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31 ao�t 1995 ![]() |
M�DIAS
LES OPINEURS DU CHEF
Crise d'Oka: la d�mocratie pi�g�e par certains exc�s des tribuns de la radio?
Le Qu�bec se divise en deux mondes. L'un regroupe les auditeurs des animateurs vedettes des tribunes t�l�phoniques radiophoniques, qui commentent quotidiennement l'actualit� avec virulence et un solide sens du drame. Souvent des auditeurs un peu moins instruits que la moyenne de la population, et plus �g�s. L'autre rassemble les d�tracteurs de ces m�mes tribunes, qui se font un devoir de changer de station d�s que ces adeptes de la formule-choc et des coins ronds entrent en ondes. Les tribuns de la radio, �chos de la crise d'Oka, un ouvrage collectif publi� sous la direction, notamment, de Florian Sauvageau, professeur au D�partement d'information et communication de l'Universit� Laval, va peut-�tre permettre de lancer une passerelle entre ces deux genres bien distincts d'auditeurs. Cette �tude constitue en effet un premier d�brousaillage d'un secteur des m�dias jusqu'alors peu explor�.
L'id�e d'une telle analyse s'est impos�e � Florian Sauvageau alors qu'il �coutait, durant la crise d'Oka de 1990, les propos de Simon B�dard sur CJRP pr�chant l'arr�t des n�gociations avec les leaders Mohawks: �Tu rentres l� avec l'arm�e pis tu nettoies tout �a. Cinquante morts, cent morts, cent vingt-cinq morts, �a vient de s'�teindre. On enterre �a pis on continue � vivre!� Le professeur de journalisme a voulu notamment comprendre si dans une p�riode de crise semblable � celle qui a enflamm� l'�t� 1990, les animateurs de lignes ouvertes contribuaient � jeter de l'huile sur le feu, et quel type de r�glementation pouvait les inciter � mod�rer leurs propos sans les censurer.
Le style c'est l'homme
Bien qu'ils partagent quelques caract�ristiques communes, comme le go�t immod�r� pour les solutions simples et une propension � mettre en relief leur propre point de vue plut�t que celui de l'auditeur, le style des animateurs de tribunes t�l�phoniques varie d'une station � l'autre. Ainsi Gilles Proulx (CJMS), qui utilise un langage cru, attise le sentiment d'indignation de la population en devenant acteur de la crise au besoin, tandis qu'Andr� Arthur (CHRC) conserve plus de distances face � la situation, en l'observant d'un oeil sarcastique. Pour sa part, Simon B�dard (CJRP), par son ton agressif, incite les auditeurs � exprimer leur impatience alors que Louis Champagne (T�l�m�dia) se consacre � la pr�sentation des r�actions aux �v�nements en mettant l'accent sur sa prestation au micro.
Pourtant, comme le souligne un psychologue, qui a travaill� comme consultant lors de ce fameux �t� chaud aupr�s des populations vivant au coeur du conflit, le lien direct entre les tribunes t�l�phoniques et les r�actions �pidermiques des citoyens d'Oka semble difficile � �tablir. Bien s�r, les envol�es spectaculaires de ces redresseurs de torts des ondes ont sans doute contribu� au maintien d'une attitude d'intol�rance et d'hostilit� face aux diff�rents acteurs de la crise am�rindienne. Mais tant qu'ils n'incitent pas � la violence, leurs propos ne peuvent �tre sanctionn�s.
La d�mocratie pi�g�e
En fait, la d�mocratie se trouve prise � son propre pi�ge face au ph�nom�ne des tribunes t�l�phoniques, comme le remarque Florian Sauvageau. M�me si les propos des animateurs semblent souvent excessifs, une censure pr�alable serait pire que le mal puisqu'elle nuirait � la libert� d'expression. Mieux vaut donc exhorter les stations radiophoniques � adopter leurs propres r�gles de d�ontologie et encourager les personnes mises en cause par les tribuns � les poursuivre plus fr�quemment devant les tribunaux. Une condamnation, accompagn�e d'une p�nalit� financi�re, peut inciter l'animateur � mod�rer ses propos, souligne Florian Sauvageau qui remarque �galement que le succ�s des �justiciers� de la radio traduit une certaine faillite des m�dias traditionnels: �Si les journaux s'int�ressaient aux probl�mes du vrai monde, de nombreuses questions �voqu�s dans les lignes ouvertes pourraient �tre trait�es de fa�on journalistique.�
PASCALE GU�RICOLAS