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31 ao�t 1995 ![]() |
Pour une revalorisation
de l'essentiel
M�moire de l'Universit� Laval
aux �tats g�n�raux de l'�ducation
pr�sent� PAR LE RECTEUR MICHEL GERVAIS
Le lundi 21 aout 1995
� l'occasion des assises r�gionales des �tats g�n�raux de l'�ducation tenues � Qu�bec le 12 juin dernier, je pr�sentais un m�moire o� j'affirmais que �le progr�s de l'�ducation chez nous constitue l'une des plus belles r�ussites de ce vaste mouvement d'accession � la modernit� qu'on a qualifi� de r�volution tranquille�. Et j'ajoutais : �Sur le plan de la formation universitaire et par rapport � l'ensemble nord- am�ricain, le Qu�bec peut se r�jouir d'offrir � tr�s bon compte un enseignement de grande classe et partout reconnu�. Je montrais ensuite comment les objectifs fix�s par le rapport Parent avaient �t� atteints et largement d�pass�s tant sur le plan de la scolarisation au premier cycle que sur celui des �tudes avanc�es, tant en recherche th�orique qu'en recherche appliqu�e, tant dans le recrutement du corps professoral que dans la formation des ma�tres.
Sans remettre en cause ces affirmations, le pr�sent m�moire institutionnel voudrait plut�t souligner les d�fis, les dilemmes, voire les inqui�tudes profondes auxquels l'Universit� Laval, comme les autres universit�s qu�b�coises, est aujourd'hui confront�e. Ces d�fis sont en quelque sorte la ran�on du succ�s;
en trente ans, l'Universit� Laval a �t� tellement sollicit�e de toutes parts et elle a, de bon gr�, accept� de remplir tellement de mandats diff�rents que les membres de la communaut� universitaire sont devenus perplexes. Il s'en trouve m�me pour se demander si elle ne risque pas d'y perdre son �me.
Les multiples �mandats� assum�s au nom de la mission universitaire
Voyons maintenant quelques-uns des multiples mandats que l'Universit� s'est vu confier ou a endoss�s de plein gr� au cours des trente derni�res ann�es:
- � la suite du rapport Parent, l'Universit� a d'abord assum� la responsabilit� d'assurer l'acc�s aux �tudes universitaires au plus grand nombre possible de Qu�b�cois et de Qu�b�coises. De fait, de 1964 � 1992, le taux d'acc�s des Qu�b�cois aux �tudes de baccalaur�at passait de 7 � 28%. Ce taux serait encore consid�r� comme insuffisant : en 1992, le Conseil sup�rieur de l'�ducation proposait, en effet, comme objectif pour l'an 2000 un taux d'acc�s de 35% aux programmes de baccalaur�at avant l'�ge de 30 ans, de 10% aux programmes de ma�trise et de 1,2% aux programmes de doctorat.
L'Universit� Laval a fait largement sa part dans cet effort collectif en vue de la scolarisation optimale de la population :
en trente ans, les effectifs �tudiants sont pass�s de 6000 � 35 000; celui des femmes de 900 � 20�000. Nous reparlerons plus loin de cette �revendication historique� des �tudiants ou de ce grand projet collectif qu'est l'accessibilit� � l'enseignement sup�rieur, mais constatons d�s maintenant qu'il serait difficile � l'Universit� de se soustraire aux exigences qui en d�coulent.
- Un autre objectif, non moins l�gitime, fix� � l'universit� �tait de pr�parer les �tudiants au march� du travail et de fournir � la soci�t� les professionnels comp�tents dont elle a besoin. Dans le cas de l'Universit� Laval, sa mission �tait plus particuli�rement orient�e vers l'Est du Qu�bec. Le contrat �tait de taille : non seulement les besoins �taient-ils grands au d�part, mais on devait assister au cours des ann�es � une extraordinaire diversification de la demande. Des disciplines en grande partie nouvelles �mergeaient et prenaient une importance remarquable - que l'on pense, par exemple, � la g�omatique, au g�nie informatique, � l'opto-�lectronique ou, dans le secteur des sciences humaines, � l'ethnologie, � la mus�ologie ou � la g�rontologie. De nouveaux secteurs se d�veloppaient, tel celui des sciences environnementales qui puisent aux disciplines traditionnelles, mais sous un angle r�solument nouveau. De nouvelles professions apparaissaient tandis que d'autres demandaient � acc�der au niveau universitaire, tels le journalisme ou les soins infirmiers; d'autres encore exigeaient des qualifications accrues, une ma�trise plut�t qu'un baccalaur�at, un baccalaur�at plut�t qu'un certificat. Ailleurs, on demandait une meilleure couverture r�gionale des besoins en sant� : c'est ainsi qu'au d�but des ann�es 1970, la grave p�nurie de soins dentaires dans l'Est du Qu�bec amenait l'Universit� Laval � ouvrir une �cole de m�decine dentaire. On reproche fr�quemment aux universit�s de prendre beaucoup de temps � lancer de nouveaux programmes. Pourtant si l'on regarde avec quelque recul ce qui s'est pass� depuis trente ans, on a l'impression, au contraire, d'un foisonnement d'initiatives, d'ajustements, de cr�ations pour r�pondre � la demande. Aujourd'hui, il est difficile de trouver des sp�cialit�s qui ne soient pas enseign�es au Qu�bec; la plupart sont m�me offertes dans plusieurs r�gions afin de r�pondre aux besoins locaux.
Ajoutons � cela que les besoins du march� du travail se sont r�v�l�s tr�s fluctuants et sont demeur�s largement impr�visibles. Dans bien des cas, les pr�visions les mieux fond�es se sont av�r�es fausses au bout de quelques ann�es. Dans ce contexte, il est souvent difficile d'orienter les �tudiants vers un secteur donn� et de rentabiliser des investissements importants dans un domaine nouveau.
Il faudrait aussi mentionner ici la mise en route du processus d'�valuation des programmes qui se veut de plus en plus permanent, le but poursuivi �tant de v�rifier en continu la pertinence scientifique, sociale et �conomique des �tudes propos�es et de les ajuster aux besoins de la soci�t� avec le concours d'observateurs externes.
La formation continue qui, � l'Universit� Laval, est maintenant administr�e par une direction d'�tudes distincte, est aussi particuli�rement sensible aux besoins du milieu social et devrait conna�tre d'importants d�veloppements dans les prochaines ann�es.
B�tie sur le mod�le am�ricain, l'universit� qu�b�coise pr�sente cette caract�ristique d'assurer � la fois des formations professionnelles exigeant de ses dipl�m�s des qualifications parfois tr�s pr�cises - par exemple, la formation de m�decins, de comptables ou de notaires qui pourront, d�s leur sortie de l'universit�, exercer une profession avec toutes les responsabilit�s qui en d�coulent - et des formations ax�es sur des disciplines - par exemple, la philosophie, la musique, l'ethnologie ou les math�matiques - dont le lien avec le march� du travail est beaucoup plus difficile � cerner. Sans doute, de fa�on g�n�rale, s'entend-on pour dire que la formation du premier cycle doit viser un certain �quilibre entre formation g�n�rale et formation sp�cialis�e, et le r�glement du premier cycle d�finit bien de cette fa�on les objectifs � atteindre. Mais, sous un chapeau et des structures communes, il faut reconna�tre la grande diversit� des situations concr�tes et des exigences du march�, ce qui ne manque pas d'entra�ner certaines distorsions dans la structure universitaire.
- La recherche, le d�veloppement de nouvelles connaissances, fait partie int�grante de la mission de l'universit�. Sur ce plan aussi, les universit�s ont permis � la soci�t� qu�b�coise de faire un remarquable rattrapage. L'Universit� Laval a fait sa part : quasi inexistante au d�but des ann�es 60, la recherche subventionn�e y b�n�ficie aujourd'hui de ressources externes d�passant les 125 millions de dollars; sans compter l'implication du corps professoral dans la recherche non subventionn�e, environ 900 professeurs consacrent une partie significative de leur temps � des activit�s de recherche subventionn�e. Tout cet effort contribue � la formation de quelque 7000 �tudiants des 2e et 3e cycles. En 1993-1994, l'Universit� a d�livr� au total 1350 dipl�mes de deuxi�me cycle et 224 de troisi�me cycle.
Mais l� aussi, l'�volution de la soci�t� a entra�n� des changements importants : au d�part, le r�le de l'universit� �tait surtout de former les chercheurs dont le Qu�bec avait un grand besoin et la recherche fondamentale �tait consid�r�e comme la base de cette formation. � partir des ann�es '80, on assiste � un net changement d'orientation. Comme le soulignait r�cemment le Conseil de la science et de la technologie dans un rapport au titre significatif "Urgence technologique, pour un Qu�bec audacieux, comp�titif et prosp�re �, la science et la technologie repr�sentent aujourd'hui le principal levier pour cr�er les conditions n�cessaires � un projet de soci�t� o� l'on aspire � l'excellence et � un haut niveau de vie, ce qui signifie des emplois nombreux et de qualit�, un haut niveau de qualification de la main-d'oeuvre, une distribution �quitable de la richesse et une meilleure qualit� de vie. Le rapprochement entre le milieu universitaire et le milieu de l'industrie, la collaboration universit�-entreprise, le transfert des connaissances, la valorisation des acquis de la recherche universitaire sont devenus des �l�ments dominants, certains diront m�me �structurants�, de la recherche universitaire. De fait, tous les grands programmes de recherche f�d�raux et provinciaux - les programmes �Actions structurantes� et �Synergie� du Gouvernement du Qu�bec comme le Programme des r�seaux de centres d'excellence du Gouvernement canadien et le Programme des chaires industrielles du CRSNG - sont destin�s � renforcer la capacit� d'innovation technologique du pays et � accro�tre la synergie entre les chercheurs universitaires et les entreprises.
� Qu�bec, ce mouvement s'est accompagn� d'une prise de conscience tr�s aig�e des besoins de l'�conomie r�gionale. D�s 1983, le recteur Paquet soulignait la faiblesse �conomique d'une r�gion trop d�pendante des emplois gouvernementaux; il pr�conisait la cr�ation d'un �triangle de la haute technologie� regroupant les �tablissements universitaires de la r�gion, les laboratoires gouvernementaux et les entreprises de pointe susceptibles de mettre � profit ces ressources en recherche et d�veloppement. L'Universit� Laval assuma un leadership certain dans la cr�ation du GATIQ (Groupe d'action pour l'avancement technologique et industriel de la r�gion de Qu�bec), le d�veloppement du Parc technologique du Qu�bec m�tropolitain, la cr�ation de plusieurs centres de recherche, tels l'INO (Institut national d'optique) et le CEFRIO (Centre francophone de recherche en informatisation des organisations); elle collabora � la cr�ation du Centre r�gional de d�veloppement des entreprises de Qu�bec qui offre des services d'incubation aux entreprises naissantes. Quelque 80 entreprises sont n�es ou ont pu se d�velopper dans le Parc technologique qui regroupe aujourd'hui dans ses divers centres quelque 1500 employ�s et dont le succ�s est maintenant largement reconnu.
Il faudrait aussi mentionner la contribution au d�veloppement de l'�conomie r�gionale qu'apportent les grands centres de recherche en sant� du CHUL (Centres de recherche en endocrinologie mol�culaire, en infectiologie, en inflammation, rhumatologie et immunologie), de l'H�tel-Dieu de Qu�bec (Centre de recherche en canc�rologie), de l'H�pital de l'Enfant-J�sus (Centre de recherche en neurobiologie), etc. Au total, la recherche m�dicale � Qu�bec recevait, en 1993-1994, plus de 54 millions de dollars de fonds externes, ce qui repr�sente un nombre important d'emplois de qualit� pour la r�gion. Les progr�s de la recherche appliqu�e sont �galement remarquables � la Facult� des sciences et de g�nie (21 millions de dollars de revenus externes), � la Facult� des sciences de l'agriculture et de l'alimentation (pr�s de 15 millions de dollars de revenus externes) et � la Facult� de foresterie et de g�omatique (pr�s de 7 millions de dollars).
Le remarquable d�veloppement de la recherche appliqu�e et de la recherche contractuelle � l'Universit� Laval ne va pas sans poser, ici comme ailleurs, des probl�mes d'ajustement qui ne sont pas �trangers au sentiment de perplexit� �voqu� pr�c�demment.
- Il faudrait aussi mentionner, parmi les mandats assum�s par l'Universit�, sa contribution aux activit�s de coop�ration internationale et de d�veloppement. L'Universit� Laval est tr�s active dans ce secteur depuis plus de vingt-cinq ans. Elle a conclu d'importants contrats de coop�ration financ�s notamment par l'ACDI, le CRDI, le MEQ, l'AUPELF-UREF. En 1995, la valeur globale de ces contrats de coop�ration atteint 45 millions de dollars et le nombre de dossiers actifs s'�l�ve � 37 concernant plus de 25 pays. La plupart de ces contrats visent la formation du personnel enseignant et de sp�cialistes dans le domaine de l'agriculture, de la foresterie et de l'�ducation ainsi que des actions d'envergure comme la lutte contre le SIDA dans les pays d'Afrique francophone. � cela s'ajoutent des accords-cadres qui lient l'Universit� Laval � quelque 205 �tablissements d'�tudes sup�rieures r�partis entre plus de 52 pays, des accords-cadres qui se traduisent notamment par des �changes de professeurs et d'�tudiants et constituent une importante ouverture sur le secteur international. En outre, quelque 1800 �tudiants �trangers �tudient � l'Universit� Laval. Si, dans l'ensemble, cette vocation internationale semble s'inscrire heureusement dans la mission de l'Universit�, certains se sont inqui�t�s des possibilit�s de d�rapage. Soulignons ici que l'Universit� Laval a trouv� bon de pr�ciser sa politique en mati�re de coop�ration internationale et d'y apporter des balises pr�cises.
Un questionnement fondamental:
DISCERNER L'ESSENTIEL
Cette description d'un ensemble de mandats importants assum�s par l'Universit� Laval au cours des trente derni�res ann�es avait pour but de montrer comment, pendant cette p�riode, le poids des responsabilit�s universitaires s'est accr� et diversifi�. Or, il est probable que l'universit� de demain se verra proposer autant de t�ches nouvelles que l'universit� des trente derni�res ann�es, et il faut s�rement comprendre que l'universit�, depuis ses origines, a d� r�pondre, � chaque �tape de son d�veloppement, � des demandes chaque fois per�ues comme des diversifications de la mission universitaire. Aussi, la sagesse de l'universit� et de la soci�t� qui la supporte et leur responsabilit� � toutes deux envers les jeunes g�n�rations consistent-elles, � notre avis, � savoir discerner les valeurs essentielles sur lesquelles l'universit� repose et qui lui ont toujours donn� son sens.
Dans le Qu�bec d'aujourd'hui, un bon exemple de ce que nous voulons ici mettre en relief se retrouve certainement dans celui de la langue (entendez : la connaissance et l'aisance linguistiques � l'oral comme � l'�crit, essentielles � l'�panouissement des g�n�rations qu�b�coises � venir). Il faut dire clairement qu'il y aurait, de la part d'une g�n�ration de poss�dants comme la n�tre, une profonde injustice et un manquement � notre responsabilit� premi�re � faire croire � la g�n�ration de ceux qui viennent apr�s nous, nos �tudiants, nos enfants, que ce qui a �t� et est d�terminant, pour vous comme pour moi, et qui nous autorise, par exemple, � prendre une place active dans le d�veloppement de la soci�t� actuelle, soit notre capacit� de prendre parole et de dire avec nuances notre perception des choses, que tout cela serait pour eux secondaire, voire pourrait �tre rendu caduc par le progr�s technologique. Le r�le de l'universit� � cet �gard est d'�tre, non pas le lieu de la ma�trise du langage, mais de son parach�vement dans toutes ses possibilit�s et de d�velopper la recherche et la r�flexion autour des connaissances rattach�es � cet outil. Aucun langage artificiel, quel qu'il soit, n'a jamais conduit � faire l'�conomie de la langue d'une nation. Et personne d'ailleurs ne le pr�tend.
D'autres valeurs et d'autres connaissances se retrouvent dans l'universit� et dans la soci�t� dans le m�me cas que la langue, c'est-�-dire qu'elles forment le substrat de l'�tre humain, leur d�veloppement et leur transmission faisant alors partie des responsabilit�s essentielles et parfois exclusives de l'universit�. Il en est ainsi de la formation du d�veloppement de l'esprit d'analyse et de synth�se, de la construction du sens critique, de l'ensemble des valeurs culturelles et sociales, des valeurs morales �galement, toutes valeurs qui contribuent en toute premi�re ligne � la formation de l'esprit des personnes.
Si elle doit certes se rapprocher du march� du travail et des entreprises, diriger le regard de ses �tudiants sur le monde, se mettre � l'heure des nouvelles technologies de l'information, l'universit� doit, en m�me temps, renforcer son action d'enseignement et de recherche dans les disciplines comme les sciences fondamentales, les lettres, les arts, la philosophie qui ont trop contribu� � la formation de tant de g�n�rations depuis des si�cles, la n�tre notamment, pour qu'on ait l'irresponsabilit� et la na�vet� de croire qu'elles ne formeront pas les prochaines.
Je tiens aussi � �voquer une dimension esentielle qui me semble totalement �vacu�e des d�bats actuels sur l'enseignement sup�rieur. Je veux parler de la mission culturelle de l'universit�. Depuis ses origines et dans tous les temps et les lieux o� elle s'est incarn�e, cette institution a jou� un r�le absolument central dans la formation et la conservation de la culture des peuples. Qu'on pense au r�le de la Sorbonne en France, � celui d'Oxford et de Cambridge en Angleterre, � l'influence d'Harvard aux Etats-Unis ou � celle de l'Universit� d'Helsinki en Finlande et de tant d'autres universit�s sur tous les continents. Partout dans le monde, on reconna�t l'importance vitale de cet aspect de la mission de l'universit�. Il est �tonnant qu'au moment o� le Qu�bec r�fl�chit en profondeur sur son avenir, il s'en trouve si peu pour souligner l'apport essentiel de ses universit�s dans la d�finition et la promotion de sa culture. Ce vide au niveau des fondements entra�ne un incroyable flottement sur le plan des attentes de la soci�t� � l'�gard de l'institution universitaire. Quant � nous, c'est avec fiert� que nous �voquons le r�le fondateur de l'Universit� Laval qui, plongeant ses racines dans le dix- septi�me si�cle, a �t� � l'origine de tout l'enseignement sup�rieur en fran�ais en Am�rique et qui, de ce fait, a jou� un r�le irrempla�able dans la constitution et la conservation de notre culture. Dans un contexte profond�ment modifi� et selon des modalit�s forc�ment nouvelles, l'Universit� Laval n'aspire qu'� continuer � jouer ce r�le et elle croit �tre en mesure de le faire, pour peu qu'elle puisse compter sur l'indispensable appui de la soci�t�.
Soyons clairs, ce discours n'est pas un discours conservateur ou r�trograde : il s'agit tout simplement d'un discours qui veut revenir � l'essentiel en tirant les le�ons du pass� pour mieux pr�parer l'avenir.
On nous permettra justement d'encha�ner sur une probl�matique elle aussi tr�s ancienne pour l'universit�, la plus ancienne sans doute, vers laquelle tout converge aujourd'hui pour en faire un facteur essentiel d'�ducation et donc de r�ussite : la relation �tudiant-professeur.
Les nouveaux d�fis de la fonction d'enseignement
Le renouvellement de la relation professeur-�tudiant D�sireux d'obtenir un engagement plus grand des professeurs � leur �gard, les �tudiants s'en prennent parfois vigoureusement et, � mon avis erron�ment, � la recherche comme cause du mal. On peut, bien s�r, identifier dans toutes les universit�s des chercheurs qui ont moins d'int�r�t pour l'enseignement et qui le laissent para�tre, ce qui suscite des r�actions vives et justifi�es chez les �tudiants. On oublie alors que les ma�tres d'antan �taient des chercheurs renomm�s, qu'aujourd'hui la plupart des bons chercheurs sont reconnus comme de bons enseignants et que la f�condit� de la relation ma�tre-�l�ve � l'universit� repose sur la capacit� de renouvellement des connaissances du professeur. Il faut certes discuter de la gestion du temps des professeurs. Mais s'en prendre � la recherche, c'est s'en prendre � l'avenir, c'est nuire � sa propre cause. Avant de sugg�rer des �l�ments de solution, permettez-moi de m'attarder quelque peu sur le lien que je qualifie d'indissociable entre l'enseignement et la recherche.
Rappelons tout d'abord que l'enseignement aux niveaux sup�rieurs des deuxi�me et troisi�me cycles est fond� sur l'activit� de recherche et que sa qualit� est tributaire de la qualit� m�me des recherches des professeurs et des �tudiants. Dans une soci�t� encore sous-scolaris�e au niveau universitaire et particuli�rement aux cycles sup�rieurs d'enseignement, l'investissement en recherche et en formation de dipl�m�s de ma�trise et de doctorat demeure prioritaire. De plus, les cycles sup�rieurs d'enseignement s'alimentent au premier cycle et y r�investissent leurs connaissances. En quelques ann�es � peine, ce qui �tait consid�r� comme des connaissances de pointe, des technologies audacieuses, est enseign� de fa�on courante au premier cycle et r�investi dans la pr�paration professionnelle de nos dipl�m�s. Il est de moins en moins ais� d'enseigner au niveau universitaire sans participer d'une mani�re ou d'une autre au d�veloppement des connaissances. Enfin, le gros de la recherche scientifique au Canada s'effectue dans les universit�s. D'autres pays ont d�velopp� des p�les majeurs de recherche scientifique dans des agences gouvernementales ou dans de grandes entreprises. Ce n'est gu�re notre cas. Ralentir la recherche universitaire, c'est donc nous condamner � br�ve �ch�ance � devenir un tiers monde scientifique et technologique.
Les consid�rations fondamentales �tant �tablies, je dois convenir que dans la vie quotidienne des tensions peuvent surgir en mati�re d'organisation du travail des professeurs. La mondialisation de la science et le rythme de d�veloppement des connaissances posent � ceux-ci des exigences nouvelles. La comp�tition est tr�s vive et le professeur qui veut demeurer performant en recherche doit y consacrer beaucoup de temps. Il peut devenir surcharg� et mentalement moins disponible pour l'enseignement. La solution � ce probl�me d'organisation du travail r�side dans la modulation des t�ches, permettant aux professeurs selon leurs cycles d'activit� de consacrer plus d'�nergie une ann�e � la recherche ou � l'enseignement. En d'autres termes, selon les ann�es, enseigner plus, enseigner moins, mais toujours enseigner bien. Le probl�me actuel en est un de gestion de la t�che professorale et non une question d'opposition entre la recherche et l'enseignement. Dans une universit� de haut calibre, un nombre important d'enseignants devront �tre des chercheurs de qualit�.
Les activit�s professionnelles externes des professeurs ont elles aussi un effet visible sur leur disponibilit� � l'enseignement comme � la recherche. Les universit�s et les professeurs collectivement doivent ici faire un examen de conscience et ne pas h�siter � jeter un regard critique sur certaines pratiques.
Je viens de parler de la disponibilit� des professeurs. Dans ce renouvellement de la relation professeur-�tudiant, il faut aussi prendre en compte la disponibilit� de l'�tudiant. En effet, l'�tudiant d'aujourd'hui diff�re profond�ment de l'�tudiant d'hier, par son pass� scolaire, ses modes de vie, ses attentes et, plus g�n�ralement, par ses valeurs. Voici ce qu'en dit, dans un texte en tous points remarquable et que nous sugg�rons � votre commission de consid�rer comme une r�f�rence de premi�re valeur, monsieur Pierre Lucier, sous-ministre de l'Education :
�les profils et les priorit�s de vie des �tudiants constituent une autre force centrifuge. En fait les mouvements qui �loignent les professeurs de l'enseignement semblent n'avoir d'�gal que la place limit�e et congrue qu'un grand nombre d'�tudiants accordent � leurs �tudes. Le ph�nom�ne est assez bien document�: le profil traditionnel de l'�tudiant � temps complet, en cheminement ininterrompu et dont le plus clair de la vie quotidienne est consacr� aux �tudes, devient minoritaire. De multiples motifs, l�gitimes par ailleurs, conduisent un grand nombre d'�tudiants � partager leur vie quotidienne entre les �tudes, le travail r�mun�r�, les loisirs et les engagements personnels. Il semble loin le temps o� les �tudes constituaient une sorte de genre de vie, fait de discussions, de bachotages, de mouvements carabins, d'activit�s para-acad�miques et aussi de beurre d'arachides et de bicyclettes, car c'�tait le temps de la consommation diff�r�e. Certains peuvent bien en r�ver mais, en dehors de quelques �lots t�moins, on ne reviendra pas en arri�re�. 1
Pour compl�ter ce tableau, il faudrait aussi mentionner les attentes � court terme de beaucoup d'�tudiants qui voient dans l'universit� d'abord un moyen de trouver aux conditions les plus avantageuses possible un emploi int�ressant sans doute, mais surtout raisonnablement payant et s�curitaire. Pour beaucoup d'entre eux, le discours de la culture gratuite, de la recherche libre, de la r�flexion � long terme ne les pr�occupe gu�re. Le p�dagogue doit pourtant trouver le moyen d'introduire l'�tudiant dans cette exp�rience .
Un renouvellement en profondeur de l'enseignement universitaire devra aussi prendre en compte la situation du jeune corps professoral qui prendra d'ici peu d'ann�es la rel�ve. En fait, et c'est sans doute l� une chance, la moiti� du corps professoral de nos universit�s devra �tre remplac� dans les dix prochaines ann�es. Or, la g�n�ration qui s'en va a, dans une large mesure, �t� form�e dans les coll�ges classiques marqu�s par une longue tradition humaniste. Elle a ensuite plong� dans le milieu universitaire en pleine �bullition culturelle des ann�es 1960. Puis, elle a embrass� une carri�re universitaire alors dot�e de tous les prestiges. Il en ira autrement de la nouvelle g�n�ration qui arrive dans le march� � une �poque o� l'universit� est remise en question et pour le moins banalis�e;
une g�n�ration qui aura �t� pr�occup�e par la perspective d'un dipl�me arrach� dans un contexte de comp�tition acharn�e; une g�n�ration qui n'aura pas pour la guider et pour l'introduire dans les grandes traditions universitaires les �ma�tres� d'antan. Sans doute, il est l�gitime d'exiger de ces jeunes professeurs des efforts de formation p�dagogique et un r�el souci de la formation des �tudiants, mais il ne faudrait pas non plus tuer leur enthousiasme en leur imposant des charges d'enseignement trop �lev�es, des standards �crasants de recherche et d'enseignement. Il faudra tenir compte de la mentalit� de cette nouvelle g�n�ration qui n'abordera sans doute pas de la m�me fa�on l'id�al universitaire. Bref, il ne faudrait pas que la fixation sur des modes de transmission anciens comme la relation ma�tre-�l�ve emp�che l'enseignement universitaire de se renouveler suivant des sch�mes culturels nouveaux.
Enfin, l'on ne peut passer sous silence l'extraordinaire impact que ne manquera pas d'avoir sur l'enseignement et la recherche universitaires la progression des technologies de l'information. A en croire certains, l'ordinateur en viendrait presque � remplacer le professeur. Cette perspective est certes irr�aliste. Il n'en demeure pas moins que les technologies de l'information modifieront et modifient d�j� en profondeur les modes de production, de conservation et de transmission du savoir et, cons�quemment, la relation professeur-�tudiant. Il y a ici un parall�le int�ressant � faire avec l'influence qu'a eue sur la vie intellectuelle et sur l'enseignement sup�rieur la d�couverte et l'expansion de l'imprimerie. Le besoin de ma�tres est demeur�, mais leur r�le s'est profond�ment modifi�. L'adaptation des universit�s et des universitaires aux nouvelles technologies repr�sente certainement un des principaux d�fis qu'ils auront � relever au cours des prochaines ann�es. Les universit�s qu�b�coises en sont toutes conscientes. Elles devront cependant �tre appuy�es concr�tement pour pouvoir r�pondre � ces nouvelles exigences.
L'accessibilit� aux �tudes universitaires, un objectif � conserver Dans le contexte de l'endettement des �tudiants et des probl�mes financiers de l'�tat, la tenue des �tats g�n�raux a r�anim� le d�bat sur l'accessibilit� aux �tudes universitaires : Est-il possible � tous les �tudiants et �tudiantes qui en ont la capacit� de poursuivre des �tudes universitaires ?
L'universit� est-elle capable d'accueillir et d'encadrer ad�quatement les �tudiants et les �tudiantes qui se pr�sentent ?
Doit-on �tre plus s�lectif � l'admission ? Comme nous l'avons dit plus haut, l'accessibilit� aux �tudes sup�rieures doit demeurer un objectif prioritaire pour la soci�t� qu�b�coise et l'Universit� Laval adh�re pleinement � ce projet collectif.
Dans la conjoncture actuelle, il faut r�aliser au d�part que cet objectif et ce projet impliquent un prix � payer. Les �tudiants ont vu, ces derni�res ann�es, leur situation financi�re se d�t�riorer. Ils ont subi une hausse importante des frais de scolarit�, m�me si ceux-ci restent tr�s en dessous du niveau des autres provinces canadiennes (en 1994-1995, ils s'�levaient en moyenne � 1670$ au Qu�bec contre 2430$ dans les autres provinces canadiennes). En d�pit d'un effort accr� du Gouvernement (augmentation de 93% des pr�ts et de 86% des bourses entre 1989-1990 et 1993-1994), l'insuffisance des pr�ts- bourses place le revenu moyen des �tudiants nettement au-dessous du seuil de la pauvret�. � cela s'ajoute, selon certains, une diminution de l'aide parentale. Pour joindre les deux bouts, les �tudiants sont amen�s � accepter divers emplois en marge de leurs �tudes. Leur endettement va croissant, m�me s'il demeure sensiblement inf�rieur � celui qu'il atteint dans les autres provinces (en 1992-1993, l'endettement accumul� pour l'obtention d'un baccalaur�at �tait de 8400$ au Qu�bec contre 11�400$ en Ontario). � cette analyse objective, s'ajoute la perception chez les jeunes �tudiants et �tudiantes qu'ils auront � porter au cours des ans, non seulement leur endettement personnel, mais aussi une part importante de l'endettement collectif caus� par l'ampleur de la dette des divers ordres de gouvernement.
Par ailleurs, le Gouvernement impose depuis plusieurs ann�es d'importantes coupures aux universit�s. En 1995-1996, la subvention totale du MEQ � l'Universit� Laval est inf�rieure de 17 millions de dollars au niveau de 1992-1993 et une autre compression de 10 millions de dollars est pr�visible en 1996- 1997, sans compter l'incidence du budget f�d�ral sur les transferts fiscaux. Ces coupures ne sauraient se poursuivre sans inconv�nients graves pour la qualit� de l'enseignement et, � plus ou moins long terme, sans diminution de l'accessibilit�. M�me en continuant � mieux utiliser les ressources disponibles dans les universit�s et � r�duire les d�penses, le Qu�bec ne pourra pas faire l'�conomie d'un choix de soci�t�: il lui faudra maintenir le financement des universit�s � un niveau suffisant ou bien il devra permettre aux universit�s d'augmenter sensiblement les droits de scolarit�, quitte � accro�tre substantiellement les montants consacr�s aux pr�ts et bourses.
Les �tudiants sont bien conscients de la n�cessit� de certains choix. R�ticents � l'augmentation des droits de scolarit�, conscients de la situation financi�re de l'�tat, certains d'entre eux pr�nent m�me une s�lection plus s�v�re � l'entr�e � l'universit� afin d'assurer un meilleur service � ceux qui y sont admis. Cette exigence accrue permettrait, selon eux, d'�viter que les candidats n'ayant pas les capacit�s requises s'engagent dans un programme universitaire auquel ils sont insuffisamment pr�par�s. Si cet objectif se d�fend et rejoint la promotion de la �culture de la r�ussite� que promeut � juste titre le Ministre de l'Education�2, il risque cependant de faire porter par une g�n�ration d'�tudiants le fardeau des d�ficiences du syst�me scolaire et de priver la soci�t� de ressources humaines qui lui permettraient de mieux se d�velopper. Il y a dans un processus de s�lection trop s�v�re un co�t significatif. Jusqu'ici, conscient de ses faiblesses et des mutations de la soci�t�, le syst�me d'�ducation a plut�t cherch� avec raison � d�velopper des passerelles entre les ordres d'enseignement et � favoriser la reprise des �tudes par diff�rents enseignements compensateurs.
Notre r�flexion nous a conduits � conserver l'objectif d'accessibilit� sans ses exc�s et malgr� ses exigences. Nous ne croyons pas � une solution unique pour r�gler les diff�rentes questions d'ordre financier ou p�dagogique que pose l'accessibilit�. Nous sommes appel�s � un effort collectif qui ne peut s'exercer que dans la mesure o� l'enseignement sup�rieur est clairement �tabli comme une priorit� et o� son financement est per�u comme un investissement et non comme une simple d�pense qu'on peut sans cesse r�duire. Il sera plus facile alors de demander un effort suppl�mentaire au personnel de l'Universit�, � l'�tudiant, aux citoyens et aux corporations.
R�le sp�cifique de l'Universit� Laval
On me permettra de conclure ma pr�sentation, au risque de me r�p�ter, en invitant votre commission � r�fl�chir sur l'importance que rev�t pour le Qu�bec d'avoir, dans sa capitale, dans le second p�le en importance du territoire, une universit� dont les dizaines de milliers de dipl�m�s exercent des fonctions importantes partout dans le monde; une universit� qui est un p�le d'attraction pour des �tudiants de plus de cent pays; une universit� qui constitue un des p�les majeurs de la francophonie scientifique; une grande universit� de recherche; mais aussi une universit� compl�te o� la diversit� des disciplines enseign�es emp�che les discours r�ducteurs et unitaires.
Pour notre part, la r�flexion � laquelle nous nous sommes livr�s dans le contexte des �tats g�n�raux, nous a conduits � mettre en lumi�re certaines valeurs de la vie universitaire tel le d�veloppement de l'esprit d'analyse et de synth�se, la construction du sens critique, la ma�trise de la langue, l'ensemble des valeurs culturelles et morales, l'ouverture � la diversit� sous toutes ses formes, le sens de la gratuit� :
toutes valeurs essentielles � la vie de l'Universit�, mais aussi � la qualit� de vie de notre soci�t�. Nous avons certes � nous adapter � certains besoins de la soci�t�, mais pour l'avenir de celle-ci, nous ne pouvons ali�ner la mission de l'universit� aux imp�ratifs du march� et � l'unique discours �conomique. C'est en pr�servant aussi sa mission culturelle et �ducative que l'Universit� Laval jouera le r�le que les Qu�b�cois et les Qu�b�coises sont en droit d'attendre d'elle. On ne peut dissocier l'�ducation et la culture. L'une et l'autre devraient �tre au coeur de notre projet de soci�t�.
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1 � L'universit� et l'enseignement: une n�cessaire r�conciliation �, notes pour l'allocution prononc�e par M. Pierre Lucier, sous-ministre de l'Education, au Congr�s biennal de la F�d�ration qu�b�coise des professeures et professeurs d'universit� (FQPPU), � Montr�al, le 4 mai 1995. 2 Lettre adress�e aux recteurs et principaux des universit�s du Qu�bec, 21 avril 1995, p. 2.