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9 novembre 1995 ![]() |
Cosmina, Florent et �les autres�
En s'entretenant avec Cosmina Caslariu, on comprend facilement que le minist�re des Affaires internationales, de l'Immigration et des Communaut�s culturelles du Qu�bec lui ait demand� d'�tre pr�sidente d'honneur de la Semaine interculturelle nationale pour la r�gion de Qu�bec. Ayant c�toy� plusieurs cultures, cette �tudiante de science politique � l'Universit� Laval pr�sente en effet une feuille de route des plus impressionnante. Loin d'�tre un long fleuve tranquille, sa vie s'apparente plut�t � une rivi�re sauvage qu'aucune fronti�re n'arr�te.
En 1982, fuyant sa Roumanie natale avec sa m�re pour des raisons politiques, Cosmina Caslariu, alors �g�e de 11 ans, se r�fugie en Allemagne o� elle ne tarde pas � s'exprimer couramment dans la langue de Goethe. Son go�t pour les langues s'intensifiant, elle passe un an en France pour y am�liorer sa ma�trise du fran�ais. De retour en Allemagne, l'adolescente reprend ses �tudes au gymnasium (l'�quivalent du c�gep), ajoutant l'espagnol � sa banque de connaissances. Polyglotte � 17 ans (elle parle aussi un excellent anglais), la jeune fille trouve un emploi au sein d'une entreprise allemande comme traductrice et interpr�te. Pour couronner le tout, Cosmina Caslariu se classe deuxi�me sur 3 500 candidats et candidates, lors d'un concours europ�en de langues �trang�res, auquel elle participe en 1989.
�Lorsqu'on est jeune, on passe � travers bien des �preuves parce qu'on est un peu inconscient, dit-elle d'une voix douce o� perce un accent ind�finissable. Une fois adulte, on se rend compte qu'on a v�cu des moments parfois difficiles...� Pour l'�trang�re qui d�barque dans un pays, le plus dur consiste sans aucun doute � se faire une place, avance Cosmina: �Il faut sortir de sa carapace et aller vers les gens. M�me si l'int�gration doit se faire sur une base r�ciproque, c'est au nouvel arrivant d'aller vers les gens et d'essayer de les comprendre.�
En 1991, Cosmina Caslariu fait le grand saut et vient s'installer au Qu�bec. Tout en �tudiant en litt�rature fran�aise � l'Universit� Laval, elle se lance en affaires, ouvrant une, puis deux garderies. Choisie duchesse du carnaval de Qu�bec en 1994, elle affirme que cette derni�re exp�rience lui a permis de d�couvrir le meilleur d'elle-m�me. �J'y ai poursuivi mon travail d'int�gration � la soci�t� qu�b�coise et c'est avec enthousiasme et fiert� que j'affirme aujourd'hui me sentir qu�b�coise�, lance -t-elle avec fougue.
Interrog�e sur le sens de cette identit� qu'elle brandit, tel un patriote son drapeau, Cosmina Caslariu parle d'un prolongement de ses racines latines �avec un m�lange de raffinement fran�ais et une touche d'am�ricanisme�. �Finalement, �tre Qu�b�coise, c'est de vouloir vivre comme les Qu�b�cois�, tranche-t-elle finement. Bien d�cid�e � faire sa vie chez nous, Cosmina a d�laiss� depuis peu le monde des affaires et celui des lettres pour se consacrer enti�rement � ses �tudes en science politique, toujours dans cette volont� de faire les choses � cent pour cent. Chose certaine, vivre dans d'autres pays lui a permis de d�velopper ind�pendance et autonomie, deux qualit�s ch�res � ses yeux.
Un �jeune premier�
Parlant d'autonomie, Florent Kpodjedo en a � revendre. En fait, il ne saurait en �tre autrement puisque que cet �ado� africain bien dans sa peau porte le titre de plus jeune �tudiant de l'Universit� Laval...avec ses 15 ans bien sonn�s! � l'heure o� les jeunes de son �ge en sont encore � se demander ce qu'ils feront dans la vie, Florent Kpodjedo, lui, �tudie en actuariat et rien ne le fera d�vier de la voie qu'il s'est trac�e. Si tout se d�roule comme il le souhaite, ce surdou� sera docteur en math�matiques � 23 ans. �J'ai �t� tr�s t�t pouss� aux �tudes�, indique-t-il modestement pour d�crire sa situation pour le moins exceptionnelle. Pour tout dire, c'est la premi�re place qu'il a d�croch�e dans son pays, le B�nin, lors de l'obtention du bac (fran�ais) � l'�ge tendre de 14 ans, qui lui a valu de venir �tudier � l'Universit� Laval, en tant que boursier.
Pas t�te enfl�e pour deux sous, le jeune Florent aurait plut�t tendance � minimiser ses exploits de �jeune premier�. Quand on lui demande s'il se trouve plus intelligent qu'un autre, il avoue franchement que la question le d�concerte. �Avant tout, je souhaite �tre consid�r� comme un �tudiant comme les autres et �tre �valu� non pas en fonction de mon �ge mais de mes r�sultats.� � cet �gard, Florent remarque que ses professeurs et la plupart des �tudiants ont heureusement compris le message et le traitent sur un pied d'�galit�. De son c�t�, il sait depuis longtemps qu'il doit travailler d'arrache-pied pour r�ussir dans un domaine d'�tudes r�put� difficile: l'actuariat.
Si, par hasard, ses compagnes et compagnons de classe, las de jongler avec les chiffres et les probabilit�s, s'attablent au Pub devant une bi�re bien m�rit�e, Florent, lui, s'installe dans sa petite chambre de r�sident devant son Super Nintendo et �trippe� fort comme jamais. �Je n'ai peut-�tre pas atteint l'�ge o� j'ai vraiment envie de m'�clater! � lance-t-il � l'intention des personnes qui pourraient s'�tonner de cette vie un peu monacale. Nageant dans son nouveau milieu comme un poisson dans l'eau, Florent Kpodjedo �tudie la vie... et aime les �tudes. Pour les probl�mes d'int�gration, vous pouvez repasser.
La Marseillaise
On peut �tre de race blanche (n'ayons pas peur des mots), parler fran�ais et avoir l'impression de d�barquer sur la plan�te Mars en arrivant au Qu�bec. C'est tout � fait le cas d'H�l�ne Pr�v�, une fran�aise originaire de la ville de Marseille qui en est � sa troisi�me ann�e de doctorat en sociologie � l'Universit� Laval. �� cause de mon accent, les gens ne me comprenaient pas et je ne les comprenais pas non plus�, se souvient la jeune femme qui a v�cu ce que bon nombre de Qu�b�cois vivent dans le sud de la France d�s qu'ils s'adressent � leurs �cousins�:
l'incompr�hension totale. Soulignant qu'un effort de part et d'autre a permis de r�gler les choses, H�l�ne Pr�v� s'est par ailleurs fait traiter de �maudite Fran�aise� dans le beau fief nationaliste du Saguenay-Lac Saint-Jean. Qu�bec, terre d'accueil?
�Apr�s une p�riode d'observation, �a va, explique-t-elle avec philosophie. En fait, les gens qui adorent les Fran�ais sont pires que ceux qui ne les aiment pas: ils pensent qu'on a la science infuse et qu'on poss�de la v�rit�. Toi, t'es normale et tu as de la difficult� � assumer cette image�. Si elle qualifie de bonnes ses relations avec les �tudiants et �tudiantes, la chercheuse avoue toutefois avoir trouv� difficile sa premi�re ann�e � l'Universit�. �Parfois, quand une personne te reconna�t dans le couloir, �a t'encourage. Au niveau de l'int�gration, c'est bien de faire partie d'une association d'�tudiants �trangers, m�me si, au d�but, je ne voulais pas en �tre. J'�tais venue au Qu�bec d'abord pour rencontrer des Qu�b�cois.�
Tout en �tant d'accord pour l'�galit� entre les hommes et les femmes (� travail �gal, salaire �gal), H�l�ne Pr�v� admet que le �partage des t�ches� nouvellement institu� au sein des couples qu�b�cois la �chicote�, le respect de l'autre n'ayant pas � �tre �rig� en syst�me, � son son avis. En m�me temps, elle admire ces femmes, m�res de deux ou trois enfants, qui retournent courageusement aux �tudes: �Chez nous, dans le sud de la France, c'est plut�t le mod�le de la maman qui reste � la maison avec ses enfants qui est valoris�.�
Fin de partie
Ayant quitt� sa Suisse natale pour venir �tudier � l'�cole de psychologie, �ric Porcher a d�couvert que nos codes sociaux diff�raient des siens, � l'occasion de son premier party �tudiant. Encore sous l'effet du d�colage horaire, il a lutt� contre le sommeil une bonne partie de la soir�e en attendant le bon moment pour s'esquiver. Finalement, il a d�cid� de partir en pensant que ses h�tes le prieraient de rester encore un peu, comme il est d'usage en Europe. � sa grande surprise, tout le monde l'a salu� poliment en lui souhaitant une bonne nuit. �J'�tais tr�s surpris et un peu d��u, je pensais qu'ils n'avaient pas grand-chose � faire de moi, raconte le jeune homme. En m�me temps, j'ai compris qu'il fallait que j'apprenne � m'ajuster aux r�gles du pays.�
Durant ses quatre ann�es d'�tude, �ric Porcher n'a jamais regrett� son choix d'�tudier � l'Universit� Laval, tant les contacts avec ses professeurs ont enrichi ses connaissances et ses relations avec les �tudiants ont �t� chaleureuses. De plus, il a beaucoup appr�ci� les outils mis � sa disposition sur le campus, qu'il s'agisse de la Biblioth�que, des locaux adapt�s � ses besoins ou des ressources humaines. Aujourd'hui titulaire d'une ma�trise, le jeune homme poursuit ses �tudes de troisi�me cycle en France, souhaitant se sp�cialiser en psycho-pathologie. S'il a d�j� envisag� de s'�tablir ici, l'appel d'une Europe plus multiculturelle qu'un Qu�bec exclusivement francophone et assez uniforme a finalement �t� le plus fort.
Du Vietnam au Qu�bec
�tudier � l'�tranger constitue une chance extraordinaire. Les milliers d'�tudiants et d'�tudiantes qui se pr�valent de l'exp�rience chaque ann�e � travers le monde vous le diront:
malgr� quelques difficult�s li�es aux coutumes ou � la langue, l'exp�rience vaut le d�placement. Pourtant, certains �tudiants sont plus conscients que d'autres de cette occasion inestimable qui s'offre � eux et n'h�sitent pas � trancher le cordon ombilical d'avec leur m�re-patrie, en l'occurrence le Vietnam, l'espace de quelques mois ou de quelques ann�es, question de prendre l'air frais du dehors. C'est le cas de quelques boursi�res et boursiers vietnamiens de l'ACDI s�journant actuellement � l'Universit� Laval.
Essentiellement, rien n'est facile pour ces jeunes adultes qui doivent mettre leurs montres � l'heure capitaliste s'ils ne veulent pas �tre d�pass�s par les �v�nements. Venus chercher une expertise dans leur domaine, ils mettent les bouch�es doubles, avides de connaissances nouvelles et conscients que le train ne repassera pas deux fois. �En mati�re d'�conomie, je recommence � z�ro�, avoue ainsi Pham Si Cong. �Le gouvernement poursuit un objectif en nous permettant de venir �tudier au Qu�bec, dit-il encore, celui d'am�liorer les conditions de vie des Vietnamiens.� Opinion partag�e par son compatriote Trinh Hoang Son: �Les experts en sciences sociales sont plut�t rares chez nous. Ma formation va me permettre de mieux servir mon pays�.
Pour leur part, Tran Thi Hoand Mai et Pham Phuong Hoa ont tout quitt� afin de parfaire leurs connaissances, l'une en relations internationales et l'autre en musicologie, les autorit�s vietnamiennes ne permettant pas aux voyageuses d'emmener mari et enfants au Qu�bec. De son c�t�, Nguyen Thi Yen Ninh, chercheuse au D�partement de mines et m�tallurgie, s'�tonne du fait que les �tudiants qu�b�cois se moquent un peu de son peu d'attirance pour le fran�ais, elle qui, outre sa langue maternelle, ne s'exprime qu'en anglais. Quand la langue devient une barri�re...
Du fran�ais, s.v.p.
Dans cet ordre d'id�es, Kathryn Udessen enrage toujours un peu lorsque le serveur tient � tout prix � lui servir sa bi�re ou son caf� en anglais, elle qui fait des efforts d�sesp�r�s pour parler fran�ais. Poss�dant un look dans le plus pur style Canadian avec sa haute taille, ses cheveux blonds et ses bottes d'alpinisme, cette jeune fille originaire de Colombie Britannique est inscrite au programme de fran�ais pour non- francophones de l'�cole des langues vivantes depuis septembre. Dans le cadre d'un cours de travaux pratiques cr�� r�cemment par l'�cole, Kathryn Udessen travaille b�n�volement au Centre de loisirs et de la vie communautaire de Qu�bec, � raison de trois � quatre heures par semaine. R�ceptionniste au d�but, elle �crit � pr�sent des m�mos et de courts documents.
�Au d�but, cela me faisait un peu peur de m'exprimer en fran�ais au t�l�phone mais maintenant tout se passe bien. J'ai pris beaucoup d'assurance et j'ai plus confiance en mes moyens.� Se destinant � la carri�re de professeure d'anglais langue seconde, Kathryn Udessen veut apprendre le fran�ais pour sa culture personnelle. Sa concitoyenne Monica Royal estime pour sa part qu'il est tr�s important de parler le fran�ais quand on est Canadienne. Pr�sidant les r�unions du Comit� culturel du Petit S�minaire de Qu�bec, cette saskatoise estime que la connaissance du Qu�bec et des Qu�b�cois passe par l'apprentissage de la langue du pays. En fait, cet attrait pour le Qu�bec n'a rien de passager pour Monica Royal qui a d�cid� de faire son nid chez nous, dans l'esp�rance de pouvoir y voler de ses propres ailes.
Aide � l'alunissage
On le voit, pour bien des �tudiants qui arrivent directement d'Afrique, d'Am�rique latine ou d'Asie, la rentr�e universitaire � Laval doit souvent ressembler � un alunissage ou un atterissage sur la plan�te Mars. Heureusement, le Bureau d'accueil des �tudiants et �tudiantes �trangers peut faciliter leurs premi�res d�marches en sol qu�b�cois gr�ce � un programme d'aide sp�cifique. Ainsi, l'Universit� Laval d�roule le tapis rouge pour toute personne qui en fait la demande depuis son pays natal. Plus exactement, une d�l�gation form�e de repr�sentants du Service des r�sidences, du Bureau d'accueil et de l'association des �tudiants du pays ou du continent concern� se chargent de lui pr�senter les diff�rents services offerts sur le campus d�s son arriv�e.
Le Bureau d'accueil organise �galement deux jours d'orientation en d�but d'ann�e universitaire. Les 31 ao�t et 1er septembre derniers, un groupe d'�tudiants �trangers a ainsi pu asister � des conf�rences sur des sujets aussi divers que le syst�me de notation, les cr�dits de cours, la notion de trimestre d'�tude ou encore la soci�t� qu�b�coise, la spiritualit� et la vie religieuse pratiqu�es ici. Car au del� des difficult�s administratives que peuvent rencontrer des gens accoutum�s � des syst�mes bureaucratiques diff�rents, le principal obstacle � surmonter pour un arrivant en provenance d'un autre pays c'est le choc culturel.
Poutine 101
Une s�rie de rencontres organis�e par le Service des r�sidences, en novembre 1994, associant une quarantaine d'�tudiants qu�b�cois et �trangers b�n�ficiant de ce type d'h�bergement, a ainsi permis de mettre en lumi�re quelques points de friction. En discutant ensemble, les �tudiants ont compris, par exemple, que les conflits entre �trangers et Qu�b�cois prenaient parfois leur source dans des conceptions de l'intimit�, de l'amiti� ou de l'espace diff�rentes selon la culture d'origine. Par exemple, quelqu'un, habitu� dans son pays � saluer ses voisins � chaque rencontre, aura tendance � juger les relations humaines froides et distantes au Qu�bec, o� le salut et le bonjour quotidiens ne sont pas aussi syst�matiques. Ou encore certains Qu�b�cois se sentent exclus lorsque les �trangers parlent entre eux dans leur langue, ou acceptent mal certains pr�jug�s qui classent, par exemple, les filles d'ici dans la cat�gorie �faciles�. � l'inverse, les �tudiantes d'origine maghr�bine d�plorent le fait d'�tre consid�r�es comme des femmes �soumises�.
Se choisir un parrain
Depuis la rentr�e de cet automne, le Bureau d'accueil des �tudiants et �tudiantes �trangers a mis en place un programme susceptible d'aider les uns et les autres � surmonter ces foss�s culturels. Il s'agit d'un parrainage qui permet � des �tudiants �trangers et qu�b�cois d'�changer selon leur bon plaisir. Telle personne qui souhaite apprendre le mandarin entre ainsi en contact avec un �tudiant chinois. Ou, comme S�bastien No�l, �tudiant en consommation, d�crit la hauteur des bancs de neige � un Mauricien, qui, de son c�t�, l'entretient du multiculturalisme sur son �le. Andr� B�langer, coordonnateur du Bureau d'accueil, incite �galement les �tudiants �trangers qui font appel � ses services � participer aux activit�s socioculturelles comme les cours de th��tre, de chorale et de musique, et � adh�rer aux associations facultaires pour mieux s'int�grer et profiter pleinement de leur s�jour en sol qu�b�cois.
D'autres services � l'Universit� Laval, comme celui des Bourses et de l'aide financi�re, conseillent parfois certains �tudiants �trangers qui �prouvent des difficult�s �conomiques ponctuelles. Selon les cas, on les aidera � �tablir un budget en relation avec leurs ressources, en se basant notamment sur le fascicule �La boussole� produit par le D�partement de consommation de la Facult� des sciences de l'agriculture et de l'alimentation, ou encore on les informera sur les programmes de bourses disponibles. Parfois, les conseillers guident aussi les �tudiants �trangers dans les d�dales administratifs pour leur permettre de comprendre pourquoi leur allocation n'arrive pas. Qu'il s'agisse de demander un r�confort psychologique, un conseil financier ou administratif, ou simplement un encouragement, les �tudiants �trangers ne manquent pas de ressources disponibles � l'Universit� Laval.
REN�E LAROCHELLE
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