2 f�vrier 1995 |
Profil de Jean Couture : l'urgence d'agir
� 70 ans, il s'accorde cinq ans pour donner aux Chinois un mod�le complet de lutte contre le cancer.
Le 30 septembre dernier, le professeur Jean Couture de la Facult� de m�decine �tait invit� � d�ner par le vice-premier ministre de la Chine, Zou Jiahua, au �Hall of People� de Beijing pour recevoir le prix de l'Amiti�, la plus haute distinction remise � des experts en coop�ration internationale par le gouvernement chinois. Le 1er mars prochain, ce sera au tour de Jean Chr�tien de l'accueillir � Rideau Hall alors qu'il sera re�u membre de l'Ordre du Canada. S'il accepte avec fiert� de s'arr�ter quelques instants pour appr�cier la fra�cheur qu'apporte la pluie d'honneurs qui s'abat sur lui, Jean Couture ne se laisse pas pour autant distraire de la mission qu'il s'est donn�e.
Malgr� ses 70 ans et en d�pit de la besogne �norme d�j� abattue, l'urgence d'agir ne le quitte pas. Au cours des cinq derni�res ann�es, il a veill� � la cr�ation d'une unit� d'oncologie, semblable � celle o� il travaille � l'h�pital du Saint- Sacrement, dans un h�pital de Changchun affili� � l'Universit� Norman Bethune. �La premi�re phase du projet, qui consistait � former du personnel m�dical apte � soigner les canc�reux, a bien fonctionn� mais ce n'est pas complet, il faut une deuxi�me phase pour d�velopper les aspects de pr�vention et de diagnostic pr�coce et pour les aider � construire un r�seau d'enseignement et de recherche. Je vois une fa�on de r�gler un probl�me grave, je sens qu'on m'offre la chance de faire quelque chose d'�norme, de tangible, de permanent pour la Chine. Je m'accorde cinq ans pour donner aux Chinois un mod�le complet et valable de lutte contre le cancer qu'ils pourront ensuite propager � leur guise.�
40 ans de retard
En 1990, il a convaincu l'ACDI d'investir 500 000$ dans la phase 1 du projet. Il a aussi persuad� une vingtaine de personnes de l'h�pital du Saint-Sacrement, de l'H�tel-Dieu de Qu�bec et de l'h�pital Laval, dont plusieurs professeurs � la Facult� de m�decine, de participer � cette belle aventure de coop�ration internationale. Ensemble, ils ont collabor� jusqu'� maintenant � la formation de 11 m�decins, 4 infirmi�res et 2 �pid�miologistes chinois qui sont venus � Qu�bec dans le cadre du projet et qui sont retourn�s en Chine appliquer ce qu'ils ont appris ici. Encore cette semaine, trois autres m�decins chinois d�barqueront � Qu�bec pour y suivre une formation en oncologie de quelques mois.
Mais, Jean Couture est bien conscient que la phase 2 du projet constitue un gros morceau � avaler pour l'ACDI: 3,7 millions de dollars sur cinq ans. �On n'obtiendra sans doute pas ce montant mais il faut que le mod�le de lutte contre le cancer qu'on l�gue au peuple chinois soit complet et valable parce qu'il aura des effets multiplicateurs dans tout le pays�, insiste-t-il.
Depuis son inauguration en septembre 1992, l'unit� d'oncologie qu'il a contribu� � mettre sur pied a accueilli plus de 800 patients. Dans environ 70 % des cas, les gens se pr�sentent � l'h�pital alors que le cancer est trop avanc�. �Je revis l�-bas les m�mes frustrations que j'ai connues ici quand j'ai commenc� � pratiquer la m�decine en 1954. Il faut aider les Chinois � combler rapidement ce retard.� Le cancer fait des ravages en Chine pr�sentement en raison de la pollution industrielle, de l'usage de pesticides bannis dans d'autres pays et surtout du tabagisme. Il y aurait 300 millions de fumeurs dans cette population de 1,2 milliard d'individus. �Il s'agit d'un march� �norme pour les fabricants nord-am�ricains de cigarettes qui profitent du fait que la population est encore peu avis�e des m�faits du tabac pour relancer leurs ventes�, d�plore-t-il.
L'�loge du concret
Jean Couture aime le concret, les choses palpables et tangibles, un trait qui lui vient probablement de sa vocation de chirurgien. �La plupart des m�decins travaillent dans l'abstrait. Le chirurgien lui op�re un patient, voit la cause du mal, la palpe, la r�pare ou l'enl�ve. Il doit prendre des d�cisions tr�s importantes � tous les jours, � toutes les heures. Il se sent continuellement utile, il a la vie de patients entre ses mains. J'adore la chirurgie�, conclut-il tout bonnement. S'il n'op�re plus depuis quelques ann�es, il est demeur�, au fond de lui, un chirurgien. Des quarante ann�es qu'il a consacr�es � l'exercice de son art, il a conserv� le constant besoin d'action et le pressant d�sir d'�tre utile.
Jean Couture ne s'est pas d�couvert une passion soudaine pour la coop�ration internationale. C'est plut�t la coop�ration internationale qui l'a d�couvert et qui s'est impos�e � lui de fa�on incontournable. En 1987, deux chercheurs chinois en s�jour � Qu�bec lui sugg�rent de cr�er un programme de stages entre l'Universit� Laval et l'Universit� Norman Bethune. �J'�tais tout � fait n�ophyte en coop�ration internationale, je ne savais pas comment m'y prendre ni o� trouver le financement. Aujourd'hui, je r�alise que c'est la chose la plus extraordinaire qui soit arriv�e dans ma carri�re, celle qui me donne la plus grande satisfaction.�
Les Chinois ont nomm� l'unit� qu'il a contribu� � mettre sur pied la �Bethune-Laval Oncology Unit�, une appellation dont il s'enorgueillit. D'abord parce qu'elle �voque le grand m�decin canadien qu'a �t� Norman Bethune et l'importance de son oeuvre humanitaire en Chine. Mais aussi, parce que le nom de l'Universit� Laval y est associ�. Toute la carri�re de Jean Couture a �t� intimement li�e � l'Universit�. Dipl�m� de la Facult� de m�decine en 1949, il revient � son alma mater en 1954 comme professeur apr�s avoir appris la chirurgie � New York. Il occupe de 1974 � 1979, le poste de vice-doyen de la Facult� de m�decine puis, de 1981 � 1989, celui de directeur du D�partement de chirurgie. Il collabore de plus � l'�laboration des programmes de sp�cialit�s m�dicales � la Facult� de m�decine de l'Universit� Laval. �Je suis heureux que le nom de l'Universit� Laval circule en Chine et qu'il soit associ� � ce projet humanitaire.�
Une v�ritable coop�ration
Jean Couture s'est rendu � quatre reprises en Chine depuis 1992 pour voir o� en sont les choses � l'Unit� d'oncologie Bethune- Laval et pour poursuivre la formation du personnel. Lorsqu'il arrive � l'a�roport, il est maintenant accueilli par une d�l�gation de 20 � 30 Chinois qui lui font prendre conscience de l'importance de sa mission. D'o� ce besoin de continuer. Jamais au cours de ses visites il n'a �t� t�moin d'�v�nements allant � l'encontre des droits humains. �C'est possible que ces choses se produisent et j'y ai longuement r�fl�chi. J'ai choisi de faire passer le bien du peuple chinois avant des consid�rations d'ordre politique. En mon �me et conscience, je pense que c'est ce que je dois faire. Je crois qu'il est plus utile de leur d�montrer le bien qu'un pays comme le Canada peut faire dans le monde.�
Ce qui ne l'emp�che pas d'�tre critique envers certains �v�nements politiques. Jean Couture a d'ailleurs suivi avec int�r�t la visite en Chine de la d�l�gation commerciale canadienne, dirig�e par le Premier ministre Jean Chr�tien. C'est un peu m�dus� qu'il a regard� les reportages sur cette conqu�te de nouveaux march�s drap�e dans la noble �toffe de la coop�ration internationale. �Si seulement une partie de tous ces milliards allait � la phase 2 du projet avec la Chine, je pense qu'on pourrait red�couvrir le sens profond de la coop�ration humanitaire entre peuples.�
Jean Hamann
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