20 avril 1995 |
ENTREVUE
�CHANGEONS NOS FA�ONS DE FAIRE�
L'Universit�, comme organisation, amorce une importante �r�ing�nierie� de ses pratiques administratives. Objectif:
mieux remplir sa mission de formation en am�liorant, notamment, la qualit� des services offerts � chaque �tudiant, par chaque employ�. Le Fil a rencontr� � ce sujet le vice-recteur ex�cutif, Jacques Racine.
Le Fil: Quand on lit l'Histoire de l'Universit� Laval, de Jean Hamelin, qui vient de sortir aux PUL, on se rend compte que l'Universit�, comme organisation, a toujours r�ussi � s'adapter au changement et aux demandes de la soci�t� qu'elle a pour mission de servir. Mais ces temps-ci, on a vraiment l'impression d'assister - et aussi qu'on nous propose de participer - � une mutation majeure. En plus de faire l'�valuation de plusieurs services, la direction de l'Universit� proc�de actuellement � une importante restructuration budg�taire. Le rapport B�langer, d�pos� en janvier dernier, propose une refonte en profondeur des structures facultaires. Il y a le projet AMI (Am�nagement des Moyens informatiques), dont les premi�res r�alisations sont d�j� palpables. Et, bien s�r, le processus de r�ing�nierie des processus administratifs, amorc� il y a un an. Ces op�rations sont-elles men�es en parall�le? Existe-t-il un point de convergence?
Jacques Racine: Je pense qu'elles convergent tout � fait. Car il s'agit fondamentalement, d'examiner si nos ressources, nos structures, nos fa�ons de faire contribuent de la mani�re la plus efficace � notre fonction de formation, qui se fait par l'enseignement et, aussi, par la recherche. Ces activit�s de formation se d�roulent maintenant dans un contexte de d�veloppement fulgurant des connaissances, doubl� d'un ph�nom�ne de mondialisation qui nous met, comme soci�t�, comme Qu�b�cois, comme universitaires, en interrelation avec la plan�te tout enti�re. Cela interpelle notre organisation.
La mission de l'Universit� ne change pas tellement, c'est le contexte qui est diff�rent. Le contexte �conomique, notamment celui d'une soci�t� appauvrie par son endettement. Dans ce contexte, et aussi � cause de ce contexte, on nous demande de r�aliser notre mission de fa�on exceptionnelle, en comp�tition avec d'autres �tablissements, et � moindre co�t. Rencontrons- nous nos priorit�s de la fa�on la meilleure et la plus �conomique? Est-ce que tout cela ne nous oblige pas � remettre en question nos fa�ons de faire?
Le contexte �conomique difficile et le d�veloppement des nouvelles technologies de l'information, dont l'usage se g�n�ralise sur le campus par le projet AMI, nous aiguillonnent, nous poussent � trouver des fa�ons de faire plus ad�quates dans une organisation tr�s complexe comme l'Universit� Laval. Et, finalement, en bout de ligne, � mieux r�pondre � sa raison d'�tre.
Le Fil: Les nouvelles technologies de l'information seraient comme une sorte d'acc�l�rant pour les changements n�cessaires?
Jacques Racine: Elles sont des moyens disponibles dont il faut �valuer � la fois les grandes possibilit�s et les limites afin de les utiliser � leur m�rite. Elle peuvent alors nous permettre des gains appr�ciables. Ainsi, par exemple, elles peuvent permettre aux chercheurs d'administrer de fa�on efficace et rapide leurs subventions et leurs contrats de telle sorte que la gestion de la recherche ne d�tourne pas le chercheur de son travail premier. C'est un peu la m�me chose dans le dossier de l'information. On se rend compte que l'information ne circule pas aupr�s de la client�le �tudiante et qu'elle atteint difficilement, aussi, les professeurs et les autres membres de la communaut� universitaire.
Les forces de l'Universit� sont mal connues. On est mal inform� sur ce qui s'y fait. Les membres finissent pas se distancer de l'Universit� parce qu'ils ont grand-peine � s'y retrouver. Cela va de l'�tudiant qui entre ici, qui choisit un programme d'�tudes et qui veut savoir o� cela le conduit, qui veut conna�tre les objectifs de ses programmes et de ses cours, qui veut avoir de l'information facilement accessible, au nouveau professeur qui veut comprendre dans quoi il s'ins�re. Souvent, les gens ne savent m�me pas � quoi ils ont acc�s. Ils ne connaissent pas tout ce qui est offert � l'Universit�. Il y a un probl�me l�. On constate une n�cessit� �vidente de faciliter la circulation de l'information dans une universit� devenue plus complexe avec les ann�es. Toujours dans le m�me but: favoriser la formation de l'�tudiant, faciliter et enrichir le travail des professeurs et des autres membres du personnel.
Le Fil: Dans son discours de la rentr�e, en septembre dernier, le recteur rappelait � ce sujet que l'Universit� �tait per�ue par beaucoup comme �une organisation bureaucratique de type traditionnel, rigide et surr�glement�e�. Et il �voquait m�me une �urgence d'agir� � ce niveau...
Jacques Racine: Tout � fait d'accord, On vient de souligner le besoin d'agir pour am�liorer la circulation d'une l'information de qualit�. Mais il faut agir aussi sur l'organisation du travail. En processus de r�ing�nierie, on veut, par exemple, r�duire le nombre de paliers administratifs. L� o� il y a six ou sept intervenants, ne pouvons-nous pas en mettre seulement un ou deux? Faire en sorte qu'� une demande de renseignement on puisse r�pondre en r�duisant les d�lais qui interviennent dans une grosse organisation tr�s stratifi�e? C'est un des objectifs de la r�ing�nierie. C'est aussi un objectif du rapport B�langer d'en arriver � une r�duction des strates (middle management). C'est le m�me diagnostic. Le rapport B�langer propose une restructuration de l'Universit�. En r�ing�nierie, c'est par une analyse plus critique des fa�ons de proc�der, que l'on veut faciliter la vie de la client�le �tudiante.
Le Fil: Doit-on s'attendre � ce que la r�ing�nierie ait des impacts presque quotidiens sur le travail de tous les membres de la communaut� universitaire?
Jacques Racine: Sur la t�che d'� peu pr�s tout le monde, y compris la mienne. Quand quelqu'un me demande un renseignement, il faudrait au moins que je ne renvoie cette personne qu'� un seul endroit. Tout le monde peut raconter des histoires abracadabrantes sur la fa�on dont sont trait�es et achemin�es des demandes d'information sur le campus. C'est un des gros d�fis que nous avons � relever par la r�ing�nierie. D'autre part, il me faudra pousser encore plus loin la d�centralisation budg�taire qui va de pair avec la responsabilisation des membres de la communaut� universitaire.
Le Fil: Cette op�ration a commenc� il y a un an. O� en est-on?
Pouvez-vous faire une sorte de bilan provisoire?
Jacques Racine: Il y a trois grands groupes de travail, trois chantiers en action: un sur la gestion des �tudes, pr�sid� par la vice-rectrice aux �tudes, madame Louise Milot, un autre sur la gestion financi�re, qui est sous ma responsabilit� et un troisi�me sur la gestion des ressources humaines, pilot� par le vice-recteur aux ressources humaines, monsieur Alain Vinet.
Dans le dossier de la gestion financi�re, les gens nous ont signifi� que le principal probl�me �tait celui de la gestion de la recherche, que j'ai �voqu� pr�c�demment. Cela va r�sulter, d'ici au 1er juin, en une mesure nouvelle: le financement int�rimaire de la recherche, qui mettra de l'avant, pour �viter aux chercheurs des d�lais administratifs, des d�tours et des retards de toutes sortes, un certain automatisme dans la proc�dure pour le d�marrage tr�s rapide des projets.
Dans le cas pr�cis de la recherche contractuelle, tout dossier finissait par remonter au bureau du vice-recteur � la recherche;
nous envisageons de placer des administrateurs d�l�gu�s � la recherche dans les facult�s ou les d�partements. L'administrateur d�l�gu� sera beaucoup plus pr�s du chercheur, tout en ayant une autorit� r�elle, il pourra aider le chercheur dans les questions difficiles sur les plans �thique et administratif, ce qui aidera ce dernier � d�gager plus de temps pour son travail. Il pourra aussi obtenir les autorisations n�cessaires dans de brefs d�lais. C'est notamment sur ces questions-l� que notre groupe de travail a op�r�. Des gens sont en formation pour occuper ces postes et des exp�riences pilotes vont �tre r�alis�es, de juin � octobre, dans des d�partements de la Facult� des sciences sociales et de la Facult� des sciences de l'agriculture et de l'alimentation. Suite � la r�vision de ces exp�rimentations, nous allons �largir cette pratique � d'autres unit�s.
Parall�lement � cela, nous sommes � la recherche d'un logiciel pour l'ensemble de la gestion financi�re et administrative de l'Universit� et nous �valuons pr�sentement ce que les principales firmes peuvent nous offrir. On vise ainsi � assurer une certaine coh�rence, par exemple, entre les syst�mes des ressources humaines, des finances, de la recherche et aussi, une interactivit� qui permettra au chercheur, ou � l'adjoint administratif, non seulement d'avoir acc�s aux informations n�cessaires, mais de pouvoir aussi les r�organiser lui-m�me pour ses propres besoins de gestion. Nous aurons de cette fa�on des instruments plus souples, plus interactifs, plus valorisants aussi, comme le demandent les chercheurs.
Le Fil: Quel a �t� le travail accompli jusqu'� maintenant dans les domaines de la gestion des �tudes et des ressources humaines?
Jacques Racine: Dans le secteur des �tudes, on a principalement travaill� sur l'accueil des nouveaux �tudiants et un projet pilote se d�roulera en septembre. En ce qui concerne la gestion des ressources humaines, (gestion du temps et mouvement du personnel), ce sera aussi � l'automne. Nous avons donc trois chantiers en op�ration. Notre intention, c'est de les terminer avant d'en ouvrir d'autres. Il pourra, bien s�r, y avoir de petits chantiers dans certaines unit�s, pour r�gler des probl�mes sp�cifiques selon la m�me approche: rendre service au client (professeur, �tudiant, employ� de l'universit�), simplifier les proc�dures et les fa�ons de faire, diminuer le nombre des intervenants.
Le Fil: Mais la r�ing�nierie n'est-elle pas, par d�finition, un processus continu, une sorte de qu�te jamais assouvie de la qualit�?
Jacques Racine: J'aime bien parler de la r�ing�nierie comme d'un d�fi de nos organisations, de faire partager cette approche et de faire �embarquer� les gens l�-dedans. La m�thode que nous utilisons � l'Universit� Laval en est une qui peut quelquefois sembler plus lente, mais qui a pour objectif de transmettre l'information et de faire participer la communaut� universitaire � cette am�lioration continue.
Le Fil: Comment �valuez-vous cette participation � la fin de l'an 1 de la r�ing�nierie?
Jacques Racine: Nous avons eu beaucoup de collaboration et ce fut tr�s int�ressant. Pr�s de 1 000 personnes ont particip� directement � cet effort, en sus de leurs t�ches, qui sont d�j� tr�s accaparantes. Par exemple, beaucoup d'employ�s, de nombreuses unit�s, ont contribu� � d�velopper Al�rion, le syst�me d'information de l'Universit� Laval. On a r�ussi, l�, � mettre sur pied un produit de tr�s haute qualit�, dans des d�lais tr�s courts. Des collaborations se poursuivent et certaines d'entre elles ont fait surgir d'autres questions sur nos fa�ons de faire.
C'est �videmment une d�marche tr�s exigeante pour les personnes, car on fait ce type d'op�ration tout en poursuivant les t�ches quotidiennes. Il y a de la pression. On demande beaucoup aux ressources r�guli�res dans un processus de r�ing�nierie. Et, en m�me temps, la d�marche ne va pas sans une certaine lenteur, car nous �voluons dans une organisation tr�s complexe. Il est rare qu'on puisse toucher � une op�ration, une cha�ne d'activit�s, une unit� sans que cela ait des impacts ailleurs.
Plus important encore: il faut former les personnes. Jusqu'ici, les programmes de formation visaient souvent la formation personnelle. On doit maintenant �tablir des programmes institutionnels de formation continue. Et ce n'est pas toujours facile � �vendre�. Se former, ce n'est plus n�cessairement aller � un congr�s ou suivre tel ou tel cours de perfectionnement. C'est peut-�tre davantage prendre une demi- journ�e par semaine pour r�fl�chir sur son travail, pour r�organiser, avec l'aide d'un sp�cialiste, l'ensemble de ses fa�ons de fonctionner au travail et pour se rendre apte � utiliser pleinement les technologies de l'information. Et probablement recommencer dans six mois et �ventuellement un an plus tard parce qu'un autre processus de r�ing�nierie aura commenc� et requestionnera de nouveau nos fa�ons de faire, car tout est en interconnexion.
Les gens peuvent trouver lourd le fait qu'on n'ait jamais vraiment �fini�. Dans une universit� comme Laval, o� �norm�ment d'activit�s touchent beaucoup d'intervenants, un virage dans les processus administratifs, th�oriquement ou technologiquement possible ou r�alisable, ne peut se faire sans circulation de l'information entre les unit�s, sans des changements d'attitudes, sans une r�organisation du travail. On peut m�me parler de la n�cessit� de d�velopper une nouvelle culture du travail et de l'organisation. Mais tout cet effort n'a de sens que s'il favorise � la longue la qualit� de vie des membres de l'Universit� et que l'on ne puisse plus conclure qu'� l'Universit�, on ne s'occupe pas du monde.