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2 f�vrier 1995 ![]() |
Sciences sans conscience?
PAR FATHI HABASHI
PROFESSEUR AU D�PARTEMENT DE MINES ET M�TALLURGIE ( * )
* Extraits du discours d'ouverture de l'exposition �Les forges du Saint-Maurice� prononc� en octobre 1994.
Il n'y a pas de formation compl�te en sciences et g�nie sans enseignement de l'histoire des technonologies.
Depuis des milliers d'ann�es, les m�tallurgistes ont pourvu aux besoins mat�riels des gens. Aujourd'hui, la technologie change tellement rapidement qu'� premi�re vue l'histoire du pass� semble offrir peu de valeurs professionnelles pour remplir les besoins du pr�sent. L'attitude des individus face � l'histoire peut se r�sumer dans la phrase: �Sa connaissance n'est pas b�n�fique et son ignorance ne fait pas de mal�. Mais l'histoire offre plusieurs le�ons de valeur, en plus de satisfaire notre curiosit� naturelle quant aux d�couvertes et traditions de cette profession.
Un �tudiant qui apprend la m�tallurgie sans appr�cier sa vitesse de croissance, son changement technologique rapide et les forces �conomiques qui influencent l'industrie n'est pas proprement form�. En plus, la science et l'ing�nierie sont faites par des personnes et il est pratiquement impossible d'enseigner une discipline sans mentionner les noms des scientifiques ou des inventeurs. C'est pourquoi il est essentiel d'inclure syst�matiquement ces noms dans l'�tude de la m�tallurgie. Le sens de l'histoire peut donner � l'�tudiant une id�e du mouvement, du progr�s et du changement continuel dans la science. L'int�gration de l'histoire dans l'�tude de la m�tallurgie peut sensibiliser les �tudiants aux interrelations entre les �v�nements en physique, chimie, m�tallurgie et autres technologies. De plus, cela remet les grandes d�couvertes � leur vraie place pour qu'elles ne soient pas vues par l'�tudiant comme des �v�nements isol�s cr��s par de grands hommes ou de grandes femmes. En 1983, la Soci�t� des chimistes am�ricains a recommand� aux enseignants d'inclure une perspective historique dans l'enseignement de la chimie. C'est pourquoi les livres de chimie d'aujourd'hui comprennent des biographies de grands chimistes et quelques fois des photos. Malheureusement, la Soci�t� des m�tallurgistes du Canada et des �tats-Unis n'a pas fait de recommandation semblable pour les �tudes de m�tallurgie. Un vecteur important de la science
Le distingu� po�te allemand Johann Wolfgang von Goethe, qui s'int�ressait � la science, a montr� l'importance de l'histoire de la science quand il a �crit: �L'histoire de la science, c'est l'histoire elle-m�me�. Le chimiste allemand Wilhelm Ostwald a reconnu en 1889 l'importance de l'histoire. Il a r�imprim� des centaines de travaux originaux de chimistes dans une s�rie qu'il a appel�e Les travaux classiques dans les sciences pour rendre disponibles � ses coll�gues chimistes des travaux obscurs ou non facilement disponibles, ainsi que des travaux qu'il pensait que les chimistes devaient lire.
L'ing�nieur minier Herbert Hoover, qui a �t� pr�sident des �tats -Unis de 1929 � 1933, a aussi reconnu l'importance de l'histoire. Avec son �pouse, il a produit en 1912 la premi�re version anglaise du livre De Re Metallica de Georgius Agricola, publi� en 1556 en latin, un ouvrage de r�f�rence pour les �tudiants de mines et m�tallurgie pour au moins 200 ans. R�cemment, le distingu� professeur de m�tallurgie du Massachusetts Institute of Technology, Cyril Stanley Smith (1903 -1992), en collaboration avec d'autres chercheurs, a traduit en anglais plusieurs travaux classiques de m�tallurgie publi�s originalement en latin, allemand, italien, fran�ais, polonais et japonais.
Les chimistes, plus prolifiques
Alors que plusieurs chimistes consacraient du temps pour �crire sur l'histoire de la chimie, peu de m�tallurgistes ont fait des efforts semblables. C'est pourquoi l'histoire de la chimie est plus avanc�e que l'histoire de la m�tallurgie. Le chimiste anglais J.R. Partington (1886-1965) a publi� non pas seulement ses travaux gigantesques sur la chimie physique, mais aussi quatre grands volumes sur l'histoire de la chimie; les volumes sont bien document�s et font autorit� sur ce sujet. Avant lui, le chimiste fran�ais Marcellin Berthelot (1827-1907), qui a fait plusieurs d�couvertes en chimie organique et thermodynamique chimique, a �crit quatre livres sur diff�rents aspects de l'histoire de la chimie et un volume intitul� Arch�ologie et Histoire des Sciences.
L'histoire de la science peut stimuler les �tudiants. Par exemple, l'histoire de Charles Martin Hall (1863-1914) qui, � l'�ge de 22 ans, a produit le premier �chantillon d'aluminium �lectrolytique, pr�par� dans sa remise � l'aide de batteries qu'il avait fabriqu�es lui-m�me. C'est le m�me proc�d� que l'on utilise aujourd'hui pour la production de quelques dizaines de milliers de tonnes d'aluminium, chaque ann�e, dans le monde. Hall avait �t� inspir� par son professeur de chimie qui avait �tudi� en Allemagne avec Friedrich W�hler (1800-1882) lequel avait travaill� sur ce m�tal et mentionn� la n�cessit� de trouver un proc�d� moins dispendieux que celui qui �tait utilis�.
Encore plus inspirante peut-�tre, pour nos �tudiants, est la biographie de Michael Faraday (1791-1867). Ce gar�on de 22 ans a �t� nomm� en 1813 adjoint au grand chimiste britannique, Sir Humphrey Davy (1778-1829), de l'Institut Royal de Grande- Bretagne. Faraday venait d'une famille pauvre et a travaill� comme relieur de volumes dans une imprimerie. En m�me temps qu'il suivait les conf�rences sur la chimie de Davy � Londres. Un jour, il a reli� ses notes de conf�rences comme un livre et les a pr�sent�es � Davy en lui demandant un emploi. Les contributions de Faraday � l'�lectrochimie, la m�tallurgie et la physique sont �normes. Quand on a demand� � Davy quelle �tait sa plus importante d�couverte, il a r�pondu: �Michael Faraday�. L'histoire, essentielle � la prospective
Personne ayant suivi le d�roulement des progr�s scientifiques et technologiques dans les vingt � trente derni�res ann�es ne peut nier que la science et la technologie sont des facteurs d�terminants pour notre futur. Planification et pr�paration sont une influence sur ce futur qui est devenu lui-m�me une science appel�e �la pr�vision technologique�. Il devient �vident que l'on ne peut pas juger ou pr�dire sans une connaissance approfondie du d�veloppement dans le pass�. ( ... ) Comment une id�e a-t-elle conduit � une d�couverte? Est-ce qu'elle origine d'une m�me discipline ou bien d'autres disciplines? Combien de temps a-t-il fallu entre moment de la d�couverte et la r�alisation de sa signification ou son application pratique? Les r�ponses � ces questions et � d'autres demand�es par les planificateurs du futur sont fournies par les historiens des sciences et de la technologie.
La m�tallurgie, comme d'autres branches du g�nie, est une activit� humaine faite par des hommes et des femmes. L'histoire de Madame Curie (1867-1934), cette immigrante polonaise � Paris qui a travaill� dans des conditions difficiles � dissoudre des tonnes de r�sidus de pechblende pour obtenir quelques milligrammes d'un nouvel �l�ment dont le sel brille dans le noir, en a inspir� plusieurs ( ... ) Plusieurs scientifiques ont eu une vie r�ussie et magnifique, alors que d'autres ont v�cu dans la mis�re ou connu des fins tragiques. Le chimiste su�dois Jons Jacob Berzelins (1779-1848) et le chimiste allemand Justus von Liebig (1803-1873) re�urent le titre de baron en reconnaissance de leurs travaux alors que le physicien autrichien Ludwig Boltzmann (1844-1906) et le chimiste fran�ais Nicolas Leblanc (1742-1806) ont mis fin � leurs jours. La fin tragique d'Antoine Laurent Lavoisier doit �tre connue de tous les �tudiants des sciences. Lavoisier, jeune chimiste fran�ais, a �t� impliqu� dans le syst�me de collection d'imp�ts qui a frapp� cruellement pendant la R�volution fran�aise. ( ... ) L'histoire de ce chimiste n�gligent qui a agit� un m�lange avec un thermom�tre, une op�ration qui ne doit pas �tre faite par un chimiste, est aussi instructive. En effet, ce chimiste a bris� le thermom�tre, mais heureusement, le mercure du thermom�tre a acc�l�r� la r�action. Quand il a r�p�t� la m�me exp�rience en utilisant un agitateur m�canique, la r�action n'a pas eu lieu comme pr�vu. Un �tudiant qui entend cette histoire gardera en m�moire le r�le jou� par un catalyseur. Par ailleurs, il y a plusieurs histoires de chimistes attentifs. Une de ces histoires raconte l'observation faite par le chimiste allemand Ludwig Mond (1839-1909) qui a �tabli son entreprise chimique en Angleterre. Un jour, il a observ� qu'une valve fabriqu�e en nickel avait �t� s�v�rement attaqu�e par les gaz des tuyaux. Apr�s un examen plus minutieux, il en est venu � la conclusion que le nickel r�agit avec le CO pour former un gaz. Il a trouv� que ce gaz est de composition Ni(CO)4 c'est-�-dire le t�tracarbonyle de nickel. La facilit� avec laquelle ce carbonyle d�compose � haute temp�rature en nickel et en monoxyde de carbone a donn� l'id�e � Mond d'utiliser cette r�action pour l'affinage du nickel. Il a construit une usine � cette fin et aujourd'hui ce proc�d� est utilis� � grande �chelle pour l'affinage du nickel � Sudbury. En conclusion, on peut dire qu'il est possible d'enseigner � un technologue en m�tallurgie sans le sensibiliser sur l'histoire de son domaine, mais il est difficile d'instruire un m�tallurgiste cr�atif sans cette connaissance.
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