22 septembre 1994 |
Michael Smith, superstar
On sent, pendant les conf�rences du prix Nobel de chimie 1993, une ferveur qui rappelle celle de certiains concerts rock...
Vendredi 16 septembre, ils �taient 300, press�s les uns contre les autres, dans un amphith��tre contenant au mieux 200 places, certains assis dans les marches, d'autres par terre pr�s du podium, excit�s et impatients � l'id�e de voir et d'entendre le Wayne Gretzky de la science au Canada. Salle comble pour Michael Smith, prix Nobel de chimie 1993 et Canadien extraordinaire. Si comble qu'il aurait �t� impossible de sortir de l'amphith��tre du CHUL sans pi�tiner quelques corps. Il r�gnait, dans cette salle surchauff�e, une atmosph�re de concert rock et on aurait cru quiconque aurait racont� qu'il avait dormi sur place la nuit pr�c�dente pour avoir un bon si�ge.
Sur le coup de 9h30, accueilli par des salves de cam�ras, Michael Smith est apparu, rayonnant et heureux, visiblement surpris mais encore flatt� de toute l'attention que son Nobel lui attire. S'il n'avait pas re�u l'ultime cons�cration pour un chercheur, il serait sans doute dans son laboratoire de l'Universit� de la Colombie Britannique � vaquer aux affaires courantes d'un universitaire et sa notori�t� n'aurait gu�re d�pass� le cercle des biologistes mol�culaires. Mais voil�, le Nobel a chang� sa vie. Il y a deux semaines, il donnait une s�rie de conf�rences dans les pays scandinaves, la semaine derni�re, il �tait � Qu�bec � l'invitation du directeur du Centre de recherche du CHUL, Fernand Labrie, et la semaine prochaine, il ira ailleurs dans le monde expliquer avec un enthousiasme qui ne se d�ment pas ce qu'il a fait pour gagner ce prix parmi les prix. �L'une des cons�quences du Nobel, constate-t-il, est que je passe maintenant plus de temps � lire les horaires des transporteurs a�riens que les journaux scientifiques.�
Un parcours original
Suspendus � ses l�vres, chercheurs accomplis et jeunes �tudiants- chercheurs l'ont �cout� raconter comment l'histoire de l'ADN et sa propre histoire se sont crois�es. Originaire d'Angleterre et chimiste de formation, Michael Smith arrive au Canada en 1956 pour un stage post- doctorat au terme duquel il doit retourner au pays o� un emploi dans l'industrie l'attend. Diff�rents �v�nements am�nent le jeune chercheur � revoir ses projets. Il reste en Am�rique et met ses talents de chimiste au service de la recherche en biologie, plus particuli�rement de la recherche sur l'ADN dont on vient d'�lucider la structure.
La pi�ce ma�tresse de l'ensemble de son oeuvre de chercheur est l'utilisation de petites s�quences synth�tiques d'ADN comme outils de recherche en biologie mol�culaire. La technique qu'il a mise au point permet de d�tecter des g�nes, d'en identifier les composantes et d'introduire de fa�on pr�d�termin�e des mutations dans l'ADN afin d'�tudier la fonction des g�nes et des prot�ines. �J'aimerais �tre un jeune chercheur � nouveau parce qu'il existe maintenant tellement d'outils int�ressants pour tester rapidement des hypoth�ses. Malheureusement, ces outils arrivent � un moment o� l'�conomie traverse une p�riode difficile. Les fonds de recherche sont difficiles � obtenir et les politiciens font des pressions en faveur de recherches plus appliqu�es.�
La g�n�rosit� de son talent
Le prix Nobel de chimie 1993, qu'il partage avec Kary Mullis de La Jolla en Californie, lui a valu une bourse de 500 000$. Ce qu'il a fait de cet argent est � ce point original et g�n�reux qu'il faudrait presque lui d�cerner un second prix Nobel pour le souligner. La moiti� de la bourse a �t� remise � une fondation encourageant les jeunes chercheurs qui poursuivent des travaux dans le domaine de la schizophr�nie. �Cette maladie frappe 1% de la population canadienne et elle a de graves r�percussions pour ceux qui en souffrent et �galement pour leurs proches�, dit-il en toute connaissance de cause puisqu'il est lui-m�me p�re d'un enfant schizophr�ne. Une autre tranche de 125 000$ de la bourse a �t� vers�e pour aider les �coles situ�es dans les r�gions nordiques du Canada � pallier le manque de mat�riel et d'outils p�dagogiques. Un dernier 125 000$ a �t� investi dans un programme visant � faciliter le cheminement des femmes dans les carri�res de chercheuses.
En plus de donner l'argent rattach� au Nobel � ces causes, Michael Smith a convaincu le gouvernement de la Colombie Britannique et celui d'Ottawa d'apparier ses dons. Les gouvernements ont r�pondu au del� de ses attentes ce qui fait qu'en bout de ligne, ils ont ajout� pr�s de 2 millions de dollars dans ces programmes.
R�sum�e dans une conf�rence d'une heure, la carri�re de Michael Smith semble avoir �t� une succession ininterrompue de d�couvertes et de succ�s, laissant peu de place au doute et � l'�chec. Les apparences sont trompeuses, a-t-il r�pondu � une jeune chercheuse qui l'interrogeait � ce sujet car lui aussi a connu son lot de revers. �J'ai d�j� failli tout l�cher alors que j'�tais �tudiant-chercheur et mon directeur de th�se m'avait m�me laiss� entendre que ce ne serait pas une mauvaise id�e. J'ai d�j� �t� cong�di� d'un poste de chercheur apr�s une dispute avec un sup�rieur, j'ai subi plusieurs refus pour des demandes de subventions et la revue scientifique Cell a m�me refus� de publier l'article qui pr�sentait les travaux qui m'ont valu plus tard le prix Nobel. Mais tout cela fait partie de la vie d'un chercheur et il ne faut pas se d�courager. Tant que la science fait battre �a, en-dedans, tr�s fort, dit -il en se frappant le coeur, il faut continuer.�
JEAN HAMANN