendre 1925 pour l'autorisation de l'affiliation du deuxi�me coll�ge f�minin au Qu�bec (coll�ge J�sus-Marie � Sillery).
- Malgr� les nombreuses pressions des communaut�s religieuses f�minines et des groupes de femmes, il faut attendre 1922 (coll�ge f�minin � Montr�al) et 1938 (coll�ge masculin � Qu�bec) pour l'autorisation, par l'Universit� Laval, d'un programme scolaire similaire � celui dispens� aux gar�ons.
- Les coll�ges classiques f�minins n'ont pu profiter des subventions de l'Etat qu'� partir de 1961 alors que les coll�ges masculins recevaient cette aide depuis 1922. Pourtant, dans les ann�es 50, un r�seau d'enseignement m�nager pour les filles est subventionn� � co�ts de millions de dollars (Thivierge 1983).
- L'Universit� Laval refuse d'admettre des femmes en m�decine jusqu'en 1936. Et pourtant des femmes avaient fait des demandes d'admission bien avant cette date.
- Du c�t� des corporations professionnelles, la pratique du droit est interdire aux femmes par l'�tat et le Barreau du Qu�bec jusqu'en 1941. Il en est de m�me pour la Chambre des notaires jusqu'en 1956.
Depuis ce temps, les femmes ont augment� leur pr�sence au premier cycle universitaire et s'y trouvent actuellement majoritaires. L'observation de la r�partition des baccalaur�ats d�livr�s en 1991-92 dans les universit�s qu�b�coises selon le sexe des titulaires fait voir que les femmes sont majoritaires � 56,1 %. L'analyse de cette r�partition par domaine d'�tudes indique cependant que les femmes sont minoritaires parmi les titulaires de grade de baccalaur�at en G�nie et sciences appliqu�es (18 % en 1991-92) et en Math�matiques et sciences physiques (32,2 %). Dans ce dernier domaine d'�tudes elles ne repr�sentaient que 23,0% des personnes dipl�m�es en informatique. Mentionnons en outre une plus faible repr�sentation des femmes dans certains programmes du domaine des Sciences sociales ou de l'�ducation (32,9 % en �conomique, 33,2 % en �ducation physique). La sous-repr�sentation des femmes dans ces programmes universitaires est pr�occupante pour l'insertion professionnelle de ces derni�res et pour l'avenir du Qu�bec. Cette sous-repr�sentation des femmes, notamment dans certains programmes en sciences, en g�nie et sciences appliqu�es ne sauraient s'expliquer par de plus grandes difficult�s scolaires des filles en sciences au secondaire ou au coll�gial.
Les femmes d'autre part ne sont pas � parit� avec les hommes � la ma�trise et encore moins au doctorat. Cette sous- repr�sentation aux �tudes de deuxi�me et troisi�me cycles a des cons�quences par rapport � l'insertion des femmes dans les fonctions de production du savoir et d'orientation de nos soci�t�s (Mosconi 1994).
Qu'en est-il maintenant de l'insertion professionnelle des femmes dipl�m�es de premier cycle � l'Universit� Laval? L'�quipe de Relance-Laval a rejoint, en 1989, les personnes (femmes et hommes) qui avaient obtenu un baccalaur�at en 1986. Une des conclusions qui se d�gagent de la recherche est � l'effet que les hommes ont plus de chances que les femmes de �s'ins�rer� sur le march� du travail deux ans apr�s l'obtention de leur baccalaur�at tandis que les femmes sont plus susceptibles d'�tre encore �en voie d'insertion professionnelle�. Si ces tendances varient selon les divers champs d'�tude, elles vont toujours dans le m�me sens soit de de favoriser les hommes. Les champs d'�tude ne sauraient donc, � eux seuls, expliquer ces r�sultats diff�renci�s selon le sexe (Trottier et al. 1994). Ces tendances sont confirm�es par d'autres recherches qui ont port� sur des professions sp�cifiques, par exemple l'�tude de Rochette (1990) sur la profession juridique.
Malgr� les gains des femmes en enseignement sup�rieur et sur le march� de l'emploi depuis les ann�es 60, en comparaison de la situation de leurs m�res et grand-m�res, les jeunes femmes ont encore besoin d'�tre mieux outill�es que leurs confr�res sur le plan scolaire pour se positionner sur le march� du travail r�mun�r�. Les dipl�mes ne constituent pas une assurance tous risques contre le sexisme et la discrimination, syst�mique ou autre, sur le march� de l'emploi. Les employ�es de soutien des universit�s du Qu�bec connaissent bien cette r�alit� in�galitaire.
Il faut rappeler en outre que les �tudiantes, pas plus d'ailleurs que les �tudiants, ne constituent un groupe social homog�ne. Plusieurs jeunes filles comme plusieurs jeunes hommes talentueux, en provenance des milieux d�favoris�s, ne fr�quentent pas encore l'universit�.
Pr�s de 30% des filles en 1992 (contre 40% des gar�ons) abandonnent l'�cole avant l'obtention du dipl�me d'�tudes secondaires. Elles risquent l'exclusion et la marginalit� sociale tout comme les jeunes gar�ons dans cette situation. Pour plusieurs d'entre elles cependant, la responsabilit� quotidienne d'enfants s'ajoutera, contrairement � ces derniers, � leurs conditions de pauvret�. Elles deviendront des �petites m�res pi�g�es� (�mond 1992).
Les jeunes hommes connaissent des difficult�s scolaires. Certes. Et le besoin d'aide bas�e sur des explications scientifiques existe. Les explications biologiques sont cependant peu utiles � qui veut aider les jeunes hommes dans leur processus d'orientation scolaire et d'insertion sociale. Elles servent plut�t � l�gitimer une �nature masculine� indomptable, violente et qui ne saurait supporter de nouveaux rapports sociaux avec les femmes.
L'analyse sociale est plus �clairante. Par exemple, une �quipe du Centre de recherche et d'intervention sur la r�ussite scolaire (CRIRES) de la Facult� des sciences de l'�ducation aborde ces questions sous l'angle de la socialisation des filles et des gar�ons (Bouchard, Coulombe, St-Amant 1994; Bouchard, C�t�, St-Amant 1994). La construction sociale de l'identit� psycho-sexuelle des jeunes serait li�e, notamment chez un certain groupe de gar�ons, � des pratiques qui d�favorisent un processus d'apprentissage scolaire.
La comparaison entre les gar�ons et les filles est en outre tr�s instructive. Elle permet d'avancer que les gar�ons puissent apprendre des filles et de leurs soeurs. Serait-ce catastrophique si des filles guidaient maintenant des gar�ons?
Nous reconnaissons que les gar�ons sont minoritaires dans certains programmes de baccalaur�at et nous nous en inqui�tons. Tout comme nous avons soutenu et soutenons encore les projets visant � inciter les filles � poursuivre des �tudes en sciences, nous appuyons toute initiative visant � encourager les gar�ons � choisir les carri�res o� ils sont pr�sentement minoritaires, notamment celles d'infirmier et d'enseignant au pr�-scolaire et au primaire.
Nous avons tenu � rappeler � la communaut� universitaire ces diverses donn�es qui montrent principalement que les gains des femmes en enseignement sup�rieur sont r�els depuis les ann�es 60 mais que le portrait comporte aussi des zones d'ombre qu'il faut expliquer et tenter de faire dispara�tre.
L'histoire et les sciences sociales appliqu�es � l'�ducation d�montrent la fragilit� des gains des groupes sociaux auxquels les �lites traditionnelles n'accordaient pas de l�gitimit�. Les femmes, comme les jeunes des milieux d�favoris�s, font partie de ces groupes minoris�s ou minoritaires par rapport � l'enseignement sup�rieur. L'insertion de ces groupes dans les programmes qui garantissent un meilleur acc�s aux positions plus prestigieuses dans la soci�t� fait souvent probl�me.
C'est souvent � ces moments que des tentatives �mergent pour remettre �les pendules � l'heure� c'est-�-dire du c�t� des groupes dominants traditionnels. Ce mouvement est port� actuellement au Qu�bec par des personnes ou des organismes qui ont une influence pr�pond�rante sur le processus d'admission � l'enseignement sup�rieur (Bouchard 1994). Ce mouvement d'intol�rance �tait pr�visible (Cloutier 1990). Il n'en est cependant pas plus acceptable.
L'histoire et les sciences sociales appliqu�es � l'�ducation nous font voir en outre le r�le des mouvements sociaux et leur n�cessaire contribution en tant que conscience sociale et initiateurs de nouvelles pratiques. Les mouvements ouvrier (Petitat 1982) nationaliste et f�ministe (Dandurand 1989), pour ne nommer que ceux- l�, ont ainsi contribu� � la reconnaissance du droit � l'enseignement sup�rieur pour ces groupes (les jeunes de milieu ouvrier, les francophones au Qu�bec, les femmes). Notre analyse nous am�ne � penser que la mission de ces mouvements sociaux est toujours aussi pertinente au moment o� les soci�t�s capitalistes contemporaines s'embourbent dans des logiques d'exclusion et de �rationalit� �conomique�.
Les f�ministes (femmes et hommes) n'ont pas comme objectifs la pauvret� et la soumission des hommes. Elles et ils travaillent et continuent de r�ver � une soci�t� nouvelle bas�e sur des rapports �galitaires entre les groupes, sur la prise en charge de ceux et celles qui �prouvent des difficult�s de vivre et la redistribution des richesses � cet effet. L'analyse sociologique nous apprend que cette soci�t� nouvelle ne peut na�tre d'une g�n�ration spontan�e. Nous sommes d'abord des �tres sociaux. Les hommes et les femmes ont besoin d'�ducation et non pas exclusivement d'instruction pour r�aliser cette soci�t�.
Les jeunes femmes et les jeunes hommes de tous les milieux sociaux ont le droit de satisfaire leurs besoins d'apprendre, de comprendre et de transformer la soci�t�. Elles et ils ont le droit d'�tre ma�tresses et ma�tres de leurs destin�es. Nous continuerons par nos recherches et nos enseignements � rendre possible la r�alisation de ces droits des jeunes femmes et des jeunes hommes..
REN�E CLOUTIER, ANTOINE BABY, PIERRETTE BOUCHARD, TH�R�SE HAMEL, professeures et professeur au D�partement d'administration et politique scolaires, MARIE-JOS�E LAROCQUE, responsable de formation pratique au m�me d�partement, ROBERTA MURA, professeure au D�partement de didactique, Facult� des sciences de l'�ducation