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12 janvier 1995 ![]() |
Id�es
Et voil� le travail!
par Louis O'Neill, professeur d'�thique sociale � la Facult� de th�ologie
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Que penser d'un syst�me �conomique incapable de transf�rer la nouvelle richesse �conomique au service des besoins fondamentaux et r�els des citoyens?
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La d�cision de reporter � plus tard le projet Grande-Baleine en a d��u plusieurs. Ce qui est fort compr�hensible. Des milliers de travailleurs sont pr�sentement les t�moins impuissants d'une reprise �conomique o� la croissance s'accompagne de la suppression d'emplois. Rationaliser, dans le jargon gestionnaire, veut souvent dire licencier sans se pr�occuper des cons�quences humaines et sociales du ch�mage.
Confisquant � son profit le progr�s technologique, partie du patrimoine humain universel, le capitalisme lib�ral triomphant consolide son h�g�monie en r�duisant au maximum la n�cessit� de recourir � la capacit� productive des travailleurs. De ceux-ci il a n�anmoins besoin � titre de consommateurs. Sinon, il s'en passerait volontiers.
Les affaires se d�roulent autrement dans les pays o� pr�domine l'�conomie sociale de march�. D�cideurs politiques et �conomiques se reconnaissent une responsabilit� sociale dans la cr�ation d'emplois. Voil� pourquoi on y supporte mieux l'introduction oblig�e de changements structurels. � moyen et long termes, la strat�gie s'av�re profitable tant au plan �conomique qu'au plan social.
Face au nouveau lib�ralisme sauvage, les organisations syndicales tentent de sauver les meubles. On se pr�occupe de prot�ger les emplois existants. On discute de partage de travail, de retraite anticip�e, de fonds de solidarit� vou�s � la cr�ation d'emplois, de formation professionnelle. On esp�re que l'�tat, employeur � la fois direct et indirect, encouragera une politique �conomique propice � la cr�ation d'emplois.
Le c�t� obscur des nouvelles technologies
Trois volets de la question de l'emploi m�ritent particuli�rement de retenir l'attention. Le premier concerne l'application des nouvelles technologies. On a le sentiment que celles-ci sont parfois introduites pour le plaisir de la chose, sans qu'on ait �valu� les co�ts (humains et �conomiques) et les avantages r�els.
Un exemple: je veux savoir si tel train est en retard. J'ose un appel t�l�phonique. Le r�pondeur me r�cite l'horaire complet des arriv�es et d�parts, mais ma question reste sans r�ponse. Je veux effectuer une r�servation. Le r�pondeur me r�cite encore l'horaire complet. Si je suis patient, une voix en provenance de je ne sais o� consentira aimablement � satisfaire ma demande.
Aux temps anciens, mon p�re, agent de gare, contr�lait les arriv�es et les d�parts de trains deux fois plus nombreux qu'aujourd'hui, confirmait les r�servations, fournissait tous les renseignements demand�s en plus de proc�der � l'identification des wagons de fret en attente dans la cour de triage. Les utilisateurs de services (par exemple, les parcs de stationnement � paiement automatique) pourraient �tablir des comparaisons similaires. Ce qu'on a perdu en qualit� du service, l'a-t-on vraiment gagn� en co�ts? Ou a-t-on simplement voulu �liminer des postes d'employ�s tent�s par la syndicalisation? N�gocier avec un appareil de perception est moins compliqu� que n�gocier avec un syndicat.
L'introduction de nouvelles technologies peut r�pondre � des exigences de rationalisation. Mais elle peut aussi cacher d'autres pr�occupations, moins louables. Chose certaine, elle n'accro�t pas toujours la qualit� des services, mais affaiblit sans aucun doute le pouvoir des organisations syndicales.
Des besoins fondamentaux oubli�s
Autre volet majeur, celui des emplois assurant de fa�on particuli�re la croissance humaine collective. Ceux qui assurent la qualit� de la vie dans une soci�t� moderne et civilis�e, ce sont, outre les p�res et m�res de famille, les enseignants, les �ducateurs, les infirmiers, tous les pr�pos�s aux soins de sant�, les travailleurs sociaux, les sp�cialistes au service des enfants en difficult� et des d�linquants, le personnel qui accueille les immigrants, les fonctionnaires au service des citoyens, etc. Bref, tous ceux et celles qui r�pondent aux besoins fondamentaux et r�els.
Logiquement, plus une soci�t� est riche, plus on devrait �tre en mesure de cr�er et de sauvegarder de tels emplois. Or, on assiste au ph�nom�ne inverse. Seuls semblent compter les besoins solvables, ceux que peuvent se permettre de satisfaire les individus financi�rement � l'aise. De l� ce paradoxe: les besoins r�els sont criants, le personnel comp�tent est disponible, mais le syst�me est incapable de transf�rer la nouvelle richesse �conomique au service des besoins fondamentaux et r�els � satisfaire. De l� un d�ficit social dont le co�t �conomique diff�r� risque d'�tre �norme. La croissance �conomique chemine en parall�le avec l'appauvrissement � la fois �conomique et humain de milliers de citoyens. � quoi il faut ajouter le gaspillage scandaleux de ressources humaines:
ces centaines de dipl�m�s comp�tents en attente d'un emploi et rong�s par le sentiment d'�tre inutile, de trop.
De grands projets vraiment stimulants
Troisi�me volet: celui des grands projets qui r�pondent � des besoins r�els et stimulent l'�conomie. Tel fut le cas jadis de la construction des chemins de fer. Tel pourrait �tre le cas encore aujourd'hui. La transformation de vastes sections du r�seau ferroviaire en pistes cyclables rel�ve de la po�sie ou de la d�sesp�rance. Le Qu�bec a un besoin urgent d'un r�seau ferroviaire moderne, � l'image de ceux dont se sont dot�s la France et d'autres pays europ�ens. Dans le domaine du transport ferroviaire, nous sommes � l'�re de l'artisanat.
Une entreprise qu�b�coise vient de d�crocher un contrat de quelque 800 millions de dollars pour la construction d'un r�seau ferroviaire moderne au Mexique. Et pourquoi pas ici? Nous avons l'expertise: les ressources, une main-d'oeuvre comp�tente. Un tel projet est nettement plus urgent et moins co�teux que Grande-Baleine. Les avantages sont �vidents: briser l'isolement des r�gions, r�duire le camionnage excessif qui d�molit les routes, faciliter les �changes de biens et de services, cr�er des milliers d'emplois, tant permanents que temporaires.
Repenser � Grande Baleine
On parle beaucoup d'autoroute �lectronique. Aussi importante s'av�re pour nous l'autoroute ferroviaire permettant aux Qu�b�cois de toutes les r�gions de se rejoindre, d'�changer, de construire ensemble le nouveau pays.
La vie sera meilleure quand on pourra, en toute s�curit�, hiver comme �t�, franchir en moins d'une heure la distance qui s�pare Qu�bec de Chicoutimi, en moins de trois heures le trajet de Montr�al � Rouyn, en moins de deux heures le corridor L�vis-Rimouski; et quand on d�barrassera le r�seau de mastodontes qui d�molissent le pav� et encombrent le paysage. Un r�seau ferroviaire construit par des gens d'ici, � la mesure de nos moyens et offrant du travail � des milliers de citoyens d'ici.
Ensuite pourra-t-on peut-�tre repenser � Grande-Baleine, cette fois-ci pour assurer l'alimentation en �lectricit� de ces nouveaux trains modernes. De l'�nergie hydro-�lectrique non polluante pour r�pondre � des besoins d'ici au lieu d'�tre export�e � perte aux �tats-Unis.