22 juin 1995 |
Le vide devant soi
Arpenter pendant trois semaine la calotte glaci�re, c'est aussi faire un voyage int�rieur, a d�couvert Beno�t Roy.
Blanc seulement limit� par le firmament bleu. Bulle hors du temps. Silence enveloppant. Paysage sans vie. Plusieurs jours apr�s son retour du Groenland, Beno�t Roy se sent encore impr�gn� des images qui ont accompagn� son voyage int�rieur. Pendant trois semaines, il a travers� la calotte glaciaire vers le 67�me parall�le en compagnie de Bernard Voyer, grand sp�cialiste des exp�ditions dans le froid, et d'un m�decin, Thierry P�try. Plus que le froid, l'effort physique soutenu ou la glace, le professeur au D�partement d'�ducation physique a d� apprendre � ma�triser le vide. Cette immensit� blanche glaciaire, qui ressemble selon lui � un cr�mage sur le g�teau, n'offre en effet aucune perspective � l'oeil, aucun d�rivatif. Rien de suffisant pour entretenir l'esprit et pr�venir la monotonie.
La m�moire et la glace
�Je sentais mon corps se dissocier de mon esprit et il me fallait nourrir ma vie int�rieure, raconte Beno�t Roy. Pendant des heures, je m'effor�ais de retrouver dans ma m�moire les noms de mes camarades d'enfance, de mes professeurs de l'�cole primaire, ou de faire un bilan de mon existence actuelle.� Au fond, ses efforts pour s'abstraire de cet environnment inhospitalier ressemblaient presque � ceux d'un prisonnier qui tente de s'�vader des quatre murs de sa cellule. � la diff�rence pr�s qu'il avait choisi volontairement de participer � ce p�riple accompli dans les traces de Fridjtof Nansen, un Norv�gien qui en 1888 traversait la calotte glaciaire.
Plus d'un si�cle plus tard, les trois explorateurs disposaient d'un mat�riel impressionnant pour relever le d�fi. Nourriture lhyoplilis�e enrichie en gras, tente, v�tements sp�cialement �tudi�s contre le froid, valise satellite pour �tablir une premi�re liaison radio avec Radio-Canada en direct du milieu du Groenland: chacun tra�nait pr�s d'une centaine de kilos derri�re lui. La fin du voyage pr�sentait des difficult�s car les randonneurs traversaient des montagnes de glace, des torrents d'eau, des crevasses, avant d'acc�der au plateau de la calotte � 2 000 m�tres d'altitude, ou d'en sortir. L'itin�raire ressemblait plus ensuite � de la marche � ski, sur une surface plane, qu'� une comp�tition de glisse.
La gastronomie pr�ventive
Beno�t Roy, qui skie r�guli�rement l'hiver, pratique le v�lo de montagne et la course, n'a pas suivi de pr�paration physique particuli�re avant de s'embarquer dans l'aventure. Il a simplement pris la pr�caution de se suralimenter quelques mois avant de partir afin de grossir de quelques kilos suppl�mentaires. Une pr�caution qui n'avait rien de superflu puisqu'il a perdu une bonne vingtaine de livres en trois semaines. M�me si la technique de progression sur la glace semblait assez simple, Beno�t Roy a �prouv� un v�ritable d�couragement � mi-parcours devant la r�p�tition du paysage jour apr�s jour. �Il me semblait que je n'avais plus rien � prouver, je n'avais pas de plaisir � progresser � ce rytme dans un environnement aussi inhospitalier, raconte-t-il. Je voulais revenir avec l'h�licopt�re qui devait venir nous rencontrer. Mais finalement, en parlant avec Bernard, le chef de l'exp�dition, j'ai compris que cette discipline de fer �tait indispensable si nous voulions sortir de la calotte glaciaire avant que la neige ne fonde.�
Rentr� au Qu�bec fin mai, Beno�t Roy continue de revoir les paysages glaciaires d�filer sous ses yeux. Des paysages qui nourissent un r�cit po�tique sur lequel il travaille actuellement. �Je ne pense pas repartir pour ce genre d'exp�dition, explique-t-il. Par contre, j'aimerais vivre un voyage moins spartiate, � la Terre de Baffin, par exemple, o� on peut regarder des montagnes, des fjords.�
PASCALE GU�RICOLAS