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12 janvier 1995 ![]() |
ENTREVUE
MICHEL GERVAIS:�SOYONS SOLIDAIRES POUR PASSER � TRAVERS�
Vendredi dernier, le Fil a rencontr� le recteur pour faire le point en ce d�but de 1995. Voici de larges extraits de cette entrevue.
�Sommes-nous pr�ts � oublier nos corporatismes pour regarder dans la m�me direction et faire avancer l'Universit�? Nos �tudiants et nos �tudiantes sont en droit d'attendre cela de nous. La soci�t� aussi.�
�Il nous faut �tre plus s�lectifs, plus strat�giques - plus imaginatifs aussi - et �tre pr�ts � remettre en cause des structures et des fa�ons de faire, dans le respect des personnes et des ententes avec nos employ�s.�
Le Fil: En novembre dernier,la direction de l'Universit� �voquait, devant les membres des deux conseils r�unis, un manque � gagner anticip� de 11 millions de dollars au budget de l'ann�e 1995-1996.Vous avez dit � cette occasion:�La r�alit� va rattraper tout le monde�.Qu'entendiez-vous par l�?
Michel Gervais:La r�alit�, d'une part, ce sont les compressions budg�taires d�cid�es par le gouvernement. On a parl� d'un gel des subventions au m�me niveau pendant trois ans, alors que tout augmente. Que, par exemple, les avancements d'�chelon se poursuivent et que les co�ts continuent d'augmenter.D'autre part, alors que nous avions pu compter, dans les ann�es pass�es, sur une augmentation des droits de scolarit�, le gouvernement a annonc� un gel de ces droits pour un certains temps.Sans oublier, �videmment, la baisse du nombre des �tudiants pour deux ann�es cons�cutives. Cette ann�e, cette baisse est particuli�rement importante.Et �a, �a a des effets: un premier effet sur l'ensemble des droits de scolarit�s per�us, et un deuxi�me effet, l'ann�e suivante, sur la subvention gouvernementale. Quand je dis que la r�alit� va nous rattraper, c'est ce que je veux dire: nous n'�chapperons pas � cette contrainte-l�.
Nous allons donc vivre une ann�e difficile, tr�s exigeante, et je dirais que ce qui va �tre le plus important, � travers ces difficult�s, c'est de garder l'optimisme, l'enthousiasme, la solidarit� institutionnelle qui va faire en sorte qu'on va avoir le go�t de travailler ensemble, pour le progr�s de l'Universit�, au service de ses �tudiants et de la soci�t� en g�n�ral.On pourrait trop facilement se replier sur ses difficult�s locales, sur son petit univers. La question est simple.Est-ce qu'on aime l'Universit� Laval? Est-on convaincu de l'importance de son r�le dans la soci�t�? Est-ce que nous sommes pr�ts � oublier nos diff�rents corporatismes, si je peux dire, pour travailler ensemble, regarder dans la m�me direction et faire avancer les choses? Je pense que les �tudiants et les �tudiantes sont en droit d'attendre �a de nous. Et la soci�t� aussi.C'est une question de responsabilit� sociale.
Le Fil:Y-a-t-il des secteurs, des unit�s de l'universit� qui seront particuli�erement touch�s par les contraintes dont vous venez de parler?
M.Gervais: �coutez, globalement, ce qu'on veut faire - et c'�tait l'esprit du projet B�langer sur la restructuration - c'est de nous concentrer le plus possible sur notre mission essentielle et obliger l'administration � s'all�ger, � diminuer ses d�penses, de fa�on � consacrer plus de ressources pour l'enseignement et la recherche. Il s'agit cependant de montants d'une telle ampleur qu'on ne peut pas penser qu'aucun secteur va �tre vraiment �pargn�. Sauf, peut-�tre, par exemple, la Biblioth�que, dont on veut sauvegarder le budget d'acquisitions. Nous voulons, �galement, continuer � moderniser l'Universit�, � la rendre plus souple, comme veut le faire le projet AMI (Am�nagement des moyens informatiques).
Le Fil: � ce sujet, dans le Discours de la rentr�e, en septembre dernier,vous avez utilis� les mots �urgence d'agir�. Pourquoi y-a-t-il urgence, et ou en est-on rendu dans ce processus d'examen critique du fonctionnement de l'Universit�?
M.Gervais: Le processus est en implantation.Trois comit�s sont � l'oeuvre: dans le secteur de la gestion des ressources humaines, dans le secteur de la gestion des �tudes et dans celui de la gestion financi�re de la recherche. Ces trois comit�s sont avanc�s dans leur travail et, dans le fond, ils travaillent tous dans le m�me sens: une plus grand efficacit� des op�rations et le d�veloppement d'une v�ritable �approche- client�. Du c�t� de la gestion des �tudes, on se rend compte d�j� que des unit�s semblent beaucoup plus attentives aux besoins des candidats- �tudiants et des �tudiants admis. Dans le domaine de la gestion de la recherche, les chercheurs se plaignaient de certaines lourdeurs administratives. En ce qui concerne la gestion des ressources humaines, nous voulons en arriver � une approche davantage ax�e sur les usagers.
Le Fil: Cette r��valuation va-t-elle mettre des emplois en jeu?
M. Gervais: Il n'y a pas de personnes qui vont perdre leur travail comme tel, en raison, notamment, du facteur de la permanence d'emploi.Mais, quand m�me, nous allons essayer de r�duire les effectifs du c�t� du personnel administratif, et du c�t� des administrateurs aussi. Nous avons fait des efforts pour r�duire le nombre d'administrateurs. Dans les facult�s, par exemple, il y a moins de vice-doyens qu'auparavant, et nous avons fusionn� quelques d�partements. Nous verrons ce que va nous dire � ce sujet le rapport B�langer.
Le Fil:Est-il exact qu'on se pr�pare � r�viser de fond en comble le fonctionnement - et m�me � questionner la raison d'�tre - de certains services, de certaines activit�s jug�es �secondaires� par rapport � la mission premi�re de l'Universit�?
M.Gervais: Je veux �tre prudent sur cette question. Je ne voudrais pas cr�er de panique dans la communaut� universitaire.N'emp�che que des changements importants sont in�vitables. Il est certain qu'en p�riode difficile comme celle que nous connaissons, nous devons remettre des choses en question.Nous l'avons d�j� fait: il y a eu certaines abolitions de services, des r�am�nagements administratifs importants, des fusions d'unit�s et, ma foi!, l'Universit� ne s'en porte pas plus mal, au contraire.
Plusieurs de ces changements ont entra�n� des �conomies appr�ciables, mais aussi une am�lioration des services offerts. C'est ce que nous visons. Mais, pour le r�aliser, on doit �viter la pr�cipitation, r�fl�chir attentivement, revenir � la mission premi�re de l'Universit�, aux finalit�s de ses diff�rentes unit�s et services, pour d�gager l'essentiel de l'accessoire, le principal du secondaire et, si possible, faire mieux avec moins.Les hypoth�ses de changement vont nous venir de diverses op�rations: la r�flexion sur la structure facultaire du Comit� B�langer, le projet AMI et l'op�ration de r�ing�nierie qu'il nous a amen�s � enclencher, l'�valuation des services, etc.
Tout �a peut cr�er un climat d'ins�curit�, mais nous n'avons pas le choix.Les coupures �horizontales� (un petit peu � peu pr�s �galement partout) ne suffisent plus et, d'ailleurs, elles finiraient par nous enlever tout dynamisme. Il nous faut �tre plus s�lectifs, plus strat�giques, plus imaginatifs aussi, et �tre pr�ts � remettre en cause des structures et des fa�ons de faire, tout cela dans le plus grand respect des personnes et des ententes avec nos employ�s.
Le Fil: Pour contrer la baisse de la client�le �tudiante, que fera-t-on dans le domaine du recrutement?
M. Gervais: Des op�rations sp�cifiques ont �t� men�es cet automne, en particulier � Montr�al, ainsi que dans la presse �tudiante. Mais je vous fais remarquer que lorsqu'on pense �recrutement�, on ne doit pas viser seulement � aller chercher de nouveaux �tudiants.Il faut aussi penser � retenir ceux qui sont ici, en leur assurant un bon encadrement qui fera qu'ils ne quitteront pas l'Universit� au cours du premier trimestre, par exemple, qui est le trimestre critique em mati�re de pers�v�rance aux �tudes. � ce sujet, des actions tr�s concr�tes sont engag�es dans diff�rentes facult�s.
Le Fil: �tes-vous satisfait de l'�tat de la recherche � l'Universit� Laval?
M. Gervais: On n'est jamais satisfait! Nous avons fait beaucoup de progr�s mais les ann�es qui viennent seront difficiles, en raison des restrictions impos�es aux organismes subventionnaires, tant au f�d�ral qu'au provincial. On parle m�me de baisses de 10 � 15 %. Par contre, Laval a toujours �t� performante dans les programmes sp�ciaux. Dans le programme �co-recherche du gouvernement f�d�ral, par exemple, nous avons rafl� la moiti� des projets au Canada. Dans les r�seaux des centres d'excellence, l'Universit� est associ�e � plusieurs projets et on esp�re faire bonne figure dans le nouveau concours.Bien s�r, il y a des progr�s � faire avec le corps professoral actuel et il faut engager aussi de nouveaux professeurs qui contribueront � l'effort de la recherche, qu'il faut mieux structurer. On peut faire plus et aller encore plus loin.
Le Fil: Dans le Discours de la rentr�e, vous annonciez l'�tablissement d'une politique de collaboration universit�-entreprises...
M. Gervais: �a s'en vient, c'est en consultation. Un projet a �t� �labor� sous la responsabilit� du vice-recteur � la recherche, Denis Gagnon, et on devrait soumettre ce document avant longtemps au Conseil universitaire et au Conseil d'administration.
Le Fil: Un code de conduite pour les administrateurs a �t� adopt� au Conseil d'administration du 21 d�cembre (voir article en page couverture).On pr�pare �galement une politique et des proc�dures en mati�re d'int�grit� scientifique.
M. Gervais: Oui. Les organismes subventionnaires f�d�raux, suite � une s�rie d'�v�nements qui ont troubl� la sc�ne universitaire canadienne, exigent - et l'�ch�ance est pr�cise:c'est d'ici juin 1995 - que les universit�s se donnent des r�gles de conduite en mati�re d'int�grit� scientifique. Un projet a �t� �labor� et il va �tre soumis �ventuellement au Conseil universitaire.
Le Fil: La Campagne D�fi - communaut� universitaire commence le 17 janvier. Comment cette souscription aupr�s des membres de l'Universit� s'int�gre-t-elle dans la grande campagne qui vise � recueillir 60 millions de dollars et qui va se terminer en mai 1997?
M. Gervais: La campagne de la communaut� universitaire est la premi�re �tape de la grande campagne.Et la raison, c'est que si on veut aller chercher de l'appui � l'ext�rieur de l'Universit�, il faut d'abord montrer aux futurs donateurs qu'on croit soi-m�me � son affaire.Nous sommes actuellement dans la phase �silencieuse� de la campagne, avant le lancement de celle-ci qui se fera � l'automne 1995. Et �a va tr�s bien, le comit� directeur est extr�mement actif et motiv�. Ce sont des gens dynamiques et bien branch�s sur le monde de l'entreprise, � commencer par le pr�sident lui-m�me, Me Richard Drouin.
Le Fil: Vous �tes le p�re de jeunes enfants.On suppose que vous ferez �ventuellement du recrutement aupr�s d'eux! Quel genre d'universit� souhaiteriez-vous qu'ils trouvent en arrivant sur le campus dans quelques ann�es?
M. Gervais: Le plus important:qu'ils profitent d'une qualit� de formation indiscutable et qu'ils sortent avec un dipl�me qui est reconnu partout.Qu'ils puissent avoir � Laval une formation �quivalente � tout ce qu'ils pourraient obtenir dans n'importe quelle universit� canadienne.Et si ce n'�tait pas le cas, je les encouragerais � aller ailleurs.Mais Laval est d�j� une des tr�s bonnes universit�s canadiennes et elle est reconnue comme telle partout.
Le Fil: La r�forme des instances d�cisionnelles de l'Universit� a �t� r�alis�e sous votre rectorat. A la mi-temps de votre dernier mandat, quel bilan faites-vous de ces transformations?
M. Gervais: C'est un dossier important qui a soulev� beaucoup de discussions au sein de la communaut� universitaire.On a eu deux ans d'�changes l�-dessus. On a mis le Conseil universitaire et le Conseil d'administration en place et, ma foi, je crois que ces structures fonctionnent tr�s bien. Nous avons un Conseil d'administration �quilibr� avec une participation interne importante, une participation externe de qualit� et qui nous apporte beaucoup. Le Conseil universitaire, par ailleurs, est devenu davantage ce qu'il devait �tre: un lieu de d�bats sur les questions acad�miques. On y a eu des discussions fort int�ressantes, par exemple sur la qualit� du fran�ais, sur les programmes d'�tudes, sur la recherche.
C'est une bonne r�forme. Au fond, on se retrouve maintenant avec une structure qui est assez semblable � celle qui pr�vaut dans les grandes universit�s canadiennes, mais avec des sp�cificit�s propres � Laval, comme le r�le d�cisionnel du Conseil universitaire en mati�re acad�mique et la forte participation interne au Conseil d'administration.C'est bien �quilibr�.Le fait que le Conseil universitaire doit �tre consult� obligatoirement sur un certain nombre de questions a entra�n� que ne s'est pas cr�� le foss� que d'aucuns pr�voyaient entre le Conseil d'administration et le Conseil universitaire.
Le Fil: En conf�rence de presse, hier ( 5 janvier ) le ministre de l'�ducation a �voqu� encore une fois le �gigantisme� de l'Universit� Laval et a fait valoir qu'il y a �de la place pour une autre universit� dans la r�gion�, notamment sur la Rive-Sud, � L�vis. D�sirez-vous commenter?
M. Gervais: Il y a beaucoup de choses � dire l�-dessus. Sur le �gigantisme� de notre universit�, d'abord. M. Garon prend trop facilement ses exemples chez des universit�s am�ricaines comme Yale ou Harvard.Par exemple, Harvard a un fonds de dotation de pr�s de 6 milliards de dollars US! J'aime mieux qu'on fasse la comparaison avec les autres universit�s canadiennes. Laval a une taille comparable, parfois m�me inf�rieure, � celle de grandes universit�s canadiennes comme UBC, l'Universit� d'Alberta, l'Universit� de Toronto, McMaster, Western, Waterloo, Queen's, l'Universit� de Montr�al (avec Polytechnique et HEC) ou McGill.On est dans ce groupe-l�. L'Universit� Laval est une grande universit�, mais ce n'est pas une universit� monstrueuse.
Par ailleurs, si j'en crois l'article que j'ai lu ce matin, M. Garon dit que tout le monde reconna�t qu'il devrait y avoir une universit� � L�vis. Je dirai l�-dessus que pour ma part, ce que j'entends, c'est que Ville de Laval, la deuxi�me municipalit� la plus importante au Qu�bec, r�clame depuis longtemps une universit�. La Mont�r�gie, une agglom�ration beaucoup plus importante que L�vis et la Rive-Sud, fait de m�me.D'autre part, il faut r�aliser que, de la m�me facon que le CHUL dessert les populations de Charny, Saint-Romuald et Saint-Jean-Chrysostome, l'Universit� Laval dessert ce territoire. Ces gens-l� vont continuer de venir � Laval, j'en suis convaincu.
Troisi�me point: la loi du Conseil sup�rieur de l'�ducation pr�voit que le Conseil doit �tre consult� sur tout projet de nouvel �tablissement universitaire.Il y a certaines �tapes � franchir qui ne l'ont pas �t�.Je trouve que le moment est dr�lement mal choisi pour relancer une telle id�e, alors que l'on assiste � des baisses cons�cutives de client�les dans les universit�s qu�b�coises en g�n�ral et dans la n�tre en particulier.
Le Fil: Vous insistez beaucoup, cette ann�e, sur la �responsabilit� sociale� de l'Universit�...
M. Gervais: La premi�re responsabilit� sociale de l'Universit�, c'est de former de bons �tudiants qui contribueront au d�veloppement de la soci�t�. Nous avons aussi � contribuer � l'effort collectif pour assainir les finances publiques et, l�-dessus, nous ne sommes pas dans une bulle de verre en dehors du monde. Il faut participer � cet effort-l�.Ceci dit, je pense qu'on doit se battre pour que l'enseignement et la recherche demeurent des priorit�s qu'on ne sacrifie pas trop all�grement pour se sortir de nos difficult�s �conomiques.
C'est en formant des ressources humaines comp�tentes, en ayant des activit�s cr�atrices, de l'innovation scientifique et technologique, avec le d�veloppement �conomique cons�quent, qu'on va progresser.Et,progressant �conomiquement, qu'on sera en mesure d'�tre une soci�t� qui s'occupe des besoins des plus d�munis. Il nous faut, comme soci�t�, d�velopper de la richesse pour pouvoir la distribuer.De ce c�t�, l'Universit� Laval, par les gens qu'elle forme, par les activit�s de recherche qu'elle m�ne, est certainement un des contributeurs les plus importants de ce d�veloppement.Voil� pourquoi je pense qu'on doit se battre pour que le gouvernement consid�re l'enseignement et la recherche comme un investissement plut�t que comme une d�pense.
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