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9 juin 1994 ![]() |
Comme un poisson dans l'eau
Lorsqu'il assiste � une repr�sentation th��trale, Marc-Ad�lard Tremblay pr�te attention autant au comportement des spectateurs qui l'entourent, qu'� l'action qui se d�roule sur sc�ne . "Une v�ritable d�formation professionnelle", reconna�t volontiers celui que de nombreux sp�cialistes consid�rent comme un des fondateurs de l'anthropologie au Qu�bec. Au fil de ses quarante ans de carri�re au service de l'�tude des groupes et de la soci�t� qu�b�coise, cet homme affable et courtois a d�velopp� un s�rieux sens de l'observation. Et �galement un bon sens de l'organisation puisqu'il a largement contribu� � fonder le D�partement d'anthropologie en 1970. Aujourd'hui � la retraite, ce travailleur infatigable continue � encadrer des �tudiants gradu�s et � se promener d'une c�te � l'autre. Il vient d'ailleurs de recevoir un Doctorat Honoris Causa en droit de l'University of Northern British Columbia pour ses nombreux travaux sur les communaut�s isol�es dans le Nord du pays.
Le professeur en anthropologie tra�ne un lourd pass� avec lui. Non qu'il ait eu une existence emplie de vols, d'escroqueries ou d'assassinats, mais parce que son histoire personnelle symbolise bien la transition d'un certain Canada fran�ais rural et agricole vers le Qu�bec de la R�volution tranquille et la modernit�. N� aux �boulements en 1922, Marc-Ad�lard Tremblay a pass� les sept premi�res ann�es de sa vie dans la grande maison familiale, en compagnie de ses grands-parents, de ses parents, de ses fr�res et soeurs, et de ses tantes. Un mode de vie tr�s traditionnel, domin� par la figure de son grand-p�re maternel Abel, vers lequel il revenait tous les �t�s, alors qu'il habitait Montr�al avec son p�re et sa m�re. Plus tard, l'appui financier de son oncle cur� lui permettra de poursuivre des �tudes classiques au Coll�ge Sainte-Marie. Il se souvient de cette �poque avec bonheur et ne para�t pas avoir souffert des contraintes d'une p�riode que les historiens qualifient aujourd'hui de "grande noirceur". "Les normes �taient contraignantes, mais c'est un climat qui me convenait, explique-t-il. Dans ce temps-l�, les rapports sociaux �taient authentiques et les modes de vie plus simples." D'ailleurs, selon lui, c'est sans doute dans ces r�gles morales s�v�res qu'il a puis� le courage et la d�termination d'�tudier pendant dix ans � l'Universit�, tout en travaillant l'�t� pour pouvoir payer sa scolarit�.
Comme un poisson dans l'eau
En "cassant des pierres sur les chantiers de construction", en travaillant sur les quais du port de Montr�al, sur les fermes, ou dans une usine de munitions pendant la guerre, le futur anthropologue a eu l'opportunit� de se frotter � des milieux tr�s diff�rents. Une exp�rience qui l'a aid� ensuite dans ses travaux sur le terrain � se fondre dans la masse et � mieux s'int�grer aux communaut�s �tudi�es. Il se souvient ainsi avec plaisir d'une enqu�te aupr�s de b�cherons acadiens dans un petit village de Nouvelle-�cosse o� il se sentait comme un poisson dans l'eau. Cette facilit� d'adaptation lui a �galement beaucoup servi alors qu'il effectuait une �tude chez les Indiens Navahos au Nouveau-Mexique. "� cette �poque, j'effectuais mon doctorat � l'Universit� Cornell en Nouvelle-Angleterre sous la direction du professeur Alexander Leighton, raconte M.-A. Tremblay. Avant de devenir anthropologue en titre, il fallait demeurer six mois dans une communaut� dont on ne connaissait pas la langue et revenir avec un article � para�tre dans une revue scientifique. C'�tait l'approche-parachute."
C'est un peu le hasard et une s�rie de rencontres qui a conduit le professeur vers l'anthropologie. Ses premi�res amours l'avaient plut�t port� vers l'agronomie afin d'apporter une aide technique aux agriculteurs et les aider � augmenter leur niveau de vie. Plusieurs �t�s pass�s sur la ferme familiale l'ont convaincu de l'importance de l'�ducation populaire pour rehausser les performances de l'agriculture. "Je me sentais tr�s privil�gi� de pouvoir �tudier. Il me semblait n�cessaire de donner quelque chose en retour � tous ceux qui n'avaient pas cette chance", remarque Marc-Ad�lard Tremblay. Ce sentiment de responsabilit� sociale pousse donc le jeune �tudiant, qui d�tient une licence de sciences agricoles, � s'inscrire en 1948 � la Facult� des sciences sociales de l'Universit� Laval pour y �tudier la sociologie rurale. Dans cette Facult�, dirig�e par Georges-Henri L�vesque, il d�couvre un climat de travail, une ambiance favorisant l'�panouissement culturel, mais peu de cours sur la sociologie rurale. Le hasard ou le destin met alors sur son chemin Alexander Leighton qui lui propose de suivre un doctorat � l'Universit� de Cornell dans l'�tat de New-York.
La recherche-action
De retour au Qu�bec en 1956, Marc-Ad�lard Tremblay commence � enseigner la sociologie � la Facult� des sciences sociales de l'Universit� Laval. Il poursuit �galement une �tude sur l'influence des facteurs socioculturels sur l'�pid�miologie des maladies mentales, amorc�e quelques ann�es plus t�t chez les Acadiens de la Nouvelle-�cosse. Homme de terrain, le professeur a mis sa polyvalence au service des besoins de populations �tudi�es, car � sa fondation la Facult� des sciences sociales cherchait � pr�parer des sp�cialistes de l'intervention sociale. "Je me suis toujours demand� ce qui pourrait ressortir des travaux de recherche, explique l'anthropologue. Dans les ann�es soixante, les demandes d'�tudes sur les conditions de vie des familles, sur les travailleurs forestiers, le d�veloppement �conomique fusaient de partout Des �tudes qui pouvaient porter sur des sujets aidant les communaut�s � r�soudre leurs probl�mes."
Ainsi, en 1961 lors de son passage � la direction scientifique du Comit� d'�tudes et d'information sur l'alcoolisme au minist�re de la famille et du bien-�tre social, il lance des ponts entre la recherche et l'�ducation. Dans ses travaux il cherchait � cerner les besoins particuliers des personnes concern�es par ce probl�me, tout en proposant aussi des techniques d'intervention sociale pour juguler l'alcoolisme. Il collabore �galement � une �tude mandat�e par la Caisse Populaire Desjardins sur les conditions de vie et les aspirations des familles canadiennes-fran�aises. Cette recherche scientifique portant sur 1500 familles donnera lieu � une s�rie t�l�vis�e de treize �missions diffus�es sur Radio-Canada en 1964.
Au chevet des Am�rindiens des r�serves
Cette m�me ann�e, il d�couvre le Nord en participant comme directeur- associ�, aux c�t�s du professeur Hawthorn de Colombie-Britannique, � la Commission d'enqu�te sur les Indiens contemporains mise en place par le minist�re des Affaires indiennes et du Nord canadien. Lors de ces visites dans les r�serves des provinces canadiennes, Marc-Ad�lard Tremblay prend conscience des conditions de vie tr�s difficiles dans lesquelles vivent les Am�rindiens. Dans leurs conclusions, les chercheurs recommandaient d�j� au gouvernement f�d�ral de cr�er un partenariat avec les peuples autochtones afin que ces derniers ne subissent plus les cons�quences n�fastes d'une trop grande tutelle.
Son int�r�t pour le Nord, qui a pouss� le professeur � fonder avec Louis- Edmond Hamelin le Centre d'�tudes nordiques, ne se d�ment pas puisqu'il continue � voyager dans cette r�gion pour le compte de la Commission canadienne des affaires polaires en s'int�ressant particuli�rement aux savoirs autochtones. C'est sans doute cette volont� de comprendre la vision du monde de populations consid�r�es autrefois comme marginales et se garder comme la peste de l'ethno-centrisme, qui a pouss� Marc-Ad�lard Tremblay � accomplir sa carri�re en anthropologie.
Pascale Gu�ricolas