31 ao�t 1995 |
Id�es
Une Commission de la
Capitale�: pour quoi faire�?
PAR FRAN�OIS HULBERT
PROFESSEUR AU D�PARTEMENT DE G�OGRAPHIE
� quoi sert un consensus si celui-ci n'existe que parce qu'il �lude les probl�mes de fond? La r�gion de Qu�bec attend toujours une r�forme g�opolitique d'envergure.
De la Communaut� urbaine de Qu�bec ( CUQ ) aux Municipalit�s r�gionales de comt�s ( MRC ), des chambres de commerce aux syndicats, de�l'Universit� Laval � l'Ordre des architectes, du Parti civique au Rassemblement populaire... la plupart des groupes, associations et institutions Xuvrant dans la r�gion de Qu�bec appuient la mise en place d'une Commission de la Capitale et rejoignent en ce sens la demande de la quasi totalit� des d�cideurs politiques locaux depuis quelques ann�es. Faut-il se r�jouir de cette belle unanimit�, d'un tel consensus si rare dans la r�gion min�e de fa�on continuelle par les forces disparates et les querelles de clocher? Il le faudrait sans doute, si la commission en question avait pour but de s'attaquer aux v�ritables probl�mes de l'agglom�ration et �tait con�ue pour y trouver des solutions et surtout, puisque la plupart de celles -ci sont connues et ont �t� propos�es au fil des ann�es depuis 25�ans, les mettre en Xuvre.
La r�alit� des forces en pr�sence dans l'agglom�ration fait qu'un tel consensus para�t vite suspect; il montre � l'�vidence que l'on ne va pas toucher aux enjeux fondamentaux, aux structures territoriales p�rim�es et aux blocages g�opolitiques qui paralysent la r�gion de la Capitale depuis de nombreuses ann�es. Il va m�me peut-�tre nous en �loigner un peu plus, en�repoussant encore une fois l'�ch�ance de r�formes souvent jug�es fondamentales dans le pass� mais jamais r�alis�es. � quoi sert un consensus si celui-ci n'existe que parce qu'il �lude les�probl�mes de fond?
Si, dans les ann�es 1950, la Capitale peut presque se r�duire � la Ville de�Qu�bec, qui repr�sente alors 60�% de la population de l'agglom�ration, il en va tout autrement aujourd'hui. La ville-m�re ne repr�sente plus que 26�% de l'ensemble urbain et qui plus est, si l'on s'en tient aux quartiers centraux, ceux qui constituaient la ville avant l'annexion de territoires p�riph�riques, la ville-centre fait environ 17�% du poids d�mographique total de la zone m�tropolitaine de Qu�bec. Ces chiffres, avec tous les probl�mes qu'ils r�v�lent, parlent d'eux -m�mes.
Une communaut�-alibi?
Ramener le territoire d'intervention de la future commission essentiellement � �la Ville de Qu�bec et encore plus particuli�rement le centre-ville et les environs de la Colline parlementaire� (Guy Chevrette, ministre des Affaires municipales, Le Soleil, 16�mai 1995), montre les limites de son action et le refus de prendre en compte les probl�mes v�cus par Qu�bec de par son appartenance � l'agglom�ration. On peut �videmment admettre que ce n'est pas l'ambition, ni l'objectif de cette commission; mais alors pourquoi cr�er cette nouvelle structure qui passe � c�t� des probl�mes r�els et qui peut m�me les rendre plus difficiles � r�soudre. En effet, par le fait m�me d'exister, d'abord pour Qu�bec, cette commission va �tre l'alibi que les municipalit�s vont pouvoir utiliser pour se d�gager de leurs responsabilit�s mutuelles au sein de�l'agglom�ration. Les banlieues vont pouvoir plus qu'aujourd'hui encore sous-estimer les int�r�ts communs et la n�cessaire prise de conscience de la nature m�tropolitaine des probl�mes et ignorer les difficult�s de la ville-centre; celle- ci n'aura qu'� s'adresser � la commission qu'elle a tant r�clam�e et que le gouvernement a con�u pour elle. Le maire de Vanier a d�j� donn� le signal en ce sens�: �Maintenant que le maire Jean-Paul L'Allier sait � qui s'adresser pour ses responsabilit�s de capitale, croit monsieur Cardinal, il sera moins tent� de chercher de l'aide du c�t� de la banlieue� (Le Soleil, 11�mai 1995).
Les enjeux et les d�bats autour de la fonction de Capitale, tout comme ceux qui sont soulev�s au nom de Qu�bec, ville du Patrimoine mondial, en viennent � retarder l'avancement de l'agglom�ration vers un projet global et coh�rent et vers les indispensables r�formes de structure. En jouant sans cesse la carte de la Capitale, c'est la ville et l'agglom�ration qui finalement sortent perdantes. En demandant depuis une bonne dizaine d'ann�es au Gouvernement du Qu�bec de �b�tir sa capitale�, les d�cideurs locaux et r�gionaux se d�chargent de cette responsabilit� alors que bien des actions, des mesures � prendre, des investissements � faire rel�vent des municipalit�s, de la CUQ ou des MRC, surtout si elles s'associent ou se restructurent pour des r�alisations communes. Le ping-pong des comp�tences
Lors du Sommet �conomique de 1983, c'est un v�ritable programme municipal que la Ville de Qu�bec am�ne � la table de la conf�rence, sans grand succ�s puisque le Gouvernement du Qu�bec a t�t fait de dire que cela ne rel�ve pas de sa comp�tence. Les choses en sont rest�es l� depuis�: l'embellissement des boulevards, la signalisation touristique et culturelle, les am�nagements paysagers, la restauration du centre-ville, l'utilisation des Battures de Beauport � des fins r�cr�o- touristiques, la r�habilitation du parc industriel Saint-Malo... restent � faire, aujourd'hui comme hier, c'est-�-dire il�y�a plus de dix ans maintenant. Cette strat�gie de mobilisation autour des probl�mes de la ville-centre, amorc�e en 1983, se poursuit depuis. En 1985, c'est�un v�ritable appel au secours que lance Jean Pelletier, consid�rant sa ville comme agress�e au sein d'une agglom�ration qui se d�veloppe � ses d�pens;
il�obtient la mise sur pied d'une Commission d'�tude sur �le statut, les fronti�res, l'am�nagement et le financement de la Capitale�, la commission Lapointe, qui n'apportera aucun �clairage nouveau sur les probl�mes fondamentaux de d�veloppement, d'am�nagement et de fonctionnement de l'agglom�ration urbaine. En fait, il s'agit de faire porter par d'autres la responsabilit� de la situation�: le Gouvernement du Qu�bec qui ne fait pas ce qu'il faut pour �sa capitale�, les villes de banlieue qui profitent des �quipements de la ville- centre sans en payer les co�ts, la CUQ qui n'a pas frein� l'�talement urbain, assur� la promotion du d�veloppement �conomique ou �labor� un sch�ma d'am�nagement efficace. Si�ces critiques peuvent �tre justifi�es, comment accepter qu'elles soient formul�es par ceux-l� m�mes qui ont la charge de la CUQ et qui la sabotent constamment de l'int�rieur. Jean-Paul L'Allier aujourd'hui, comme Jean Pelletier hier, en appelle toujours � l'intervention ext�rieure au pouvoir municipal ou communautaire (CUQ) pour obtenir un statut particulier, des aides sp�cifiques, emp�cher la fermeture des �coles ou limiter l'�talement urbain (�J.-P. L'Allier exhorte Qu�bec � freiner au plus t�t l'�talement urbain�, Le Devoir, 22�janvier 1991). Un joyau n�glig�
Le r�sultat paradoxal est que Qu�bec, tout en brandissant son statut de capitale et de joyau du patrimoine mondial et en mettant de l'avant son caract�re de ville unique en Am�rique du Nord, n'a toujours pas r�ussi � r�habiliter son centre-ville, � vraiment valoriser son site exceptionnel, � se r�approprier les rives du Saint-Laurent, � recomposer politiquement son agglom�ration, � ma�triser la circulation automobile ou � cr�er une ceinture verte. En attendant toujours que le Gouvernement du Qu�bec s'occupe de sa capitale, la municipalit� n�glige la ville, ne prend pas sa place et ne joue pas son r�le au cXur de l'agglom�ration et dans la r�gion. � tel point que bien des villes dans le monde qui n'ont ni ses atouts, ni ses statuts, ont � leur cr�dit des r�alisations en mati�re d'am�nagement urbain nettement plus significatives que l'agglom�ration de Qu�bec.
La Ville de Qu�bec a pr�f�r� faire le choix d'un p�le nouveau � Lebourgneuf, relanc� r�guli�rement depuis 20�ans, en cherchant � y cr�er �le�prestige du centre-ville�, que de travailler dans les quartiers centraux pour donner un cXur � l'agglom�ration (plus de la moiti� des �tablissements qui se trouvent dans le quartier Lebourgneuf proviennent des quartiers centraux de Qu�bec). Elle pr�f�re investir dans cette banlieue, qu'elle consid�re �� l'or�e du centre-ville�, que dans le centre-ville lui-m�me; elle pr�f�re cr�er un nouveau parc industriel (Armand- Viau) que r�habiliter le parc industriel Saint-Malo; elle pr�f�re tourner le dos au fleuve, implanter des �quipements aux portes de Loretteville et assurer la police � l'autre bout de la CUQ (Saint-Augustin) que tendre la main � L�vis et d�velopper un projet commun sur l'�pine dorsale que constitue le fleuve. En fait, capitale ou pas, ville du patrimoine mondial ou pas, Qu�bec existe en tant qu'agglom�ration de plus de 650�000�habitants et, � ce seul titre, a un r�le majeur � jouer qui n�cessite une action politique d'envergure comme n'importe quelle agglom�ration de cette importance.
Au passif de la CUQ
Devant l'ampleur des probl�mes, ce n'est pas la Commission de la Capitale telle qu'annonc�e qui va changer grand-chose. C'est d'une tout autre r�forme dont l'agglom�ration a besoin. La Commission pourrait avoir des pouvoirs et des moyens consid�rables, comme celle en place depuis longtemps dans la capitale f�d�rale; elle pourrait ainsi r�aliser de grandes infrastructures et am�nager de vastes espaces verts par exemple. Mais rappelons que la CUQ pourrait le faire, alors qu'elle n'a jamais voulu �tendre ses comp�tences en la mati�re; d�s 1970, le comit� directeur du sch�ma de la CUQ consid�re qu'�un des domaines o� une action concr�te et rapide de la Communaut� est des plus imp�rieuse est sans contredit celui des grands espaces verts�. Il en va de m�me pour les �projets de mise en valeur du littoral� rendus publics par la CUQ en 1989 et qui sont pour l'essentiel rest�s lettres mortes. En 1991, � propos du littoral et des milieux riverains, le Service d'am�nagement de la CUQ fait un constat d�plorable de la situation en termes de qualit� et d'accessibilit� des�sites �pour une r�gion aussi riche sur le plan hydrographique�, et en 1993 constate que �le sch�ma d'am�nagement de la CUQ n'a pas r�ussi � freiner l'�talement urbain co�teux�.
Les d�cideurs politiques locaux n'ont jamais voulu donner � la CUQ le�territoire, les pouvoirs et les moyens pour faire face aux probl�mes de l'agglom�ration; ils n'ont jamais voulu agir collectivement pour organiser le�r�seau de voirie et r�am�nager les limites municipales, comme la loi de la CUQ leur permettait et leur permet toujours. Ce n'est pas parce que la CUQ n'a�pas donn� les r�sultats escompt�s qu'elle n'est pas la structure appropri�e; il�faut d'abord convaincre ceux qui sont responsables de son fonctionnement de�cesser de l'affaiblir, sinon de la saborder, et en tout premier lieu la Ville de Qu�bec qui n'a jamais compris l'int�r�t pour elle d'avoir une communaut� urbaine forte lui permettant de mieux s'affirmer en tant que ville-centre. Aux�nombreuses r�formes avort�es de la CUQ s'ajoutent la mise en place des MRC de banlieue, cr�ant autant de sch�mas d'am�nagement pour une m�me agglom�ration, et enfin la coupure de la r�gion en deux, de part et d'autre du fleuve. La Commission de la Capitale para�t bien �loign�e de ces r�alit�s.
La d�mission du politique
La mise en place d'une Commission de la Capitale traduit d'une certaine fa�on l'incapacit� de l'agglom�ration � s'organiser par elle-m�me, � �laborer un�projet de d�veloppement et d'am�nagement; c'est aussi l'incapacit� de la ville-centre � imposer un leadership et � orienter l'avenir dans le cadre d'un projet mobilisateur. En se r�fugiant derri�re une commission aux mains de non-�lus, en cherchant � faire faire par d'autres ce qu'ils ne veulent pas faire eux-m�mes, les d�cideurs locaux refusent le combat politique, en montrant leur inaptitude � mettre en Xuvre un processus d�mocratique de fonctionnement et de d�veloppement de l'agglom�ration. Avec cette d�mission du politique et sa d�valorisation comme outil de changement, c'est la technocratie qui prend le pas sur la d�mocratie. Apr�s avoir propos� � plusieurs reprises depuis 1970 des modifications majeures � la CUQ qui auraient pu donner � l'agglom�ration un cadre politique de fonctionnement, le gouvernement du Qu�bec, quel que soit le parti au pouvoir, a toujours recul� devant sa mise en application, face aux oppositions � courte vue des �lus locaux. Les r�formes rat�es successives de la CUQ montrent r�guli�rement le manque de volont� politique, tant au niveau local qu'au niveau du Gouvernement du Qu�bec, pour promouvoir les transformations indispensables au bon fonctionnement de l'agglom�ration.
Ce n'est pas d'une commission recroquevill�e autour de la Colline parlementaire dont a besoin la r�gion, ni d'interventions ponctuelles, ni m�me d'ententes intermunicipales qui balkanisent les comp�tences en limitant toute coh�rence de vision et d'action au niveau de l'ensemble urbain, mais d'une r�forme g�opolitique d'envergure int�ressant globalement la r�gion de la capitale. Il s'agit de cr�er les conditions de l'existence politique de l'agglom�ration, de mettre en place une structure de d�bat et d'action pour articuler le d�veloppement entre la capitale et sa r�gion, la Rive-nord et la Rive-sud, le centre et la p�riph�rie. Il faut d�velopper le sentiment d'appartenance � l'agglom�ration mis � mal par les d�coupages territoriaux � repenser�: municipalit�s, CUQ, MRC, r�gions. Il s'agit en m�me temps de repartager les pouvoirs et les comp�tences, en donnant � l'agglom�ration les moyens de s'organiser d�mocratiquement.
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