12 janvier 1995 |
PROSPECTIVES 1995
Que nous r�serve 1995? Des professeurs ont accept� de se transformer en
futurologues. Et ceux qui avaient fait cet exercice pour le Fil l'an
dernier font le point sur ce qu'ils avaient �pr�dit�...
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DE LA VACHE MAIGRE AU MENU
On ne sait pas si sa connaissance intime des constellations y est pour
quelque chose mais la justesse des pr�dictions faites l'an dernier par
l'astrophysicien Jean-Ren� Roy du D�partement de physique ferait p�lir
d'envie l'astrologue Jojo Savard. �C'�tait relativement facile vu le contexte�, rappelle humblement celui qui avait pr�dit une ann�e difficile pour le financement de la recherche. On a �vit� de justesse une coupure de 20% des
subventions du FCAR en juin et l'examen des programmes f�d�raux en
cours ne laisse pr�sager rien de bon.� Par contre, sur le terrain
scientifique, Jean-Ren� Roy n'a pas fait mentir le dicton des
cordonniers mal chauss�s puisque sa pr�diction sur l'�lucidation de la
masse obscure de l'Univers ne s'est malheureusement pas mat�rialis�e en
1994. �J'ai p�ch� par exc�s d'optimisme, reconna�t-il aujourd'hui, mais
on est proche de la solution, on y est presque.�
Pour 1995? Jean-Ren� Roy n'h�site pas � remettre sur la table sa
pr�diction de jours sombres pour le financement de la recherche. ��a n'a
pas fait aussi mal qu'on aurait pu le croire en 1994 mais tout est en
place pour un coup dur en 1995. Les finances de l'�tat ne se sont pas
am�lior�es et le couperet est dans l'air. Ceux qui ne sauront pas
s'organiser pour faire valoir leurs revendications vont trouver l'ann�e
tr�s difficile�. C�t� scientifique, Jean-Ren� Roy signale qu'il faudra
surveiller l'arriv�e de grands t�lescopes munis de nouveaux
spectrographes captant la lumi�re dans l'infrarouge. �La lumi�re
provenant d'objets tr�s lointains est d�cal�e vers l'infrarouge. Les
nouveaux instruments qui seront utilis�s en 1995 avec les t�lescopes
Keck et Canada-France-Hawai vont sans doute nous r�v�ler que l'�ge de
l'Univers est plus �lev� que ce que l'on pensait.�
Agriculture
TROIS GRANDS RENDEZ-VOUS
C�t� agriculture, Michel Morisset , directeur du Groupe de recherche en
�conomie et politique agricoles et professeur au D�partement d'�conomie
rurale, a vis� juste en 1994. Il avait notamment pr�dit que l'ann�e
serait domin�e par les ajustements amen�s par le trait� de l'ALENA et
les accords du GATT ainsi que par le changement de garde � la t�te de
l'UPA et des minist�res provincial et f�d�ral de l'agriculture.
Selon lui, l'ann�e 1995 sera marqu�e par trois grandes �ch�ances pour le
monde de l'agriculture. La premi�re est l'�ch�ance r�f�rendaire, qu'il
pr�voit d'ailleurs pour juin. �L'UPA a d�cid� de ne pas prendre position
mais les f�d�rations r�gionales, � qui on reconna�t un fond nationaliste
important, vont intervenir dans les 15 commissions r�gionales. Les
agriculteurs, en fins n�gociateurs qu'ils sont, vont se laisser
courtiser par le f�d�ral et le provincial.�
La deuxi�me �ch�ance concerne le budget de l'agriculture. Les deux
gouvernements sont en d�but de mandat et ils doivent faire des coupes
importantes afin de d�montrer leur cr�dibilit� sur le plan de la gestion
des finances publiques. Le f�d�ral nous pr�pare au pire de sorte que les
coupes qu'il effectuera r�ellement para�tront plus acceptables. Il faut
s'attendre � une baisse des paiements vers�s aux producteurs. Au Qu�bec,
les producteurs laitiers devraient �tre les plus touch�s. Dans le m�me
esprit, il faut s'attendre � des coupes de l'ordre de 10% au budget du
MAPAQ.
Enfin, il y aura une �ch�ance de n�gociation commerciale. Aux �tats-Unis,
les R�publicains contr�lent maintenant les deux chambres et ils vont
pousser en faveur d'une lib�ralisation des tarifs pour les productions
contingent�es. �Ils vont demander l'ouverture des fronti�res canadiennes
pour le yogourt , la cr�me glac�e, les oeufs et � la volaille produits
aux �tats-Unis, ce qui annonce une comp�tition tr�s vive pour les
producteurs qu�b�cois.�
Environnement
L'�RE DE LA PETITE �CHELLE
Jean Mercier, directeur du D�partement de science politique, s'accorde
une bonne note dans son auto�valuation de devin pour 1994. Il avait
pr�vu, au Qu�bec, la mise en veilleuse des pr�occupations �cologistes,
ce qui a �t� �loquemment confirm� par l'absence totale de l'environnement
dans les enjeux de la derni�re campagne �lectorale provinciale. Il
avait �galement annonc� que le dossier Grande Baleine referait surface en
1994, sans toutefois pr�ciser que ce ne serait que le temps d'�tre coul�
par le gouvernement Parizeau. � l'�chelle internationale, il soulignait
que 1994 r�v�lerait � la face du monde les m�faits environnementaux du
miracle �conomique asiatique. ��a se passe encore au moment o� on se
parle, assure-t-il. J'�tais en Chine l'�t� dernier et la d�sertification
progresse de fa�on alarmante et �a va se poursuivre en 1995.�
Selon Jean Mercier, l'environnement sera marqu�, en 1995 et dans les
ann�es � venir, par l'esth�tique de la petite �chelle, de la production
locale et de la d�centralisation. ��a correspond � l'esprit de notre
�poque. Les petites centrales vont remplacer les m�gaprojets
hydro�lectriques m�me si rien ne prouve que c'est meilleur pour
l'environnement .� . Plusieurs anticipaient l'implantation massive
d'industries polluantes au Mexique suite � la signature de l'ALENA. ��a
ne se produira pas et le Mexique va m�me appliquer avec plus de vigueur
les r�gles qui existent d�j�.� Contrairement � ce que l'on a connu dans
le pass�, la reprise �conomique de 1995 ne s'accompagnera pas d'une
remont�e de l'environnement dans les priorit�s de la population.
�L'endettement des gouvernements, une reprise sans cr�ation d'emplois et
les coupures de subventions aux groupes �cologistes sont responsables de
cette situation. Les questions environnementales seront � peine soulev�es
dans les commissions r�gionales qui seront tenues dans le cadre du
processus r�f�rendaire. Par contre, on assistera � une mont�e de la
conscience environnementale en Asie, semblable � celle que l'on a connue
ici dans les ann�es 1970 et 1980.�
Sant�
COMPRESSIONS, COMPRESSIONS, COMPRESSIONS
Mis � part le fait qu'il avait omis de pr�dire sa propre nomination au
poste de doyen de la Facult� de m�decine, Louis Larochelle a mis� juste
dans ses pr�dictions pour 1994. On se souviendra qu'il avait avanc� que
la th�rapie g�nique, les contraintes �conomiques et les fusions
d'h�pitaux allaient occuper une bonne partie de l'agenda de 1994 et les
�v�nements ne l'ont pas fait mentir. Selon lui, 1995 nous r�serve des
variantes sur les m�mes th�mes. Les compressions budg�taires
constitueront la trame de fond de l'ann�e qui vient. On assistera � de
nombreuses fusions d'h�pitaux, non pas dans l'espoir d'obtenir la
d�signation d'h�pital universitaire mais pour des motifs purement
budg�taires. �Le mode de fonctionnement du syst�me de sant� est sur la
voie d'un changement important. On assiste au d�veloppement des soins
ambulatoires ce qui signifie moins d'hospitalisation. Le nombre de
m�decins va diminuer. D�j�, le minist�re de la Sant�. et des Service
sociaux a abaiss� de 25 le nombre de nouvelles admissions dans les
facult�s de m�decine qu�b�coises pour septembre 1995 et il en fera
autant pour septembre 1996.� Du c�t� de la recherche, le doyen
Larochelle pr�voit que le projet international du g�nome humain va
livrer les secrets des g�nes et des maladies g�n�tiques � un rythme
acc�l�r�.
�conomie mondiale
LENDEMAINS DE REPRISE
Beaucoup de pays sont sortis de la r�cession en 1994. M�me si elle n'a
pas r�ussi � redonner confiance aux consommateurs, la reprise est bel et
bien arriv�e chez nous avec le d�gel du printemps de 1994, signale Jean-
Yves Duclos, professeur au D�partement d'�conomique. Une des premi�res
cons�quences de ce retour � un meilleur �tat de sant� �conomique a �t�
une baisse de 1 % du nombre de ch�meurs au pays, baisse qui devrait se
poursuivre en 1995. Voil� pour la bonne nouvelle. Maintenant, l'autre
c�t� de la m�daille: les taux d'int�r�ts devraient conna�tre des
pressions � la hausse. Des pays comme les �tats-Unis et certains pays
d'Europe craignent en effet que la reprise n'entra�ne dans son sillage le
retour de l'inflation. D'o� des actions quasi in�vitables... Ajoutons �
cette peur (bien fond�e, selon l'�conomiste) l'incertitude
constitutionelle nationale, et nous avons l� les ingr�dients d'une
�recette� assur�e pour les investisseurs et d'un loyer de l'argent plus
co�teux pour les consommateurs. Sans compter un taux de change qu'il
faudra surveiller de pr�s et une Banque du Canada qui devrait pratiquer
une politique mon�taire plus stricte. L'ann�e 1994 avait �t� marqu�e, sur
la sc�ne mondiale, par la ratification des accords de l'AL�NA et surtout
de l'Uruguay Round, au sein du GATT. De ce dernier mariage de convention
est n�e l'Organisation mondiale du commerce, un organisme plus puissant
que le GATT qui, croit Jean-Yves Duclos, am�liorera consid�rablement les
conditions de commerce pour des pays comme les �tats-Unis et le Canada,
entre autres, sur le plan des services et de la propri�t� intellectuelle.
Relations Qu�bec/Canada
LA TEINTE R�F�RENDAIRE
Les relations entre le gouvernement qu�b�cois et celui d'Ottawa seront
fortement teint�es par la dynamique r�f�rendaire que vit le Qu�bec depuis
l'�lection du Parti qu�b�cois. Ces relations, moins �normales� que
d'habitude, seront �tablies sur une base strat�gique visant � maximiser
les chances de chacune des factions de remporter le r�f�rendum, pense Guy
Tremblay, professeur de droit constitutionnel � la Facult� de droit. �
l'heure actuelle, avant m�me que ne d�bute la vaste campagne de
consultation via les commissions r�gionales et en tenant compte de la
pr�sente formulation de �la� question, le constitutionnaliste pr�voit que
le OUI � la souverainet� ne devrait pas recueillir plus de 45 % de la
�volont� populaire�. Si jamais il atteint 51 % du suffrage exprim�, ce
sera une �norme victoire, croit Guy Tremblay. Une victoire du NON, ne
signifierait pas, par contre, un vote des Qu�b�cois pour le statu quo, la
majorit� d'entre eux favorisant plut�t un f�d�ralisme renouvel�, indique-
t-il. Aux dires du professeur de droit constitutionnel, la pi�ce
ma�tresse de la campagne r�f�rendaire demeure la sant� de Lucien
Bouchard: le charismatique chef du Bloc qu�b�cois semble seul capable de
vraiment rassembler toutes les forces souverainistes, 15 ans apr�s la
bataille de 1980.
Relations internationales
LA HOULETTE RUSSE
Tous les regards continueront de se tourner vers la Russie dans les mois
qui viennent. Et un observateur fort int�ress� sera sans doute l'Oncle
Sam, qui suivra de pr�s le processus de �d�colonisation int�rieure� qui
secouera la contr�e de Boris Elstine. Pour Albert Legault, directeur
g�n�ral du Centre qu�b�cois de relations internationales (CQRI), la
r�bellion de la Tch�tch�nie (que Moscou devrait m�ter incessamment)
constitue le d�but de la d�sint�gration d'une F�d�ration russe qui compte
21 ethnies et 89 pays... et une r�surgence accrue des nationalismes. Non
loin de l�, l'Europe vivra, entre autres, d'importants d�bats sur
l'�largissement de l'OTAN aux pays de l'Est. Du c�t� du Proche-Orient, on
peut s'attendre � un accord entre Isra�l et la Syrie, mais � une impasse
en ce qui a trait � la question palestinienne. Les pays occidentaux se
mobiliseront davantage contre l'int�grisme musulman, annonce Albert
Legault. Quant � la situation qui perdure sur le territoire de l'ex-
Yougoslavie, on pourrait assister � la signature d'un trait� d�finitif
entre les bellig�rants; tout d�pendra, dans ce cas, de l'allure qu'auront
prise les dossiers de la Tch�tch�nie et de l'�largissement de l'OTAN aux
pays de l'Est, laisse entendre le dg du CQRI.
Affaires municipales
ABSENCE DE CONSENSUS
S'il est un d�nominateur commun que l'on peut attribuer actuellement aux
grands dossiers animant le monde municipal, c'est bien l'absence de
consensus, constate Louise Quesnel, professeure au D�partement de science
politique. Dans un contexte o� les municipalit�s, les MRC et la
Communaut� urbaine de Qu�bec (CUQ) sont plus que jamais li�es aux
compressions budg�taires des gouvernements f�d�ral et provincial, cinq
points seront � surveiller dans la r�gion de Qu�bec, selon elle.
L'annonce, en juin 1995, du site o� se tiendront les Jeux olympiques
d'hiver de 2002 sera sans contredit une d�cision que les villes de la
r�gion attendent avec impatience car, si elle est positive, ses
r�percussions se feront sentir tout au long de la prochaine d�cennie.
Dans un autre ordre d'id�es, l'ensemble des municipalit�s du Qu�bec
risque de ressentir, dans les prochains mois, les contrecoups de
l'�lection r�cente de Pierre Bourque � la mairie de Montr�al et surtout
de la demande de modification � la charte de la Ville qui a suivi. Le
gouvernement qu�b�cois devrait se prononcer au cours de l'hiver sur cette
demande qui concerne, entre autres, les m�canismes de consultation et de
gestion. Comme il devrait le faire �galement dans le cas du dossier des
villes-centres. On sait qu'un rapport faisant �tat de la situation
difficile des villes-centres (Montr�al, Qu�bec, Sherbrooke notamment) a
�t� d�pos� en d�cembre 1994 et que le ph�nom�ne de la population
vieillissante le rend d'une br�lante actualit�. La vaste op�ration de
r�vision du sch�ma d'am�nagement d�j� entreprise � la CUQ et dans les MRC
de la r�gion aura, aux dires de Louise Quesnel, un impact important sur
les orientations que les dirigeants politiques entendent faire prendre �
la r�gion de Qu�bec, en mati�re d'environnement et de consolidation des
zones urbaines. La question de la d�centralisation, un dossier
d'envergure provinciale -- o�, l� encore, le consensus est loin d'�tre
assur� --, sera aussi dans le d�cor en 1995, avec ses d�bats de fond...
et de fonds sur les transferts de pouvoirs et la fiscalit� municipale.
�ducation
L'�COLE DE R�FORMES
Les r�formes annonc�es sous le gouvernement lib�ral pr�c�dent aux niveaux
primaire, secondaire et coll�gial ayant pi�tin�, on peut pr�voir la mise
en place d'une forme de moratoire jusqu'aux �tats g�n�raux sur
l'�ducation, qui devraient se tenir d'ici � la fin de 1995. Antoine Baby,
professeur au D�partement d'administration et politique scolaires et
directeur du Centre de recherche et d'intervention sur la r�ussite
scolaire (CRIRES), assortit son pronostic d'autres tendances qui
devraient continuer de se manifester dans le monde de l'�ducation. Ainsi
la r�forme de la formation des ma�tres amorc�e au primaire et au
secondaire, davantage ax�e sur la pratique et sur un meilleur
encadrement, devrait se concr�tiser dans le courant de l'ann�e. L'�lan
d�j� donn� � la lutte contre le d�crochage devrait �galement se
poursuivre au sein d'un profitable partenariat rassemblant le
gouvernement et les divers intervenants du milieu, une attention
particuli�re �tant port�e � l'enseignement professionnel.
Politique qu�b�coise
UN VRAI PAYS?
Selon R�jean Pelletier, professeur au D�partement de science politique, l'avant-projet de loi sur la souverainet� d�pos� r�cemment par Jacques Parizeau � l'Assembl�e nationale constitue un processus habile qui va forcer les autres partis � prendre position. �Si le Parti lib�ral maintient le statu quo sur la question, il sera encore per�u comme le parti des anglophones. D'un autre c�t�, il peut r�affirmer le Qu�bec comme �tant une soci�t� distincte et valoriser les ententes administratives avec le f�d�ral. Toutefois, les lib�raux savent qu'ils ne peuvent aller trop loin dans leurs d�clarations car on aura vite fait de leur remettre sous le nez les deux tentatives de renouvellement du f�d�ralisme, Meech et Charlottetown, qui ont �chou�.� Si R�jean Pelletier estime que la d�marche entreprise par Jacques Parizeau est tout � fait l�gitime, il croit cependant que le clan f�d�raliste s'abstiendra de participer aux commissions r�gionales. �Au moment o� on se parle, le r�f�rendum, qui pourrait avoir lieu en juin si tout se d�roule bien en commissions r�gionales, a peu de chances de l'emporter. Les f�d�ralistes vont encore jouer sur la peur et dire que certains points de l'avant- projet de loi sur la souverainet� sont irr�alisables. En m�me temps, cette attitude peut se retourner contre eux et jouer en faveur des souverainistes.� Si le rejet de la question r�f�rendaire fera tr�s mal au Parti qu�b�cois, le politologue croit que celui-ci ne red�finira pas ses positions, surtout si le pourcentage de Qu�b�cois en faveur de la souverainet� augmentait.
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